Jazz in Arles : La Scala sous la Lua
La Scala sous la Lua
Vendredi 12 mai, 20h30
Ce vendredi soir à Jazz in Arles, deux groupes se suivent dans la chapelle des bords du Rhône : le quartet de chambre La Scala et le duo Lua.
Quand on entend la SCALA, évidemment on tombe dans le panneau surtout si on aime le bel canto, Puccini et tutti quanti, et que l’on rêve d’opéra, Covent Garden, le Met ou la Scala justement. Mais le Méjan et sa chapelle, dans une tout autre échelle, ce n’est pas mal non plus. Il faut en réalité considérer le terme « scala » comme synonyme d’une échelle de corde ou de bois avec ou sans barreau. Le quartet pense donc escalader ainsi le ciel et pourquoi pas «Stairways to heaven » pendant qu’on y est? Construire une tour pour atteindre la lune (« lua » en portugais) : finalement, il se tient, le programme de cette soirée, concocté par l’association du Méjan.
Dès que Nathalie Basson les a entendus à Nevers en novembre dernier, dans ce tout nouveau projet, elle a souhaité avec Jean Paul Ricard les faire venir au Méjan, cette formation se révélant idéale pour la chapelle et son acoustique.
Ces jeunes musiciens qui évoluent dans la nébuleuse du TRICOLLECTIF (en un seul mot) ont en quelques années envahi la scène jazzistique hexagonale. Voilà bien un groupe hors norme, audacieux et grisant. Ils savent danser la musique et la faire danser, réconciliant ainsi le grand public avec une musique exigeante, révélant ainsi les mélomanes qui s’ignorent. Leur précédent album, sorti sur le label Ayler records, enchaînait des pièces évidemment pas faciles, minimalistes, ironiques avec ce regard décalé, cette perspective oblique. qui caractérise leur travail.
C’est le violoniste Théo Ceccaldi, placé aux côtés de son frère Valentin, violoncelliste (aux chemises « coton doux » selon Philippe Méziat ), qui présente le programme du set, en fait une suite de quatre mouvements intitulée Z.O.O.O : « diplodocus », « pélican », « panda » et « hippocampe ». Si je ne garantis pas l’ordre de la ménagerie, de toute façon, cela n’a pas grande importance, ils auraient plu à Satie ces musiciens avec leur choix de titres pour le moins farfelus. L’album n’est pas encore fait mais de quel Zoo s’agit il ? Celui du Tiergarten de Berlin, peut-être, en référence à l’orchestre TEE franco-allemand du pianiste Hans Lüdemann où joue Théo Ceccaldi? Il y a bien le film de Peter Greenaway, Z.O.O( A Zed and Two Noughts) mais ce serait un peu abuser…
En tous cas, le violoniste à la mèche rebelle attire le regard : même s’il ne parcourt pas la scène de long en large, il m’évoque (allez donc savoir), Nigel Kennedy, ce virtuose qui aime le charme brut du concert, des enregistrements en une seule prise pour en conserver intacte la fraîcheur. De l’émotion, de la fougue, il y en a dans leur musique qui se déploie, extrêmement précise, tracée au cordeau. On peut toujours parler des influences qui traversent leur paysage musical avec mise en commun dans l’escarcelle du groupe, des compositeurs aussi variés que Bartok, Stravinski…le Ravel de la « sonate pour violon et violoncelle ». Mais quel que soit cet héritage, commun ou non, il est parfaitement compris, pensé, recomposé, distribué différemment entre les quatre : la pâte qui sort est tellement malaxée qu’elle n’en est que plus digeste. Roberto Negro tient la barre d’une certaine façon, plutôt sobrement, introduisant de la fantaisie avec des cloches (en fait, des jouets pour apprendre aux enfants les notes ) qui ponctuent son accompagnement. Je suis absolument sidérée par le travail du batteur Adrien Chennebault que je n’avais entendu que sur disque et dernièrement sur Kimono. Le voir interagir ici avec cette pertinence, cet à propos est saisissant : tout ce qu’il emploie, baguettes, mailloches, balais et il n’abuse pas des effets et de l’attirail de certains confrères….donne un son, une texture, une couleur divins.
Qui dit chronique, dit saisie de l’instant écouté et permanence de l’entendu. On est loin de l’achèvement, du définitif. Ce soir, c’est plutôt le lieu de passages, d’admirations, d’euphorie même . On aimerait partager la musique dans tous ses états, dans tous ses éclats, « ce quelque chose qui bat quelque part avec une bouleversante, une mystérieuse simplicité ».
La nuit continuera à remuer avec le duo voyageur du pianiste Jean Marie Machado et de l’accordéoniste Didier Ithursarry. Je les ai entendus dans leur premier concert de ce programme, dans une cave voûtée marseillaise, en mars 2016, avec un piano qui ne ressemblait en rien au splendide Steinway du Méjan, amoureusement préparé par le fidèle Alain Massonneau. Ils essayaient ces nouvelles compositions, elle sont abouties à présent. Même si le classique n’est pas absent comme dans cet hommage « JSB » au Cantor de Leipzig ou ce « Nocturne » devenu ritournelle, de Chopin opus 9 n°1, ce qui me touche dans leur travail, c’est qu’ils n’en finissent jamais d’intégrer dans le jazz, les influences de leurs origines, suivant le fil de leur histoire musicale : il y a dans le « kantuz » du basque, originaire du « petit Bayonne » (comme Portal) ou dans la saudade du pianiste ce chant qui exprime l’instant présent, ce lyrisme et ce mouvement de la danse (ne se sont-ils pas connus dans l’orchestre du pianiste Danzas?) vif et emporté comme dans ces «Broussailles » qui évoquent la tondeuse à gazon, « serial killer des herbes folles ».J’avais gardé en mémoire cette berceuse de Didier Ithursarry si doucement élégiaque, c’est elle qui clôt à présent le Cd, auquel elle a donné son titre, Lua, sorti en février dernier sur le label Cantabile de JMMachado.
En quittant la ville, en longeant les bords du Rhône, je repenserai à elle, cette Lua. A une lettre près et ce ne sera pas un «m», comme la tour LUMA dont parlait l’ami Méziat, il y a deux jours, mais plutôt un «n» comme la « luna rossa » de Tabucchi . Pour moi, le festival se termine et aucun des trois envoyés « Jazzmagazine » Xavier Prévost, Philippe Méziat et moi, ne goûtera le final très attendu et déjà « sold out » du samedi avec la clarinettiste Elodie Pasquier et le quartet du trompettiste Avishai Cohen.
Sophie Chambon|
La Scala sous la Lua
Vendredi 12 mai, 20h30
Ce vendredi soir à Jazz in Arles, deux groupes se suivent dans la chapelle des bords du Rhône : le quartet de chambre La Scala et le duo Lua.
Quand on entend la SCALA, évidemment on tombe dans le panneau surtout si on aime le bel canto, Puccini et tutti quanti, et que l’on rêve d’opéra, Covent Garden, le Met ou la Scala justement. Mais le Méjan et sa chapelle, dans une tout autre échelle, ce n’est pas mal non plus. Il faut en réalité considérer le terme « scala » comme synonyme d’une échelle de corde ou de bois avec ou sans barreau. Le quartet pense donc escalader ainsi le ciel et pourquoi pas «Stairways to heaven » pendant qu’on y est? Construire une tour pour atteindre la lune (« lua » en portugais) : finalement, il se tient, le programme de cette soirée, concocté par l’association du Méjan.
Dès que Nathalie Basson les a entendus à Nevers en novembre dernier, dans ce tout nouveau projet, elle a souhaité avec Jean Paul Ricard les faire venir au Méjan, cette formation se révélant idéale pour la chapelle et son acoustique.
Ces jeunes musiciens qui évoluent dans la nébuleuse du TRICOLLECTIF (en un seul mot) ont en quelques années envahi la scène jazzistique hexagonale. Voilà bien un groupe hors norme, audacieux et grisant. Ils savent danser la musique et la faire danser, réconciliant ainsi le grand public avec une musique exigeante, révélant ainsi les mélomanes qui s’ignorent. Leur précédent album, sorti sur le label Ayler records, enchaînait des pièces évidemment pas faciles, minimalistes, ironiques avec ce regard décalé, cette perspective oblique. qui caractérise leur travail.
C’est le violoniste Théo Ceccaldi, placé aux côtés de son frère Valentin, violoncelliste (aux chemises « coton doux » selon Philippe Méziat ), qui présente le programme du set, en fait une suite de quatre mouvements intitulée Z.O.O.O : « diplodocus », « pélican », « panda » et « hippocampe ». Si je ne garantis pas l’ordre de la ménagerie, de toute façon, cela n’a pas grande importance, ils auraient plu à Satie ces musiciens avec leur choix de titres pour le moins farfelus. L’album n’est pas encore fait mais de quel Zoo s’agit il ? Celui du Tiergarten de Berlin, peut-être, en référence à l’orchestre TEE franco-allemand du pianiste Hans Lüdemann où joue Théo Ceccaldi? Il y a bien le film de Peter Greenaway, Z.O.O( A Zed and Two Noughts) mais ce serait un peu abuser…
En tous cas, le violoniste à la mèche rebelle attire le regard : même s’il ne parcourt pas la scène de long en large, il m’évoque (allez donc savoir), Nigel Kennedy, ce virtuose qui aime le charme brut du concert, des enregistrements en une seule prise pour en conserver intacte la fraîcheur. De l’émotion, de la fougue, il y en a dans leur musique qui se déploie, extrêmement précise, tracée au cordeau. On peut toujours parler des influences qui traversent leur paysage musical avec mise en commun dans l’escarcelle du groupe, des compositeurs aussi variés que Bartok, Stravinski…le Ravel de la « sonate pour violon et violoncelle ». Mais quel que soit cet héritage, commun ou non, il est parfaitement compris, pensé, recomposé, distribué différemment entre les quatre : la pâte qui sort est tellement malaxée qu’elle n’en est que plus digeste. Roberto Negro tient la barre d’une certaine façon, plutôt sobrement, introduisant de la fantaisie avec des cloches (en fait, des jouets pour apprendre aux enfants les notes ) qui ponctuent son accompagnement. Je suis absolument sidérée par le travail du batteur Adrien Chennebault que je n’avais entendu que sur disque et dernièrement sur Kimono. Le voir interagir ici avec cette pertinence, cet à propos est saisissant : tout ce qu’il emploie, baguettes, mailloches, balais et il n’abuse pas des effets et de l’attirail de certains confrères….donne un son, une texture, une couleur divins.
Qui dit chronique, dit saisie de l’instant écouté et permanence de l’entendu. On est loin de l’achèvement, du définitif. Ce soir, c’est plutôt le lieu de passages, d’admirations, d’euphorie même . On aimerait partager la musique dans tous ses états, dans tous ses éclats, « ce quelque chose qui bat quelque part avec une bouleversante, une mystérieuse simplicité ».
La nuit continuera à remuer avec le duo voyageur du pianiste Jean Marie Machado et de l’accordéoniste Didier Ithursarry. Je les ai entendus dans leur premier concert de ce programme, dans une cave voûtée marseillaise, en mars 2016, avec un piano qui ne ressemblait en rien au splendide Steinway du Méjan, amoureusement préparé par le fidèle Alain Massonneau. Ils essayaient ces nouvelles compositions, elle sont abouties à présent. Même si le classique n’est pas absent comme dans cet hommage « JSB » au Cantor de Leipzig ou ce « Nocturne » devenu ritournelle, de Chopin opus 9 n°1, ce qui me touche dans leur travail, c’est qu’ils n’en finissent jamais d’intégrer dans le jazz, les influences de leurs origines, suivant le fil de leur histoire musicale : il y a dans le « kantuz » du basque, originaire du « petit Bayonne » (comme Portal) ou dans la saudade du pianiste ce chant qui exprime l’instant présent, ce lyrisme et ce mouvement de la danse (ne se sont-ils pas connus dans l’orchestre du pianiste Danzas?) vif et emporté comme dans ces «Broussailles » qui évoquent la tondeuse à gazon, « serial killer des herbes folles ».J’avais gardé en mémoire cette berceuse de Didier Ithursarry si doucement élégiaque, c’est elle qui clôt à présent le Cd, auquel elle a donné son titre, Lua, sorti en février dernier sur le label Cantabile de JMMachado.
En quittant la ville, en longeant les bords du Rhône, je repenserai à elle, cette Lua. A une lettre près et ce ne sera pas un «m», comme la tour LUMA dont parlait l’ami Méziat, il y a deux jours, mais plutôt un «n» comme la « luna rossa » de Tabucchi . Pour moi, le festival se termine et aucun des trois envoyés « Jazzmagazine » Xavier Prévost, Philippe Méziat et moi, ne goûtera le final très attendu et déjà « sold out » du samedi avec la clarinettiste Elodie Pasquier et le quartet du trompettiste Avishai Cohen.
Sophie Chambon|
La Scala sous la Lua
Vendredi 12 mai, 20h30
Ce vendredi soir à Jazz in Arles, deux groupes se suivent dans la chapelle des bords du Rhône : le quartet de chambre La Scala et le duo Lua.
Quand on entend la SCALA, évidemment on tombe dans le panneau surtout si on aime le bel canto, Puccini et tutti quanti, et que l’on rêve d’opéra, Covent Garden, le Met ou la Scala justement. Mais le Méjan et sa chapelle, dans une tout autre échelle, ce n’est pas mal non plus. Il faut en réalité considérer le terme « scala » comme synonyme d’une échelle de corde ou de bois avec ou sans barreau. Le quartet pense donc escalader ainsi le ciel et pourquoi pas «Stairways to heaven » pendant qu’on y est? Construire une tour pour atteindre la lune (« lua » en portugais) : finalement, il se tient, le programme de cette soirée, concocté par l’association du Méjan.
Dès que Nathalie Basson les a entendus à Nevers en novembre dernier, dans ce tout nouveau projet, elle a souhaité avec Jean Paul Ricard les faire venir au Méjan, cette formation se révélant idéale pour la chapelle et son acoustique.
Ces jeunes musiciens qui évoluent dans la nébuleuse du TRICOLLECTIF (en un seul mot) ont en quelques années envahi la scène jazzistique hexagonale. Voilà bien un groupe hors norme, audacieux et grisant. Ils savent danser la musique et la faire danser, réconciliant ainsi le grand public avec une musique exigeante, révélant ainsi les mélomanes qui s’ignorent. Leur précédent album, sorti sur le label Ayler records, enchaînait des pièces évidemment pas faciles, minimalistes, ironiques avec ce regard décalé, cette perspective oblique. qui caractérise leur travail.
C’est le violoniste Théo Ceccaldi, placé aux côtés de son frère Valentin, violoncelliste (aux chemises « coton doux » selon Philippe Méziat ), qui présente le programme du set, en fait une suite de quatre mouvements intitulée Z.O.O.O : « diplodocus », « pélican », « panda » et « hippocampe ». Si je ne garantis pas l’ordre de la ménagerie, de toute façon, cela n’a pas grande importance, ils auraient plu à Satie ces musiciens avec leur choix de titres pour le moins farfelus. L’album n’est pas encore fait mais de quel Zoo s’agit il ? Celui du Tiergarten de Berlin, peut-être, en référence à l’orchestre TEE franco-allemand du pianiste Hans Lüdemann où joue Théo Ceccaldi? Il y a bien le film de Peter Greenaway, Z.O.O( A Zed and Two Noughts) mais ce serait un peu abuser…
En tous cas, le violoniste à la mèche rebelle attire le regard : même s’il ne parcourt pas la scène de long en large, il m’évoque (allez donc savoir), Nigel Kennedy, ce virtuose qui aime le charme brut du concert, des enregistrements en une seule prise pour en conserver intacte la fraîcheur. De l’émotion, de la fougue, il y en a dans leur musique qui se déploie, extrêmement précise, tracée au cordeau. On peut toujours parler des influences qui traversent leur paysage musical avec mise en commun dans l’escarcelle du groupe, des compositeurs aussi variés que Bartok, Stravinski…le Ravel de la « sonate pour violon et violoncelle ». Mais quel que soit cet héritage, commun ou non, il est parfaitement compris, pensé, recomposé, distribué différemment entre les quatre : la pâte qui sort est tellement malaxée qu’elle n’en est que plus digeste. Roberto Negro tient la barre d’une certaine façon, plutôt sobrement, introduisant de la fantaisie avec des cloches (en fait, des jouets pour apprendre aux enfants les notes ) qui ponctuent son accompagnement. Je suis absolument sidérée par le travail du batteur Adrien Chennebault que je n’avais entendu que sur disque et dernièrement sur Kimono. Le voir interagir ici avec cette pertinence, cet à propos est saisissant : tout ce qu’il emploie, baguettes, mailloches, balais et il n’abuse pas des effets et de l’attirail de certains confrères….donne un son, une texture, une couleur divins.
Qui dit chronique, dit saisie de l’instant écouté et permanence de l’entendu. On est loin de l’achèvement, du définitif. Ce soir, c’est plutôt le lieu de passages, d’admirations, d’euphorie même . On aimerait partager la musique dans tous ses états, dans tous ses éclats, « ce quelque chose qui bat quelque part avec une bouleversante, une mystérieuse simplicité ».
La nuit continuera à remuer avec le duo voyageur du pianiste Jean Marie Machado et de l’accordéoniste Didier Ithursarry. Je les ai entendus dans leur premier concert de ce programme, dans une cave voûtée marseillaise, en mars 2016, avec un piano qui ne ressemblait en rien au splendide Steinway du Méjan, amoureusement préparé par le fidèle Alain Massonneau. Ils essayaient ces nouvelles compositions, elle sont abouties à présent. Même si le classique n’est pas absent comme dans cet hommage « JSB » au Cantor de Leipzig ou ce « Nocturne » devenu ritournelle, de Chopin opus 9 n°1, ce qui me touche dans leur travail, c’est qu’ils n’en finissent jamais d’intégrer dans le jazz, les influences de leurs origines, suivant le fil de leur histoire musicale : il y a dans le « kantuz » du basque, originaire du « petit Bayonne » (comme Portal) ou dans la saudade du pianiste ce chant qui exprime l’instant présent, ce lyrisme et ce mouvement de la danse (ne se sont-ils pas connus dans l’orchestre du pianiste Danzas?) vif et emporté comme dans ces «Broussailles » qui évoquent la tondeuse à gazon, « serial killer des herbes folles ».J’avais gardé en mémoire cette berceuse de Didier Ithursarry si doucement élégiaque, c’est elle qui clôt à présent le Cd, auquel elle a donné son titre, Lua, sorti en février dernier sur le label Cantabile de JMMachado.
En quittant la ville, en longeant les bords du Rhône, je repenserai à elle, cette Lua. A une lettre près et ce ne sera pas un «m», comme la tour LUMA dont parlait l’ami Méziat, il y a deux jours, mais plutôt un «n» comme la « luna rossa » de Tabucchi . Pour moi, le festival se termine et aucun des trois envoyés « Jazzmagazine » Xavier Prévost, Philippe Méziat et moi, ne goûtera le final très attendu et déjà « sold out » du samedi avec la clarinettiste Elodie Pasquier et le quartet du trompettiste Avishai Cohen.
Sophie Chambon|
La Scala sous la Lua
Vendredi 12 mai, 20h30
Ce vendredi soir à Jazz in Arles, deux groupes se suivent dans la chapelle des bords du Rhône : le quartet de chambre La Scala et le duo Lua.
Quand on entend la SCALA, évidemment on tombe dans le panneau surtout si on aime le bel canto, Puccini et tutti quanti, et que l’on rêve d’opéra, Covent Garden, le Met ou la Scala justement. Mais le Méjan et sa chapelle, dans une tout autre échelle, ce n’est pas mal non plus. Il faut en réalité considérer le terme « scala » comme synonyme d’une échelle de corde ou de bois avec ou sans barreau. Le quartet pense donc escalader ainsi le ciel et pourquoi pas «Stairways to heaven » pendant qu’on y est? Construire une tour pour atteindre la lune (« lua » en portugais) : finalement, il se tient, le programme de cette soirée, concocté par l’association du Méjan.
Dès que Nathalie Basson les a entendus à Nevers en novembre dernier, dans ce tout nouveau projet, elle a souhaité avec Jean Paul Ricard les faire venir au Méjan, cette formation se révélant idéale pour la chapelle et son acoustique.
Ces jeunes musiciens qui évoluent dans la nébuleuse du TRICOLLECTIF (en un seul mot) ont en quelques années envahi la scène jazzistique hexagonale. Voilà bien un groupe hors norme, audacieux et grisant. Ils savent danser la musique et la faire danser, réconciliant ainsi le grand public avec une musique exigeante, révélant ainsi les mélomanes qui s’ignorent. Leur précédent album, sorti sur le label Ayler records, enchaînait des pièces évidemment pas faciles, minimalistes, ironiques avec ce regard décalé, cette perspective oblique. qui caractérise leur travail.
C’est le violoniste Théo Ceccaldi, placé aux côtés de son frère Valentin, violoncelliste (aux chemises « coton doux » selon Philippe Méziat ), qui présente le programme du set, en fait une suite de quatre mouvements intitulée Z.O.O.O : « diplodocus », « pélican », « panda » et « hippocampe ». Si je ne garantis pas l’ordre de la ménagerie, de toute façon, cela n’a pas grande importance, ils auraient plu à Satie ces musiciens avec leur choix de titres pour le moins farfelus. L’album n’est pas encore fait mais de quel Zoo s’agit il ? Celui du Tiergarten de Berlin, peut-être, en référence à l’orchestre TEE franco-allemand du pianiste Hans Lüdemann où joue Théo Ceccaldi? Il y a bien le film de Peter Greenaway, Z.O.O( A Zed and Two Noughts) mais ce serait un peu abuser…
En tous cas, le violoniste à la mèche rebelle attire le regard : même s’il ne parcourt pas la scène de long en large, il m’évoque (allez donc savoir), Nigel Kennedy, ce virtuose qui aime le charme brut du concert, des enregistrements en une seule prise pour en conserver intacte la fraîcheur. De l’émotion, de la fougue, il y en a dans leur musique qui se déploie, extrêmement précise, tracée au cordeau. On peut toujours parler des influences qui traversent leur paysage musical avec mise en commun dans l’escarcelle du groupe, des compositeurs aussi variés que Bartok, Stravinski…le Ravel de la « sonate pour violon et violoncelle ». Mais quel que soit cet héritage, commun ou non, il est parfaitement compris, pensé, recomposé, distribué différemment entre les quatre : la pâte qui sort est tellement malaxée qu’elle n’en est que plus digeste. Roberto Negro tient la barre d’une certaine façon, plutôt sobrement, introduisant de la fantaisie avec des cloches (en fait, des jouets pour apprendre aux enfants les notes ) qui ponctuent son accompagnement. Je suis absolument sidérée par le travail du batteur Adrien Chennebault que je n’avais entendu que sur disque et dernièrement sur Kimono. Le voir interagir ici avec cette pertinence, cet à propos est saisissant : tout ce qu’il emploie, baguettes, mailloches, balais et il n’abuse pas des effets et de l’attirail de certains confrères….donne un son, une texture, une couleur divins.
Qui dit chronique, dit saisie de l’instant écouté et permanence de l’entendu. On est loin de l’achèvement, du définitif. Ce soir, c’est plutôt le lieu de passages, d’admirations, d’euphorie même . On aimerait partager la musique dans tous ses états, dans tous ses éclats, « ce quelque chose qui bat quelque part avec une bouleversante, une mystérieuse simplicité ».
La nuit continuera à remuer avec le duo voyageur du pianiste Jean Marie Machado et de l’accordéoniste Didier Ithursarry. Je les ai entendus dans leur premier concert de ce programme, dans une cave voûtée marseillaise, en mars 2016, avec un piano qui ne ressemblait en rien au splendide Steinway du Méjan, amoureusement préparé par le fidèle Alain Massonneau. Ils essayaient ces nouvelles compositions, elle sont abouties à présent. Même si le classique n’est pas absent comme dans cet hommage « JSB » au Cantor de Leipzig ou ce « Nocturne » devenu ritournelle, de Chopin opus 9 n°1, ce qui me touche dans leur travail, c’est qu’ils n’en finissent jamais d’intégrer dans le jazz, les influences de leurs origines, suivant le fil de leur histoire musicale : il y a dans le « kantuz » du basque, originaire du « petit Bayonne » (comme Portal) ou dans la saudade du pianiste ce chant qui exprime l’instant présent, ce lyrisme et ce mouvement de la danse (ne se sont-ils pas connus dans l’orchestre du pianiste Danzas?) vif et emporté comme dans ces «Broussailles » qui évoquent la tondeuse à gazon, « serial killer des herbes folles ».J’avais gardé en mémoire cette berceuse de Didier Ithursarry si doucement élégiaque, c’est elle qui clôt à présent le Cd, auquel elle a donné son titre, Lua, sorti en février dernier sur le label Cantabile de JMMachado.
En quittant la ville, en longeant les bords du Rhône, je repenserai à elle, cette Lua. A une lettre près et ce ne sera pas un «m», comme la tour LUMA dont parlait l’ami Méziat, il y a deux jours, mais plutôt un «n» comme la « luna rossa » de Tabucchi . Pour moi, le festival se termine et aucun des trois envoyés « Jazzmagazine » Xavier Prévost, Philippe Méziat et moi, ne goûtera le final très attendu et déjà « sold out » du samedi avec la clarinettiste Elodie Pasquier et le quartet du trompettiste Avishai Cohen.
Sophie Chambon