Jazz live
Publié le 28 Sep 2018

« Daisy Tambour » par le Tomassenko Trio

Concert de soirée de cette avant-dernière affiche du festival Les Emouvantes au Théâtre des Bernardines de Marseille. Mais est-ce un concert… Un théâtre plutôt ? Alors un théâtre musical, mais très très musical avec le récitant-chanteur Olivier Thomas, la clarinettiste Catherine Delaunay et le guitariste Laurent Rousseau.

Illustration: Retour d’Emmaüs © X. Deher (Fictional Cover)

Guitariste ? Il joue en étouffant ses cordes, sa guitare est amplifiée par un radio cassette, il la remplace parfois par un ukulele en plastique vert pomme pareillement amplifié, d’une boîte de conserve que tout le monde se repassera comme racloir ou petit tambour selon les besoins. Catherine Delaunay joue de la clarinette qu’elle démonte parfois pour souffler sans chalumeau ou directement dedans, ou chanter dans le pavillon en faisant wha-wha avec sa main. Elle joue aussi d’un cor de basset qu’ele fait parfois sonner comme un kazoo et d’un piano jouet dont elle est assez virtuose, jouant parfois d’une main la clarinette et de l’autre le clavier. Ils sont un peu les clowns musiciens d’Olivier Thomas, qui apparaît d’abord dans une sorte de one man show. Soliloque prodigieux, savonnage des mots qui dérapent, s’envolent, prennent leur liberté, s’évadent du sens qui leur était assigné ou se substituent à ceux qui étaient prévu par la confusion que peut susciter une assonance. Le public, d’abord sidéré, croule bientôt de rire, avant de verser une larme. Je pense à Devos génial précurseur. On avait dit qu’En attendant Godot c’était Les Pensées de Pascal par les Fratellini. Ici, à certains moments, ce serait plutôt Les Discours de la méthode de Descartes.

Et la musique ? Elle est là, elle se glisse dans la diction, le timbre des mots, l’intonation de la phrase, l’attente, l’attention des deux musiciens à l’arrière-plan, qui soudain se font entendre : ce peut-être à la limite du perceptible en terme de volume sonore comme de durée, le geste est minimal et la virtuosité bien cachée (pourtant constamment là), la voix s’y mêle, celle de l’acteur principal dont le récit emprunte quelques barres de mesures mélodiques aussitôt abandonnées ou une véritable chanson arrangée par nos deux orfèvres musiciens-chanteurs avec une délicatesse égale, qu’ils tirent de leurs instruments des sonorités, des combinaisons de timbres, des rythmes, des mélodies, des harmonies relevant du sublime, ou qu’ils se prêtent au gag. C’est drôle, féroce, tendre, sensible, profondément humain… On en ressort un peu meilleur pour au moins quelques minutes, ce qui n’est déjà pas si mal.

Petit détail qui n’a rien à voir, je viens de mettre en ligne le 5ème chapitre de ma série sur Fletcher Henderson (c’est au siècle dernier!). À retrouver sur la partie bonus de ce site. • Franck Bergerot