Jazz live
Publié le 25 Sep 2016

Anglet 2: le passe-muraille et la petite boule de neige

L’Anglet Jazz Festival se poursuit aujourd’hui 25 septembre avec sa journée Jazz sur l’Herbe qui en fut la matrice voici 10 ans et que la pluie menace de déplacer à l’abri du Quintaou. En ce merveilleux théâtre, nous entendions hier les quartettes de Didier Ithursarry et Eric Le Lann.

Didier Ithursarry Quartet : Jean-Charles Richard (sax soprano), Didier Ithursarry (accordéon, compositions), Fred Chiffoleau (contrebasse), Joe Quitzke (batterie).

L’accordéon doit-il s’oublier, oublier le problème qu’il fut longtemps pour le jazz, se défaire de ce bagage populaire qui fut tout à la fois son fardeau et son charme. Ou doit-il au contraire le vivre pleinement, l’enchanter, l’ensemencer de ce jazz qui l’a souvent hanté, pour l’accoucher de mondes nouveaux. La diversité des musiques qui ont baigné le parcours professionnel de Didier Irthursarry, quand bien même les tient-il à distance, elles sont là, eaux mêlées comme un liquide amniotique dont son quartette luit. Et l’on perçoit, sans jamais tout à fait les reconnaître des accents de baião brésilien ou de tarentelle italienne, de chanson française en souvenir de François Béranger qu’il accompagna et auquel il rend un hommage en altitude, un air du pays basque évidemment, puisqu’il est ici de retour au pays, et ce grand poème valsé qu’il a titré Antichambre et qui revisite l’ivresse du trois temps indissociable de ce qui fut le piano du pauvre, le piano à bretelles, la boîte punaises, la boîte à frisson, le dépliant, le lampion et le soufflet à chagrin, surnoms qui rendent bien peu justice à la formidable mécanique qu’est devenu l’instrument entre les mains de ses facteurs et sous les doigts de ses interprètes. Mais reste cette ivresse ternaire que tout accordéoniste a vécu dans sa chair en voyant tourbillonner les danseurs à ses pieds, sur la piste des bals musette, des guinguettes et des bals parquet, danseurs qui inspirèrent tant de merveilleux accordéonistes compositeurs de valses enivrantes.

Dans cette exercice de passe-muraille qui fait tomber les murailles en poussière de nacre, Didier Ithursarry est entouré de musiciens idéaux, Jean-Charles Richard, familier de ces folklores imaginaires dont il doit quelque part à John Surman, Joe Quitzke, cet iconoclastes de l’instrument qu’il sait faire groover tout en le parsemant de quelque vaisselle cassée dans la maison qui dort les soirs de repassages. Non, ils n’ont pas joué Trenet, mais, avec Fred Chifoleau qui remplaçait hier Mátyás Szandai à la contrebasse, leurs folles complaintes nous ont fait rêver. Plus quelque chose qui devrait survenir au sein de ce quartette que Didier Ithursarry regrette de ne pas faire assez tourner, que l’on devine dans ces moments de musique de chambre (genre qui fait aussi partie de leur patrimoine) où le friselis des cymbales et le frôlement des mailloches fondus dans harmonies du soufflet, le souffle de l’archet et les aigus du soprano fragile comme du cristal, nous plonge dans quelque rêve spectral abstrait qui viendrait sublimer définitivement la mémoire de l’instrument, et dont la promesse laisse déjà le public étourdi pendant cet entracte nous séparant de la seconde partie du concert avec le quartette d’Eric Le Lann.

Eric Le Lann Quartet : Eric Le Lann (trompette), Paul Lay (piano), Sylvain Romano (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie).

Ils entrent sans façon et déjà la musique est là, libre, délicate et néanmoins puissamment emmenée par cette trompette sans apprêt qui cristallise en une petite boule de neige dense, compacte et un peu sale toute une histoire de la trompette (Bix, Red, Rex, Roy, Fats, Clifford, Art, Miles, Thad, Freddie et quelques autres), planant en toute apesanteur au-dessus de la chanson que constitue le seul énoncé de ces surnoms et prénoms. Voilà des originaux folâtres, voici un standard, The Man I Love que Le Lann introduit seul en un tumultueux rubato qui laisse entrevoir un tempo à la Coleman Hawkins (Oscar Pettiford – Shelly Manne, Signature, 1943) que Donald Kontomanou, le rejoignant, transforme en tempo à la Miles Davis All Stars (Percy Heath – Kenny Clarke, Prestige, 1954) pour un trompettiste qui joue définitivement à la Le Lann (Lay-Romano-Kontomanou, Quintaou, 2016). Suivront La Danse profane de Claude Debussy, un blues de chez blues, d’autres choses dont mes notes prises dans le noir rendent les titres illisibles, ainsi qu’en rappel Life On Mars de David Bowie (et titre de l’album produit par ce merveilleux quartette).

Autour de la trompette, la rythmique jubile, Paul Lay aux aguets, jamais en travers du soliste, faisant dire au piano des choses qui n’appartiennent qu’à lui et, lorsqu’il est soliste à son tour, jouant des phrases qui mènent toujours quelque part, et des “quelque part” qui sont toujours de nouveaux départs. Ses comparses ne s’y trompent pas, qui lui emboîtent le pas, multipliant les rendez-vous, avec un vocabulaire aussi ouvert qu’enraciné. Dans Zingaro d’Antonio Carlos Jobim, le solo de Sylvain Romano évoque les rebonds de Red Mitchell, le reste du temps main dans la main avec Donald Kontomanou qui réinvente, reconfigure, transgresse, transcende à chaque mesure les traditions du chababada tout en tirant l’inexorable sillon du tempo. Le public réalise-t-il la grande leçon de jazz qu’il reçoit ? Mais Le Lann n’a pas de leçon à donner, que de la musique et ce bonheur qui fait un peu tituber le spectateur dans la nuit en quittant le théâtre, certains pour rejoindre la désormais rituelle jam session du samedi aux écuries de Baroja . • Franck Bergerot

 

 |L’Anglet Jazz Festival se poursuit aujourd’hui 25 septembre avec sa journée Jazz sur l’Herbe qui en fut la matrice voici 10 ans et que la pluie menace de déplacer à l’abri du Quintaou. En ce merveilleux théâtre, nous entendions hier les quartettes de Didier Ithursarry et Eric Le Lann.

Didier Ithursarry Quartet : Jean-Charles Richard (sax soprano), Didier Ithursarry (accordéon, compositions), Fred Chiffoleau (contrebasse), Joe Quitzke (batterie).

L’accordéon doit-il s’oublier, oublier le problème qu’il fut longtemps pour le jazz, se défaire de ce bagage populaire qui fut tout à la fois son fardeau et son charme. Ou doit-il au contraire le vivre pleinement, l’enchanter, l’ensemencer de ce jazz qui l’a souvent hanté, pour l’accoucher de mondes nouveaux. La diversité des musiques qui ont baigné le parcours professionnel de Didier Irthursarry, quand bien même les tient-il à distance, elles sont là, eaux mêlées comme un liquide amniotique dont son quartette luit. Et l’on perçoit, sans jamais tout à fait les reconnaître des accents de baião brésilien ou de tarentelle italienne, de chanson française en souvenir de François Béranger qu’il accompagna et auquel il rend un hommage en altitude, un air du pays basque évidemment, puisqu’il est ici de retour au pays, et ce grand poème valsé qu’il a titré Antichambre et qui revisite l’ivresse du trois temps indissociable de ce qui fut le piano du pauvre, le piano à bretelles, la boîte punaises, la boîte à frisson, le dépliant, le lampion et le soufflet à chagrin, surnoms qui rendent bien peu justice à la formidable mécanique qu’est devenu l’instrument entre les mains de ses facteurs et sous les doigts de ses interprètes. Mais reste cette ivresse ternaire que tout accordéoniste a vécu dans sa chair en voyant tourbillonner les danseurs à ses pieds, sur la piste des bals musette, des guinguettes et des bals parquet, danseurs qui inspirèrent tant de merveilleux accordéonistes compositeurs de valses enivrantes.

Dans cette exercice de passe-muraille qui fait tomber les murailles en poussière de nacre, Didier Ithursarry est entouré de musiciens idéaux, Jean-Charles Richard, familier de ces folklores imaginaires dont il doit quelque part à John Surman, Joe Quitzke, cet iconoclastes de l’instrument qu’il sait faire groover tout en le parsemant de quelque vaisselle cassée dans la maison qui dort les soirs de repassages. Non, ils n’ont pas joué Trenet, mais, avec Fred Chifoleau qui remplaçait hier Mátyás Szandai à la contrebasse, leurs folles complaintes nous ont fait rêver. Plus quelque chose qui devrait survenir au sein de ce quartette que Didier Ithursarry regrette de ne pas faire assez tourner, que l’on devine dans ces moments de musique de chambre (genre qui fait aussi partie de leur patrimoine) où le friselis des cymbales et le frôlement des mailloches fondus dans harmonies du soufflet, le souffle de l’archet et les aigus du soprano fragile comme du cristal, nous plonge dans quelque rêve spectral abstrait qui viendrait sublimer définitivement la mémoire de l’instrument, et dont la promesse laisse déjà le public étourdi pendant cet entracte nous séparant de la seconde partie du concert avec le quartette d’Eric Le Lann.

Eric Le Lann Quartet : Eric Le Lann (trompette), Paul Lay (piano), Sylvain Romano (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie).

Ils entrent sans façon et déjà la musique est là, libre, délicate et néanmoins puissamment emmenée par cette trompette sans apprêt qui cristallise en une petite boule de neige dense, compacte et un peu sale toute une histoire de la trompette (Bix, Red, Rex, Roy, Fats, Clifford, Art, Miles, Thad, Freddie et quelques autres), planant en toute apesanteur au-dessus de la chanson que constitue le seul énoncé de ces surnoms et prénoms. Voilà des originaux folâtres, voici un standard, The Man I Love que Le Lann introduit seul en un tumultueux rubato qui laisse entrevoir un tempo à la Coleman Hawkins (Oscar Pettiford – Shelly Manne, Signature, 1943) que Donald Kontomanou, le rejoignant, transforme en tempo à la Miles Davis All Stars (Percy Heath – Kenny Clarke, Prestige, 1954) pour un trompettiste qui joue définitivement à la Le Lann (Lay-Romano-Kontomanou, Quintaou, 2016). Suivront La Danse profane de Claude Debussy, un blues de chez blues, d’autres choses dont mes notes prises dans le noir rendent les titres illisibles, ainsi qu’en rappel Life On Mars de David Bowie (et titre de l’album produit par ce merveilleux quartette).

Autour de la trompette, la rythmique jubile, Paul Lay aux aguets, jamais en travers du soliste, faisant dire au piano des choses qui n’appartiennent qu’à lui et, lorsqu’il est soliste à son tour, jouant des phrases qui mènent toujours quelque part, et des “quelque part” qui sont toujours de nouveaux départs. Ses comparses ne s’y trompent pas, qui lui emboîtent le pas, multipliant les rendez-vous, avec un vocabulaire aussi ouvert qu’enraciné. Dans Zingaro d’Antonio Carlos Jobim, le solo de Sylvain Romano évoque les rebonds de Red Mitchell, le reste du temps main dans la main avec Donald Kontomanou qui réinvente, reconfigure, transgresse, transcende à chaque mesure les traditions du chababada tout en tirant l’inexorable sillon du tempo. Le public réalise-t-il la grande leçon de jazz qu’il reçoit ? Mais Le Lann n’a pas de leçon à donner, que de la musique et ce bonheur qui fait un peu tituber le spectateur dans la nuit en quittant le théâtre, certains pour rejoindre la désormais rituelle jam session du samedi aux écuries de Baroja . • Franck Bergerot

 

 |L’Anglet Jazz Festival se poursuit aujourd’hui 25 septembre avec sa journée Jazz sur l’Herbe qui en fut la matrice voici 10 ans et que la pluie menace de déplacer à l’abri du Quintaou. En ce merveilleux théâtre, nous entendions hier les quartettes de Didier Ithursarry et Eric Le Lann.

Didier Ithursarry Quartet : Jean-Charles Richard (sax soprano), Didier Ithursarry (accordéon, compositions), Fred Chiffoleau (contrebasse), Joe Quitzke (batterie).

L’accordéon doit-il s’oublier, oublier le problème qu’il fut longtemps pour le jazz, se défaire de ce bagage populaire qui fut tout à la fois son fardeau et son charme. Ou doit-il au contraire le vivre pleinement, l’enchanter, l’ensemencer de ce jazz qui l’a souvent hanté, pour l’accoucher de mondes nouveaux. La diversité des musiques qui ont baigné le parcours professionnel de Didier Irthursarry, quand bien même les tient-il à distance, elles sont là, eaux mêlées comme un liquide amniotique dont son quartette luit. Et l’on perçoit, sans jamais tout à fait les reconnaître des accents de baião brésilien ou de tarentelle italienne, de chanson française en souvenir de François Béranger qu’il accompagna et auquel il rend un hommage en altitude, un air du pays basque évidemment, puisqu’il est ici de retour au pays, et ce grand poème valsé qu’il a titré Antichambre et qui revisite l’ivresse du trois temps indissociable de ce qui fut le piano du pauvre, le piano à bretelles, la boîte punaises, la boîte à frisson, le dépliant, le lampion et le soufflet à chagrin, surnoms qui rendent bien peu justice à la formidable mécanique qu’est devenu l’instrument entre les mains de ses facteurs et sous les doigts de ses interprètes. Mais reste cette ivresse ternaire que tout accordéoniste a vécu dans sa chair en voyant tourbillonner les danseurs à ses pieds, sur la piste des bals musette, des guinguettes et des bals parquet, danseurs qui inspirèrent tant de merveilleux accordéonistes compositeurs de valses enivrantes.

Dans cette exercice de passe-muraille qui fait tomber les murailles en poussière de nacre, Didier Ithursarry est entouré de musiciens idéaux, Jean-Charles Richard, familier de ces folklores imaginaires dont il doit quelque part à John Surman, Joe Quitzke, cet iconoclastes de l’instrument qu’il sait faire groover tout en le parsemant de quelque vaisselle cassée dans la maison qui dort les soirs de repassages. Non, ils n’ont pas joué Trenet, mais, avec Fred Chifoleau qui remplaçait hier Mátyás Szandai à la contrebasse, leurs folles complaintes nous ont fait rêver. Plus quelque chose qui devrait survenir au sein de ce quartette que Didier Ithursarry regrette de ne pas faire assez tourner, que l’on devine dans ces moments de musique de chambre (genre qui fait aussi partie de leur patrimoine) où le friselis des cymbales et le frôlement des mailloches fondus dans harmonies du soufflet, le souffle de l’archet et les aigus du soprano fragile comme du cristal, nous plonge dans quelque rêve spectral abstrait qui viendrait sublimer définitivement la mémoire de l’instrument, et dont la promesse laisse déjà le public étourdi pendant cet entracte nous séparant de la seconde partie du concert avec le quartette d’Eric Le Lann.

Eric Le Lann Quartet : Eric Le Lann (trompette), Paul Lay (piano), Sylvain Romano (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie).

Ils entrent sans façon et déjà la musique est là, libre, délicate et néanmoins puissamment emmenée par cette trompette sans apprêt qui cristallise en une petite boule de neige dense, compacte et un peu sale toute une histoire de la trompette (Bix, Red, Rex, Roy, Fats, Clifford, Art, Miles, Thad, Freddie et quelques autres), planant en toute apesanteur au-dessus de la chanson que constitue le seul énoncé de ces surnoms et prénoms. Voilà des originaux folâtres, voici un standard, The Man I Love que Le Lann introduit seul en un tumultueux rubato qui laisse entrevoir un tempo à la Coleman Hawkins (Oscar Pettiford – Shelly Manne, Signature, 1943) que Donald Kontomanou, le rejoignant, transforme en tempo à la Miles Davis All Stars (Percy Heath – Kenny Clarke, Prestige, 1954) pour un trompettiste qui joue définitivement à la Le Lann (Lay-Romano-Kontomanou, Quintaou, 2016). Suivront La Danse profane de Claude Debussy, un blues de chez blues, d’autres choses dont mes notes prises dans le noir rendent les titres illisibles, ainsi qu’en rappel Life On Mars de David Bowie (et titre de l’album produit par ce merveilleux quartette).

Autour de la trompette, la rythmique jubile, Paul Lay aux aguets, jamais en travers du soliste, faisant dire au piano des choses qui n’appartiennent qu’à lui et, lorsqu’il est soliste à son tour, jouant des phrases qui mènent toujours quelque part, et des “quelque part” qui sont toujours de nouveaux départs. Ses comparses ne s’y trompent pas, qui lui emboîtent le pas, multipliant les rendez-vous, avec un vocabulaire aussi ouvert qu’enraciné. Dans Zingaro d’Antonio Carlos Jobim, le solo de Sylvain Romano évoque les rebonds de Red Mitchell, le reste du temps main dans la main avec Donald Kontomanou qui réinvente, reconfigure, transgresse, transcende à chaque mesure les traditions du chababada tout en tirant l’inexorable sillon du tempo. Le public réalise-t-il la grande leçon de jazz qu’il reçoit ? Mais Le Lann n’a pas de leçon à donner, que de la musique et ce bonheur qui fait un peu tituber le spectateur dans la nuit en quittant le théâtre, certains pour rejoindre la désormais rituelle jam session du samedi aux écuries de Baroja . • Franck Bergerot

 

 |L’Anglet Jazz Festival se poursuit aujourd’hui 25 septembre avec sa journée Jazz sur l’Herbe qui en fut la matrice voici 10 ans et que la pluie menace de déplacer à l’abri du Quintaou. En ce merveilleux théâtre, nous entendions hier les quartettes de Didier Ithursarry et Eric Le Lann.

Didier Ithursarry Quartet : Jean-Charles Richard (sax soprano), Didier Ithursarry (accordéon, compositions), Fred Chiffoleau (contrebasse), Joe Quitzke (batterie).

L’accordéon doit-il s’oublier, oublier le problème qu’il fut longtemps pour le jazz, se défaire de ce bagage populaire qui fut tout à la fois son fardeau et son charme. Ou doit-il au contraire le vivre pleinement, l’enchanter, l’ensemencer de ce jazz qui l’a souvent hanté, pour l’accoucher de mondes nouveaux. La diversité des musiques qui ont baigné le parcours professionnel de Didier Irthursarry, quand bien même les tient-il à distance, elles sont là, eaux mêlées comme un liquide amniotique dont son quartette luit. Et l’on perçoit, sans jamais tout à fait les reconnaître des accents de baião brésilien ou de tarentelle italienne, de chanson française en souvenir de François Béranger qu’il accompagna et auquel il rend un hommage en altitude, un air du pays basque évidemment, puisqu’il est ici de retour au pays, et ce grand poème valsé qu’il a titré Antichambre et qui revisite l’ivresse du trois temps indissociable de ce qui fut le piano du pauvre, le piano à bretelles, la boîte punaises, la boîte à frisson, le dépliant, le lampion et le soufflet à chagrin, surnoms qui rendent bien peu justice à la formidable mécanique qu’est devenu l’instrument entre les mains de ses facteurs et sous les doigts de ses interprètes. Mais reste cette ivresse ternaire que tout accordéoniste a vécu dans sa chair en voyant tourbillonner les danseurs à ses pieds, sur la piste des bals musette, des guinguettes et des bals parquet, danseurs qui inspirèrent tant de merveilleux accordéonistes compositeurs de valses enivrantes.

Dans cette exercice de passe-muraille qui fait tomber les murailles en poussière de nacre, Didier Ithursarry est entouré de musiciens idéaux, Jean-Charles Richard, familier de ces folklores imaginaires dont il doit quelque part à John Surman, Joe Quitzke, cet iconoclastes de l’instrument qu’il sait faire groover tout en le parsemant de quelque vaisselle cassée dans la maison qui dort les soirs de repassages. Non, ils n’ont pas joué Trenet, mais, avec Fred Chifoleau qui remplaçait hier Mátyás Szandai à la contrebasse, leurs folles complaintes nous ont fait rêver. Plus quelque chose qui devrait survenir au sein de ce quartette que Didier Ithursarry regrette de ne pas faire assez tourner, que l’on devine dans ces moments de musique de chambre (genre qui fait aussi partie de leur patrimoine) où le friselis des cymbales et le frôlement des mailloches fondus dans harmonies du soufflet, le souffle de l’archet et les aigus du soprano fragile comme du cristal, nous plonge dans quelque rêve spectral abstrait qui viendrait sublimer définitivement la mémoire de l’instrument, et dont la promesse laisse déjà le public étourdi pendant cet entracte nous séparant de la seconde partie du concert avec le quartette d’Eric Le Lann.

Eric Le Lann Quartet : Eric Le Lann (trompette), Paul Lay (piano), Sylvain Romano (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie).

Ils entrent sans façon et déjà la musique est là, libre, délicate et néanmoins puissamment emmenée par cette trompette sans apprêt qui cristallise en une petite boule de neige dense, compacte et un peu sale toute une histoire de la trompette (Bix, Red, Rex, Roy, Fats, Clifford, Art, Miles, Thad, Freddie et quelques autres), planant en toute apesanteur au-dessus de la chanson que constitue le seul énoncé de ces surnoms et prénoms. Voilà des originaux folâtres, voici un standard, The Man I Love que Le Lann introduit seul en un tumultueux rubato qui laisse entrevoir un tempo à la Coleman Hawkins (Oscar Pettiford – Shelly Manne, Signature, 1943) que Donald Kontomanou, le rejoignant, transforme en tempo à la Miles Davis All Stars (Percy Heath – Kenny Clarke, Prestige, 1954) pour un trompettiste qui joue définitivement à la Le Lann (Lay-Romano-Kontomanou, Quintaou, 2016). Suivront La Danse profane de Claude Debussy, un blues de chez blues, d’autres choses dont mes notes prises dans le noir rendent les titres illisibles, ainsi qu’en rappel Life On Mars de David Bowie (et titre de l’album produit par ce merveilleux quartette).

Autour de la trompette, la rythmique jubile, Paul Lay aux aguets, jamais en travers du soliste, faisant dire au piano des choses qui n’appartiennent qu’à lui et, lorsqu’il est soliste à son tour, jouant des phrases qui mènent toujours quelque part, et des “quelque part” qui sont toujours de nouveaux départs. Ses comparses ne s’y trompent pas, qui lui emboîtent le pas, multipliant les rendez-vous, avec un vocabulaire aussi ouvert qu’enraciné. Dans Zingaro d’Antonio Carlos Jobim, le solo de Sylvain Romano évoque les rebonds de Red Mitchell, le reste du temps main dans la main avec Donald Kontomanou qui réinvente, reconfigure, transgresse, transcende à chaque mesure les traditions du chababada tout en tirant l’inexorable sillon du tempo. Le public réalise-t-il la grande leçon de jazz qu’il reçoit ? Mais Le Lann n’a pas de leçon à donner, que de la musique et ce bonheur qui fait un peu tituber le spectateur dans la nuit en quittant le théâtre, certains pour rejoindre la désormais rituelle jam session du samedi aux écuries de Baroja . • Franck Bergerot