Jazz live
Publié le 12 Avr 2015

Baptiste Trotignon, Fred Hersch et Brad Mehldau à la Philharmonie

Dans le cadre du Week end Brad Mehldau à la Philharmonie de Paris, nous avons pu entendre hier, 11 avril, Baptiste Trotignon en solo et les trios de Fred Hersch et Brad Mehldau.


Alors ? Philharmonie 1 ou 2 ? Dans le hall de ce que, par habitude, nous appelons la Cité de la musique et qu’il faut désormais appeler Philharmonie 2, les propos des uns et des autres sont une peu confus. Il faut se rendre à l’évidence : le concert de Fred Hersch en trio (Baptiste Trotignon en première partie solo) est à la Philharmonie 2, celui de Brad Mehldau en trio est à la Philharmonie 1 et celui de Brad Mehldau en solo le lendemain à la Philharmonie 2. Curieux de programmer le trio à la 1 dont l’acoustique a été conçue à l’origine pour la musique acoustique. Pourquoi n’y avoir pas programmé plutôt le solo, en configuration avec le piano au centre ? A-t-on prévu de sonoriser le piano pour le concert solo ? En jazz, ça se fait beaucoup. La Philharmonie 1 serait-elle jugée trop grande pour un piano solo non amplifié ? Je peux le concevoir (mais la Philharmonie 2 l’est-elle tellement moins ?). Mais alors pourquoi a-t-on prévu Daniel Barenboim en solo à la Philharmonie 1 ? Toutes ces logiques m’échappent. À l’entrée de la Philharmonie 2, je croise un couple d’amis, éducateurs à la retraite, qui monte régulièrement à Paris pour écouter du jazz. Ce week end, ils sont venus écouter Fred Hersch. Hier, ils étaient à l’Atelier du Plateau pour écouter Brice Godet, Matthew Bourne et Tam de Villiers. Ils en sont ressortis enchantés, notamment par le lieu. Je les comprends bien. On ne se pose pas de questions acoustiques à l’Atelier du plateau. Et l’on y mange mieux et pour moins cher qu’au bar de la Cité ou au Café des concerts. Après le concert de Fred Hersch, ils y retourneront pour entendre le Spring Roll de Sylvaine Hélary. Brad Mehldau ? Ils l’ont déjà vu tant de fois ! En un sens, je les envie un peu. Mais moi, Brad Mehldau, je ne l’ai pas vu tant de fois… alors ! Et ce soir, je profite d’un billet que notre collaborateur Ludovic Florin a acheté pour sa compagne qui n’a pu monter de Toulouse. Acheté dès l’ouverture de la location, il nous vaut d’être placé au premier rang, au pied du piano. Pour le concert de Baptiste Trotignon (non amplifié) comme pour celui Fred Hersch (qui l’est légèrement), placement idéal. On se croirait dans un club. Jamais entendu pareil qualité à la Cité de la musique… euh, pardon à la Phiharmonie 1, euh… non la 2 qui fut pourtant là la première. L’ancienne salle, quoi !


Philharmonie 2, Paris (75), le 11 avril 2015.

Baptiste Trotignon (piano).

Fred Hersch Trio : Fred Hersch (piano), John Hebert (contrebasse), Eric McPherson (batterie).


Baptiste Trotignon fait son entrée, une désinvolture à la Solal, l’humour et le sens du calembour en moins dans les présentations de morceaux, mais une distance en tout cas, une forme d’autodérision qui ne devrait pas être pour me déplaire. Il y a du Keith Jarrett, en beaucoup plus concis et moins démonstratif, dans la façon dont le programme est constitué et dont il nous conduit d’un morceau à l’autre, souvent des pièces aux connotations pop (il y aura même un Paul McCartney, mais aussi un Monk) qu’il fait passer par toutes les couleurs, du swing garnerien à l’ostinato binaire. La comparaison est difficile car, de Jarrett, Trotignon n’a ni les gaugneries ni les coups de génie, mais il a de beaux moyens pianistiques, de l’élégance, du vocabulaire… dont on attend, au fil du concert, que quelque chose de définitif advienne, qu’une personnalité s’impose, qu’un indice nous soit dévoilé sur la personnalité de ce brillant musicien qui ne nous convainc que de manières fragmentaires. Et c’est finalement lorsqu’il reprend Volver de Carlos Gardel en premier rappel, à une très juste proximité de l’original pour en tirer toutes les ficelles harmonique sans jamais tomber dans le cliché du tango jazzifié, qu’il nous émeut enfin avant une brillante et banale reprise d’un chorinho d’Hermeto Pascoal.


Fred Hersch, maintenant. Pour la première fois dans une grande salle française, 40 ans après sa première prestation enregistrée au Jordan Hall de Boston sous la direction de Ran Blake, 36 ans après sa première tournée européenne (avec Billy Harper : “In Europe”, Soul Note ; “Awakening”, Marge) et son premier disque new-yorkais avec Art Farmer et Joe Henderson (“Yama”, Japan CTI), 31 ans après son premier disque sous son nom (“Horizons”, Concord, avec Marc Johnson et Joey Baron). Est-ce à mettre au crédit des programmateurs de La Villette qui nous promettent l’an prochain une saison jazz assez désespérante, ou au crédit de Brad Mehldau ? Fred Hersch est là, visiblement ému, mais sans inutile manifestation de pathos, par l’accueil que lui fait une Philharmonie 2 bien remplie et par l’écoute qui lui sera réservée tout au long du concert. C’est un moment de vérité qui commence par les girations de Whirl, le thème-titre d’un album en trio enregistré voici cinq ans. Je me sens un peu démuni pour commente cette musique sans effet autre que la musique elle-même, qui relève dans ses apparences d’un relatif classicisme. Sortant de la lecture de la biographie de Scott Lafaro par Helene Lafaro-Fernandez, et entendant ces conduites mélodiques constamment éloquentes (cette pensée fuguée de Skipping !), cette complémentarité des deux mains, cette communauté de pensée avec son trio et la bravoure lumineuse de John Hebert, je ne peux m’empêcher de penser à un certain dimanche au Village Vanguard il y a 54 ans, ou, plus précisément, à l’héritage auquel aspirait cette communauté de pensée foudroyée par la mort de de LaFaro. Ce qui n’est rien dire du jeu d’Eric McPherson, très éloigné de Paul Motian. Un sens du détail entre la décoration d’intérieur de Vernell Fournier et le minimalisme de Connie Kay, à la lumière du savoir-faire rythmique contemporain, qui le voit choisir balais et baguettes dans un constant souci du son collectif tout en décousant les formes et les métriques par des effets d’illusion d’optique ineffables (cette métaphore pour ceux auxquels le vocabulaire du son ne parle pas… mais puisque je vous dis que c’est ineffable…). Il revisite Monk dans son Dreams of Monk, y revient plus tard sur un thème de Thelonious dont je ne sais pas nommer le titre mais dont je me souviens qu’il l’exposa avec la contrebasse, comme en canon, avant d’improviser à deux voix farouchement indépendantes et pourtant intimement solidaires. Auparavant, il nous avait saisi par un reprise hallucinée de Lonely Woman d’Ornette où il intercala Nardis, allumant autour de ces thèmes, ainsi qu’il aime le faire, de petites flammèches qui semblaient erraient dans un paysage nocturne de cimetière désaffecté, se rassemblant soudain en un unique brasier. Rappelé une première fois, il reprend Doxy de Sonny Rollins, puis revient encore, seul c
ette fois, pour un dernier rappel qui lui est cher et familier, une ballade de sa plume intitulée Valentine dont il parvient à déployer les confessions harmoniques avec une pudeur qui laisse sans voix.


Philharmonie 1, Paris (75), le 11 avril 2015.

Brad Mehldau Trio : Brad Mehldau (piano), Larry Grenadier (contrebasse), Jeff Ballard (batterie).

 

Et nous voici, à peine deux heures plus tard, dans le vaisseau impérial de la Cité de la musique, euh, pardon, de la Philharmonie, toujours au premier rang, mais sur le côté, le piano beaucoup plus éloigné, la batterie encore plus loin. Je me retourne pour voir la salle. Je me souviens d’avoir entendu le concert JATP emmené par Joe Lovano au premier balcon. Que c’était loin ! Ne nous plaignons pas. Nous entendrons donc le piano à gauche dans un haut parleur, la batterie à droite très loin, plus naturellement, mais avec un tel écho qu’à un moment je me retournerai, croyant entendre le public claquer dans ses mains… Ce n’est que l’écho du backbeat et au loin, loin, loin, le premier balcon est silencieux. Tout en haut à droite, juste au-dessus de la scène, j’aperçois Damien qui a réussi à trouver une place au dernier moment pour 10 €. Inaudible. Après s’être fait refoulé une première fois (si vous voulez changer de place, attendez l’entracte… il n’y a pas d’entracte), il est autorisé à prendre un place vacante à l’étage inférieur entre deux morceaux. Du coup, l’essai acoustique imposé au public avant le concert paraît tout à la fois bien dérisoire et cependant bien nécessaire.


Mais le trio entre. Une autorité de ton immédiate sur un rapide tourbillon en cinq temps qui traverse tout le premier morceau. Blues modal, élégie, reprise de Valsa Brasileira de Chico Buarque, une chanson que, vu les applaudissements nourris à son annonce, je devrais être sensé connaître, Crazeology de Little Benny Harris (impossible de ne pas penser à Bud Powell qui l’enregistra sous le titre de Bud’s Bubble… mais le phrasé est ici plus net, plus articulé), These Foolish Things, thème en cinq temps exposé à l’unisson avec la contrebasse que le pianiste appelle par la simple mention de « C sharp » (do dièse) et West Coast Blues de Wes Montgomery. J’ai rien oublié ? On pourrait s’agacer de certains automatismes : le recours récurrent à l’ostinato, l’hyperactivité de Jeff Ballard (encore que depuis Justin Brown on a entendu pire… mieux ? Plus en tout cas…), mais tout ça repose sur une telle autorité (excuses pour la redite), une telle clarté, une telle cohésion entre les trois hommes. La seule articulation de Brad dans les seuls moments de phrasé en croches est un régal, rehaussé par ces dérèglements rythmiques et harmoniques qui viennent vous cueillir au juste moment où l’attention fléchit pour la transformer en pur émoi, avec deux évènement qui m’ont particulièrement ravi, la longue coda en apesanteur de These Foolish Things et l’improvisation sur l’ostinato repris de la formule conclusive conçue par Wes pour son West Coast Blues. Franck Bergerot

 

 

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Dans le cadre du Week end Brad Mehldau à la Philharmonie de Paris, nous avons pu entendre hier, 11 avril, Baptiste Trotignon en solo et les trios de Fred Hersch et Brad Mehldau.


Alors ? Philharmonie 1 ou 2 ? Dans le hall de ce que, par habitude, nous appelons la Cité de la musique et qu’il faut désormais appeler Philharmonie 2, les propos des uns et des autres sont une peu confus. Il faut se rendre à l’évidence : le concert de Fred Hersch en trio (Baptiste Trotignon en première partie solo) est à la Philharmonie 2, celui de Brad Mehldau en trio est à la Philharmonie 1 et celui de Brad Mehldau en solo le lendemain à la Philharmonie 2. Curieux de programmer le trio à la 1 dont l’acoustique a été conçue à l’origine pour la musique acoustique. Pourquoi n’y avoir pas programmé plutôt le solo, en configuration avec le piano au centre ? A-t-on prévu de sonoriser le piano pour le concert solo ? En jazz, ça se fait beaucoup. La Philharmonie 1 serait-elle jugée trop grande pour un piano solo non amplifié ? Je peux le concevoir (mais la Philharmonie 2 l’est-elle tellement moins ?). Mais alors pourquoi a-t-on prévu Daniel Barenboim en solo à la Philharmonie 1 ? Toutes ces logiques m’échappent. À l’entrée de la Philharmonie 2, je croise un couple d’amis, éducateurs à la retraite, qui monte régulièrement à Paris pour écouter du jazz. Ce week end, ils sont venus écouter Fred Hersch. Hier, ils étaient à l’Atelier du Plateau pour écouter Brice Godet, Matthew Bourne et Tam de Villiers. Ils en sont ressortis enchantés, notamment par le lieu. Je les comprends bien. On ne se pose pas de questions acoustiques à l’Atelier du plateau. Et l’on y mange mieux et pour moins cher qu’au bar de la Cité ou au Café des concerts. Après le concert de Fred Hersch, ils y retourneront pour entendre le Spring Roll de Sylvaine Hélary. Brad Mehldau ? Ils l’ont déjà vu tant de fois ! En un sens, je les envie un peu. Mais moi, Brad Mehldau, je ne l’ai pas vu tant de fois… alors ! Et ce soir, je profite d’un billet que notre collaborateur Ludovic Florin a acheté pour sa compagne qui n’a pu monter de Toulouse. Acheté dès l’ouverture de la location, il nous vaut d’être placé au premier rang, au pied du piano. Pour le concert de Baptiste Trotignon (non amplifié) comme pour celui Fred Hersch (qui l’est légèrement), placement idéal. On se croirait dans un club. Jamais entendu pareil qualité à la Cité de la musique… euh, pardon à la Phiharmonie 1, euh… non la 2 qui fut pourtant là la première. L’ancienne salle, quoi !


Philharmonie 2, Paris (75), le 11 avril 2015.

Baptiste Trotignon (piano).

Fred Hersch Trio : Fred Hersch (piano), John Hebert (contrebasse), Eric McPherson (batterie).


Baptiste Trotignon fait son entrée, une désinvolture à la Solal, l’humour et le sens du calembour en moins dans les présentations de morceaux, mais une distance en tout cas, une forme d’autodérision qui ne devrait pas être pour me déplaire. Il y a du Keith Jarrett, en beaucoup plus concis et moins démonstratif, dans la façon dont le programme est constitué et dont il nous conduit d’un morceau à l’autre, souvent des pièces aux connotations pop (il y aura même un Paul McCartney, mais aussi un Monk) qu’il fait passer par toutes les couleurs, du swing garnerien à l’ostinato binaire. La comparaison est difficile car, de Jarrett, Trotignon n’a ni les gaugneries ni les coups de génie, mais il a de beaux moyens pianistiques, de l’élégance, du vocabulaire… dont on attend, au fil du concert, que quelque chose de définitif advienne, qu’une personnalité s’impose, qu’un indice nous soit dévoilé sur la personnalité de ce brillant musicien qui ne nous convainc que de manières fragmentaires. Et c’est finalement lorsqu’il reprend Volver de Carlos Gardel en premier rappel, à une très juste proximité de l’original pour en tirer toutes les ficelles harmonique sans jamais tomber dans le cliché du tango jazzifié, qu’il nous émeut enfin avant une brillante et banale reprise d’un chorinho d’Hermeto Pascoal.


Fred Hersch, maintenant. Pour la première fois dans une grande salle française, 40 ans après sa première prestation enregistrée au Jordan Hall de Boston sous la direction de Ran Blake, 36 ans après sa première tournée européenne (avec Billy Harper : “In Europe”, Soul Note ; “Awakening”, Marge) et son premier disque new-yorkais avec Art Farmer et Joe Henderson (“Yama”, Japan CTI), 31 ans après son premier disque sous son nom (“Horizons”, Concord, avec Marc Johnson et Joey Baron). Est-ce à mettre au crédit des programmateurs de La Villette qui nous promettent l’an prochain une saison jazz assez désespérante, ou au crédit de Brad Mehldau ? Fred Hersch est là, visiblement ému, mais sans inutile manifestation de pathos, par l’accueil que lui fait une Philharmonie 2 bien remplie et par l’écoute qui lui sera réservée tout au long du concert. C’est un moment de vérité qui commence par les girations de Whirl, le thème-titre d’un album en trio enregistré voici cinq ans. Je me sens un peu démuni pour commente cette musique sans effet autre que la musique elle-même, qui relève dans ses apparences d’un relatif classicisme. Sortant de la lecture de la biographie de Scott Lafaro par Helene Lafaro-Fernandez, et entendant ces conduites mélodiques constamment éloquentes (cette pensée fuguée de Skipping !), cette complémentarité des deux mains, cette communauté de pensée avec son trio et la bravoure lumineuse de John Hebert, je ne peux m’empêcher de penser à un certain dimanche au Village Vanguard il y a 54 ans, ou, plus précisément, à l’héritage auquel aspirait cette communauté de pensée foudroyée par la mort de de LaFaro. Ce qui n’est rien dire du jeu d’Eric McPherson, très éloigné de Paul Motian. Un sens du détail entre la décoration d’intérieur de Vernell Fournier et le minimalisme de Connie Kay, à la lumière du savoir-faire rythmique contemporain, qui le voit choisir balais et baguettes dans un constant souci du son collectif tout en décousant les formes et les métriques par des effets d’illusion d’optique ineffables (cette métaphore pour ceux auxquels le vocabulaire du son ne parle pas… mais puisque je vous dis que c’est ineffable…). Il revisite Monk dans son Dreams of Monk, y revient plus tard sur un thème de Thelonious dont je ne sais pas nommer le titre mais dont je me souviens qu’il l’exposa avec la contrebasse, comme en canon, avant d’improviser à deux voix farouchement indépendantes et pourtant intimement solidaires. Auparavant, il nous avait saisi par un reprise hallucinée de Lonely Woman d’Ornette où il intercala Nardis, allumant autour de ces thèmes, ainsi qu’il aime le faire, de petites flammèches qui semblaient erraient dans un paysage nocturne de cimetière désaffecté, se rassemblant soudain en un unique brasier. Rappelé une première fois, il reprend Doxy de Sonny Rollins, puis revient encore, seul c
ette fois, pour un dernier rappel qui lui est cher et familier, une ballade de sa plume intitulée Valentine dont il parvient à déployer les confessions harmoniques avec une pudeur qui laisse sans voix.


Philharmonie 1, Paris (75), le 11 avril 2015.

Brad Mehldau Trio : Brad Mehldau (piano), Larry Grenadier (contrebasse), Jeff Ballard (batterie).

 

Et nous voici, à peine deux heures plus tard, dans le vaisseau impérial de la Cité de la musique, euh, pardon, de la Philharmonie, toujours au premier rang, mais sur le côté, le piano beaucoup plus éloigné, la batterie encore plus loin. Je me retourne pour voir la salle. Je me souviens d’avoir entendu le concert JATP emmené par Joe Lovano au premier balcon. Que c’était loin ! Ne nous plaignons pas. Nous entendrons donc le piano à gauche dans un haut parleur, la batterie à droite très loin, plus naturellement, mais avec un tel écho qu’à un moment je me retournerai, croyant entendre le public claquer dans ses mains… Ce n’est que l’écho du backbeat et au loin, loin, loin, le premier balcon est silencieux. Tout en haut à droite, juste au-dessus de la scène, j’aperçois Damien qui a réussi à trouver une place au dernier moment pour 10 €. Inaudible. Après s’être fait refoulé une première fois (si vous voulez changer de place, attendez l’entracte… il n’y a pas d’entracte), il est autorisé à prendre un place vacante à l’étage inférieur entre deux morceaux. Du coup, l’essai acoustique imposé au public avant le concert paraît tout à la fois bien dérisoire et cependant bien nécessaire.


Mais le trio entre. Une autorité de ton immédiate sur un rapide tourbillon en cinq temps qui traverse tout le premier morceau. Blues modal, élégie, reprise de Valsa Brasileira de Chico Buarque, une chanson que, vu les applaudissements nourris à son annonce, je devrais être sensé connaître, Crazeology de Little Benny Harris (impossible de ne pas penser à Bud Powell qui l’enregistra sous le titre de Bud’s Bubble… mais le phrasé est ici plus net, plus articulé), These Foolish Things, thème en cinq temps exposé à l’unisson avec la contrebasse que le pianiste appelle par la simple mention de « C sharp » (do dièse) et West Coast Blues de Wes Montgomery. J’ai rien oublié ? On pourrait s’agacer de certains automatismes : le recours récurrent à l’ostinato, l’hyperactivité de Jeff Ballard (encore que depuis Justin Brown on a entendu pire… mieux ? Plus en tout cas…), mais tout ça repose sur une telle autorité (excuses pour la redite), une telle clarté, une telle cohésion entre les trois hommes. La seule articulation de Brad dans les seuls moments de phrasé en croches est un régal, rehaussé par ces dérèglements rythmiques et harmoniques qui viennent vous cueillir au juste moment où l’attention fléchit pour la transformer en pur émoi, avec deux évènement qui m’ont particulièrement ravi, la longue coda en apesanteur de These Foolish Things et l’improvisation sur l’ostinato repris de la formule conclusive conçue par Wes pour son West Coast Blues. Franck Bergerot

 

 

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Dans le cadre du Week end Brad Mehldau à la Philharmonie de Paris, nous avons pu entendre hier, 11 avril, Baptiste Trotignon en solo et les trios de Fred Hersch et Brad Mehldau.


Alors ? Philharmonie 1 ou 2 ? Dans le hall de ce que, par habitude, nous appelons la Cité de la musique et qu’il faut désormais appeler Philharmonie 2, les propos des uns et des autres sont une peu confus. Il faut se rendre à l’évidence : le concert de Fred Hersch en trio (Baptiste Trotignon en première partie solo) est à la Philharmonie 2, celui de Brad Mehldau en trio est à la Philharmonie 1 et celui de Brad Mehldau en solo le lendemain à la Philharmonie 2. Curieux de programmer le trio à la 1 dont l’acoustique a été conçue à l’origine pour la musique acoustique. Pourquoi n’y avoir pas programmé plutôt le solo, en configuration avec le piano au centre ? A-t-on prévu de sonoriser le piano pour le concert solo ? En jazz, ça se fait beaucoup. La Philharmonie 1 serait-elle jugée trop grande pour un piano solo non amplifié ? Je peux le concevoir (mais la Philharmonie 2 l’est-elle tellement moins ?). Mais alors pourquoi a-t-on prévu Daniel Barenboim en solo à la Philharmonie 1 ? Toutes ces logiques m’échappent. À l’entrée de la Philharmonie 2, je croise un couple d’amis, éducateurs à la retraite, qui monte régulièrement à Paris pour écouter du jazz. Ce week end, ils sont venus écouter Fred Hersch. Hier, ils étaient à l’Atelier du Plateau pour écouter Brice Godet, Matthew Bourne et Tam de Villiers. Ils en sont ressortis enchantés, notamment par le lieu. Je les comprends bien. On ne se pose pas de questions acoustiques à l’Atelier du plateau. Et l’on y mange mieux et pour moins cher qu’au bar de la Cité ou au Café des concerts. Après le concert de Fred Hersch, ils y retourneront pour entendre le Spring Roll de Sylvaine Hélary. Brad Mehldau ? Ils l’ont déjà vu tant de fois ! En un sens, je les envie un peu. Mais moi, Brad Mehldau, je ne l’ai pas vu tant de fois… alors ! Et ce soir, je profite d’un billet que notre collaborateur Ludovic Florin a acheté pour sa compagne qui n’a pu monter de Toulouse. Acheté dès l’ouverture de la location, il nous vaut d’être placé au premier rang, au pied du piano. Pour le concert de Baptiste Trotignon (non amplifié) comme pour celui Fred Hersch (qui l’est légèrement), placement idéal. On se croirait dans un club. Jamais entendu pareil qualité à la Cité de la musique… euh, pardon à la Phiharmonie 1, euh… non la 2 qui fut pourtant là la première. L’ancienne salle, quoi !


Philharmonie 2, Paris (75), le 11 avril 2015.

Baptiste Trotignon (piano).

Fred Hersch Trio : Fred Hersch (piano), John Hebert (contrebasse), Eric McPherson (batterie).


Baptiste Trotignon fait son entrée, une désinvolture à la Solal, l’humour et le sens du calembour en moins dans les présentations de morceaux, mais une distance en tout cas, une forme d’autodérision qui ne devrait pas être pour me déplaire. Il y a du Keith Jarrett, en beaucoup plus concis et moins démonstratif, dans la façon dont le programme est constitué et dont il nous conduit d’un morceau à l’autre, souvent des pièces aux connotations pop (il y aura même un Paul McCartney, mais aussi un Monk) qu’il fait passer par toutes les couleurs, du swing garnerien à l’ostinato binaire. La comparaison est difficile car, de Jarrett, Trotignon n’a ni les gaugneries ni les coups de génie, mais il a de beaux moyens pianistiques, de l’élégance, du vocabulaire… dont on attend, au fil du concert, que quelque chose de définitif advienne, qu’une personnalité s’impose, qu’un indice nous soit dévoilé sur la personnalité de ce brillant musicien qui ne nous convainc que de manières fragmentaires. Et c’est finalement lorsqu’il reprend Volver de Carlos Gardel en premier rappel, à une très juste proximité de l’original pour en tirer toutes les ficelles harmonique sans jamais tomber dans le cliché du tango jazzifié, qu’il nous émeut enfin avant une brillante et banale reprise d’un chorinho d’Hermeto Pascoal.


Fred Hersch, maintenant. Pour la première fois dans une grande salle française, 40 ans après sa première prestation enregistrée au Jordan Hall de Boston sous la direction de Ran Blake, 36 ans après sa première tournée européenne (avec Billy Harper : “In Europe”, Soul Note ; “Awakening”, Marge) et son premier disque new-yorkais avec Art Farmer et Joe Henderson (“Yama”, Japan CTI), 31 ans après son premier disque sous son nom (“Horizons”, Concord, avec Marc Johnson et Joey Baron). Est-ce à mettre au crédit des programmateurs de La Villette qui nous promettent l’an prochain une saison jazz assez désespérante, ou au crédit de Brad Mehldau ? Fred Hersch est là, visiblement ému, mais sans inutile manifestation de pathos, par l’accueil que lui fait une Philharmonie 2 bien remplie et par l’écoute qui lui sera réservée tout au long du concert. C’est un moment de vérité qui commence par les girations de Whirl, le thème-titre d’un album en trio enregistré voici cinq ans. Je me sens un peu démuni pour commente cette musique sans effet autre que la musique elle-même, qui relève dans ses apparences d’un relatif classicisme. Sortant de la lecture de la biographie de Scott Lafaro par Helene Lafaro-Fernandez, et entendant ces conduites mélodiques constamment éloquentes (cette pensée fuguée de Skipping !), cette complémentarité des deux mains, cette communauté de pensée avec son trio et la bravoure lumineuse de John Hebert, je ne peux m’empêcher de penser à un certain dimanche au Village Vanguard il y a 54 ans, ou, plus précisément, à l’héritage auquel aspirait cette communauté de pensée foudroyée par la mort de de LaFaro. Ce qui n’est rien dire du jeu d’Eric McPherson, très éloigné de Paul Motian. Un sens du détail entre la décoration d’intérieur de Vernell Fournier et le minimalisme de Connie Kay, à la lumière du savoir-faire rythmique contemporain, qui le voit choisir balais et baguettes dans un constant souci du son collectif tout en décousant les formes et les métriques par des effets d’illusion d’optique ineffables (cette métaphore pour ceux auxquels le vocabulaire du son ne parle pas… mais puisque je vous dis que c’est ineffable…). Il revisite Monk dans son Dreams of Monk, y revient plus tard sur un thème de Thelonious dont je ne sais pas nommer le titre mais dont je me souviens qu’il l’exposa avec la contrebasse, comme en canon, avant d’improviser à deux voix farouchement indépendantes et pourtant intimement solidaires. Auparavant, il nous avait saisi par un reprise hallucinée de Lonely Woman d’Ornette où il intercala Nardis, allumant autour de ces thèmes, ainsi qu’il aime le faire, de petites flammèches qui semblaient erraient dans un paysage nocturne de cimetière désaffecté, se rassemblant soudain en un unique brasier. Rappelé une première fois, il reprend Doxy de Sonny Rollins, puis revient encore, seul c
ette fois, pour un dernier rappel qui lui est cher et familier, une ballade de sa plume intitulée Valentine dont il parvient à déployer les confessions harmoniques avec une pudeur qui laisse sans voix.


Philharmonie 1, Paris (75), le 11 avril 2015.

Brad Mehldau Trio : Brad Mehldau (piano), Larry Grenadier (contrebasse), Jeff Ballard (batterie).

 

Et nous voici, à peine deux heures plus tard, dans le vaisseau impérial de la Cité de la musique, euh, pardon, de la Philharmonie, toujours au premier rang, mais sur le côté, le piano beaucoup plus éloigné, la batterie encore plus loin. Je me retourne pour voir la salle. Je me souviens d’avoir entendu le concert JATP emmené par Joe Lovano au premier balcon. Que c’était loin ! Ne nous plaignons pas. Nous entendrons donc le piano à gauche dans un haut parleur, la batterie à droite très loin, plus naturellement, mais avec un tel écho qu’à un moment je me retournerai, croyant entendre le public claquer dans ses mains… Ce n’est que l’écho du backbeat et au loin, loin, loin, le premier balcon est silencieux. Tout en haut à droite, juste au-dessus de la scène, j’aperçois Damien qui a réussi à trouver une place au dernier moment pour 10 €. Inaudible. Après s’être fait refoulé une première fois (si vous voulez changer de place, attendez l’entracte… il n’y a pas d’entracte), il est autorisé à prendre un place vacante à l’étage inférieur entre deux morceaux. Du coup, l’essai acoustique imposé au public avant le concert paraît tout à la fois bien dérisoire et cependant bien nécessaire.


Mais le trio entre. Une autorité de ton immédiate sur un rapide tourbillon en cinq temps qui traverse tout le premier morceau. Blues modal, élégie, reprise de Valsa Brasileira de Chico Buarque, une chanson que, vu les applaudissements nourris à son annonce, je devrais être sensé connaître, Crazeology de Little Benny Harris (impossible de ne pas penser à Bud Powell qui l’enregistra sous le titre de Bud’s Bubble… mais le phrasé est ici plus net, plus articulé), These Foolish Things, thème en cinq temps exposé à l’unisson avec la contrebasse que le pianiste appelle par la simple mention de « C sharp » (do dièse) et West Coast Blues de Wes Montgomery. J’ai rien oublié ? On pourrait s’agacer de certains automatismes : le recours récurrent à l’ostinato, l’hyperactivité de Jeff Ballard (encore que depuis Justin Brown on a entendu pire… mieux ? Plus en tout cas…), mais tout ça repose sur une telle autorité (excuses pour la redite), une telle clarté, une telle cohésion entre les trois hommes. La seule articulation de Brad dans les seuls moments de phrasé en croches est un régal, rehaussé par ces dérèglements rythmiques et harmoniques qui viennent vous cueillir au juste moment où l’attention fléchit pour la transformer en pur émoi, avec deux évènement qui m’ont particulièrement ravi, la longue coda en apesanteur de These Foolish Things et l’improvisation sur l’ostinato repris de la formule conclusive conçue par Wes pour son West Coast Blues. Franck Bergerot

 

 

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Dans le cadre du Week end Brad Mehldau à la Philharmonie de Paris, nous avons pu entendre hier, 11 avril, Baptiste Trotignon en solo et les trios de Fred Hersch et Brad Mehldau.


Alors ? Philharmonie 1 ou 2 ? Dans le hall de ce que, par habitude, nous appelons la Cité de la musique et qu’il faut désormais appeler Philharmonie 2, les propos des uns et des autres sont une peu confus. Il faut se rendre à l’évidence : le concert de Fred Hersch en trio (Baptiste Trotignon en première partie solo) est à la Philharmonie 2, celui de Brad Mehldau en trio est à la Philharmonie 1 et celui de Brad Mehldau en solo le lendemain à la Philharmonie 2. Curieux de programmer le trio à la 1 dont l’acoustique a été conçue à l’origine pour la musique acoustique. Pourquoi n’y avoir pas programmé plutôt le solo, en configuration avec le piano au centre ? A-t-on prévu de sonoriser le piano pour le concert solo ? En jazz, ça se fait beaucoup. La Philharmonie 1 serait-elle jugée trop grande pour un piano solo non amplifié ? Je peux le concevoir (mais la Philharmonie 2 l’est-elle tellement moins ?). Mais alors pourquoi a-t-on prévu Daniel Barenboim en solo à la Philharmonie 1 ? Toutes ces logiques m’échappent. À l’entrée de la Philharmonie 2, je croise un couple d’amis, éducateurs à la retraite, qui monte régulièrement à Paris pour écouter du jazz. Ce week end, ils sont venus écouter Fred Hersch. Hier, ils étaient à l’Atelier du Plateau pour écouter Brice Godet, Matthew Bourne et Tam de Villiers. Ils en sont ressortis enchantés, notamment par le lieu. Je les comprends bien. On ne se pose pas de questions acoustiques à l’Atelier du plateau. Et l’on y mange mieux et pour moins cher qu’au bar de la Cité ou au Café des concerts. Après le concert de Fred Hersch, ils y retourneront pour entendre le Spring Roll de Sylvaine Hélary. Brad Mehldau ? Ils l’ont déjà vu tant de fois ! En un sens, je les envie un peu. Mais moi, Brad Mehldau, je ne l’ai pas vu tant de fois… alors ! Et ce soir, je profite d’un billet que notre collaborateur Ludovic Florin a acheté pour sa compagne qui n’a pu monter de Toulouse. Acheté dès l’ouverture de la location, il nous vaut d’être placé au premier rang, au pied du piano. Pour le concert de Baptiste Trotignon (non amplifié) comme pour celui Fred Hersch (qui l’est légèrement), placement idéal. On se croirait dans un club. Jamais entendu pareil qualité à la Cité de la musique… euh, pardon à la Phiharmonie 1, euh… non la 2 qui fut pourtant là la première. L’ancienne salle, quoi !


Philharmonie 2, Paris (75), le 11 avril 2015.

Baptiste Trotignon (piano).

Fred Hersch Trio : Fred Hersch (piano), John Hebert (contrebasse), Eric McPherson (batterie).


Baptiste Trotignon fait son entrée, une désinvolture à la Solal, l’humour et le sens du calembour en moins dans les présentations de morceaux, mais une distance en tout cas, une forme d’autodérision qui ne devrait pas être pour me déplaire. Il y a du Keith Jarrett, en beaucoup plus concis et moins démonstratif, dans la façon dont le programme est constitué et dont il nous conduit d’un morceau à l’autre, souvent des pièces aux connotations pop (il y aura même un Paul McCartney, mais aussi un Monk) qu’il fait passer par toutes les couleurs, du swing garnerien à l’ostinato binaire. La comparaison est difficile car, de Jarrett, Trotignon n’a ni les gaugneries ni les coups de génie, mais il a de beaux moyens pianistiques, de l’élégance, du vocabulaire… dont on attend, au fil du concert, que quelque chose de définitif advienne, qu’une personnalité s’impose, qu’un indice nous soit dévoilé sur la personnalité de ce brillant musicien qui ne nous convainc que de manières fragmentaires. Et c’est finalement lorsqu’il reprend Volver de Carlos Gardel en premier rappel, à une très juste proximité de l’original pour en tirer toutes les ficelles harmonique sans jamais tomber dans le cliché du tango jazzifié, qu’il nous émeut enfin avant une brillante et banale reprise d’un chorinho d’Hermeto Pascoal.


Fred Hersch, maintenant. Pour la première fois dans une grande salle française, 40 ans après sa première prestation enregistrée au Jordan Hall de Boston sous la direction de Ran Blake, 36 ans après sa première tournée européenne (avec Billy Harper : “In Europe”, Soul Note ; “Awakening”, Marge) et son premier disque new-yorkais avec Art Farmer et Joe Henderson (“Yama”, Japan CTI), 31 ans après son premier disque sous son nom (“Horizons”, Concord, avec Marc Johnson et Joey Baron). Est-ce à mettre au crédit des programmateurs de La Villette qui nous promettent l’an prochain une saison jazz assez désespérante, ou au crédit de Brad Mehldau ? Fred Hersch est là, visiblement ému, mais sans inutile manifestation de pathos, par l’accueil que lui fait une Philharmonie 2 bien remplie et par l’écoute qui lui sera réservée tout au long du concert. C’est un moment de vérité qui commence par les girations de Whirl, le thème-titre d’un album en trio enregistré voici cinq ans. Je me sens un peu démuni pour commente cette musique sans effet autre que la musique elle-même, qui relève dans ses apparences d’un relatif classicisme. Sortant de la lecture de la biographie de Scott Lafaro par Helene Lafaro-Fernandez, et entendant ces conduites mélodiques constamment éloquentes (cette pensée fuguée de Skipping !), cette complémentarité des deux mains, cette communauté de pensée avec son trio et la bravoure lumineuse de John Hebert, je ne peux m’empêcher de penser à un certain dimanche au Village Vanguard il y a 54 ans, ou, plus précisément, à l’héritage auquel aspirait cette communauté de pensée foudroyée par la mort de de LaFaro. Ce qui n’est rien dire du jeu d’Eric McPherson, très éloigné de Paul Motian. Un sens du détail entre la décoration d’intérieur de Vernell Fournier et le minimalisme de Connie Kay, à la lumière du savoir-faire rythmique contemporain, qui le voit choisir balais et baguettes dans un constant souci du son collectif tout en décousant les formes et les métriques par des effets d’illusion d’optique ineffables (cette métaphore pour ceux auxquels le vocabulaire du son ne parle pas… mais puisque je vous dis que c’est ineffable…). Il revisite Monk dans son Dreams of Monk, y revient plus tard sur un thème de Thelonious dont je ne sais pas nommer le titre mais dont je me souviens qu’il l’exposa avec la contrebasse, comme en canon, avant d’improviser à deux voix farouchement indépendantes et pourtant intimement solidaires. Auparavant, il nous avait saisi par un reprise hallucinée de Lonely Woman d’Ornette où il intercala Nardis, allumant autour de ces thèmes, ainsi qu’il aime le faire, de petites flammèches qui semblaient erraient dans un paysage nocturne de cimetière désaffecté, se rassemblant soudain en un unique brasier. Rappelé une première fois, il reprend Doxy de Sonny Rollins, puis revient encore, seul c
ette fois, pour un dernier rappel qui lui est cher et familier, une ballade de sa plume intitulée Valentine dont il parvient à déployer les confessions harmoniques avec une pudeur qui laisse sans voix.


Philharmonie 1, Paris (75), le 11 avril 2015.

Brad Mehldau Trio : Brad Mehldau (piano), Larry Grenadier (contrebasse), Jeff Ballard (batterie).

 

Et nous voici, à peine deux heures plus tard, dans le vaisseau impérial de la Cité de la musique, euh, pardon, de la Philharmonie, toujours au premier rang, mais sur le côté, le piano beaucoup plus éloigné, la batterie encore plus loin. Je me retourne pour voir la salle. Je me souviens d’avoir entendu le concert JATP emmené par Joe Lovano au premier balcon. Que c’était loin ! Ne nous plaignons pas. Nous entendrons donc le piano à gauche dans un haut parleur, la batterie à droite très loin, plus naturellement, mais avec un tel écho qu’à un moment je me retournerai, croyant entendre le public claquer dans ses mains… Ce n’est que l’écho du backbeat et au loin, loin, loin, le premier balcon est silencieux. Tout en haut à droite, juste au-dessus de la scène, j’aperçois Damien qui a réussi à trouver une place au dernier moment pour 10 €. Inaudible. Après s’être fait refoulé une première fois (si vous voulez changer de place, attendez l’entracte… il n’y a pas d’entracte), il est autorisé à prendre un place vacante à l’étage inférieur entre deux morceaux. Du coup, l’essai acoustique imposé au public avant le concert paraît tout à la fois bien dérisoire et cependant bien nécessaire.


Mais le trio entre. Une autorité de ton immédiate sur un rapide tourbillon en cinq temps qui traverse tout le premier morceau. Blues modal, élégie, reprise de Valsa Brasileira de Chico Buarque, une chanson que, vu les applaudissements nourris à son annonce, je devrais être sensé connaître, Crazeology de Little Benny Harris (impossible de ne pas penser à Bud Powell qui l’enregistra sous le titre de Bud’s Bubble… mais le phrasé est ici plus net, plus articulé), These Foolish Things, thème en cinq temps exposé à l’unisson avec la contrebasse que le pianiste appelle par la simple mention de « C sharp » (do dièse) et West Coast Blues de Wes Montgomery. J’ai rien oublié ? On pourrait s’agacer de certains automatismes : le recours récurrent à l’ostinato, l’hyperactivité de Jeff Ballard (encore que depuis Justin Brown on a entendu pire… mieux ? Plus en tout cas…), mais tout ça repose sur une telle autorité (excuses pour la redite), une telle clarté, une telle cohésion entre les trois hommes. La seule articulation de Brad dans les seuls moments de phrasé en croches est un régal, rehaussé par ces dérèglements rythmiques et harmoniques qui viennent vous cueillir au juste moment où l’attention fléchit pour la transformer en pur émoi, avec deux évènement qui m’ont particulièrement ravi, la longue coda en apesanteur de These Foolish Things et l’improvisation sur l’ostinato repris de la formule conclusive conçue par Wes pour son West Coast Blues. Franck Bergerot