Jazz live
Publié le 18 Nov 2018

D’JAZZ NEVERS (3) : changement de chroniqueur pour Ikui Doki, Hugues Mayot, Sylvain Rifflet et Daniel Mille

L’Ami Pascal Rozat a rejoint ses pénates parisiennes, et c’est votre serviteur qui lui succèdera jusqu’au terme du festival. Programme contrasté, comme chaque jour, et la journée du 15 novembre n’échappait pas à la règle.

©Maxim François

 

IKUI DOKI

Hugues Mayot (saxophone ténor, clarinette), Sophie Bernado (basson, voix), Rafaëlle Rinaudo (harpe amplifiée)

Maison de la Culture, salle Jean Lauberty, 15 novembre 2018, 12h15

 

Étonnante instrumentation et belle audace : associer des instruments que rien ne prédispose à faire musique ensemble, peut-être tout simplement parce la bassoniste aime improviser et avait le désir de jouer avec le saxophoniste, son compagnon et père de leur petite Alma. Une harpiste tout aussi atypique s’associe au projet, et après avoir creusé dans leurs premiers concerts un répertoire très librement adapté de la musique française du début du vingtième siècle (avec aussi parfois des impressions d’Afrique), les voici qui s’aventurent sur d’autres territoires. On commence avec Debussy et une des Trois Chansons de Bilitis, avant de s’aventurer sur d’autres terrains, inspirés par la musique répétitive américaine, la musique de la Renaissance, un poème de William Blake et une foule d’autres éléments qui vont des éclats du rock au souvenir du jazz. La harpe, avec son renfort d’électronique, évoque les guitares saturées comme les percussions, avec une liberté inédite pour cet instrument dérivé d’un modèle conçu à l’origine pour Alan Stivell. Le basson oscille entre écriture et improvisation, ce qui n’empêche nullement son interprète de dire et de chanter la poésie. Quant au saxophone et à la clarinette, ils circulent très librement dans ces espaces très ouvert, avec mémoire du jazz et désir constant de musique. Une indiscutable réussite sur un pari aventureux.

 

©Maxim François

 

HUGHES MAYOT « What if ? »

Hugues Mayot (saxophone ténor, composition), Jozef Dumoulin (piano électrique & effets), Joachim Florent (guitare basse), Franck Vaillant (batterie)

Théâtre municipal, 15 novembre 2018, 18h30

 

Et le saxophoniste fait retour le jour-même sur une autre scène, celle du théâtre municipal. Il est cette fois à la tête d’un quartette au sonorités surprenantes : entre le piano électrique totalement métamorphosé d’électronique par Jozef Dumoulin, la guitare basse de Joachim Florent qui chante et gronde d’un même mouvement, et l’enfer polyrythmique aux allures trompeuses de paradis binaire activé par Franck Vaillant, Hugues Mayot survole d’abord cet univers tendu en des phrases aériennes, dans la douceur de l’aigu. Mais progressivement son discours va croiser des déboulés furieux, des sons déchirés, et la musique va atteindre une sorte d’incandescence, jusqu’à un retour mesuré, en fin de concert vers un peu de douceur. Bref une aventure turbulente, qui ne cache rien des mouvements de la vie, qui nous bouscule et qui nous happe. Pour ma part, happé je fus, et plutôt séduit.

 

©Maxim François

 

SYLVAIN RIFFLET « RE FOCUS »

Sylvain Rifflet (saxophone ténor), Florent Nisse (contrebasse), Guillaume Lantonet (batterie, vibraphone) & Ensemble Appasionato : Rémi Rière, Akémi Fillon (violons), Mathieu Herzog (alto), Simon Dechambre (violoncelle)

Maison de la Culture, grande salle, 15 novembre 2018, 20h30

 

En s’inspirant de ce chef-d’œuvre d’Eddie Sauter qu’était l’album «Focus», divinement survolé par le saxophone de Stan Getz, Sylvain Rifflet faisait un pari : s’inspirer de l’instrumentation (ensemble de cordes, contrebasse et batterie), s’inspirer du climat musical, de la ductilité des phrases de Getz, sans s’interdire d’autres horizons. La référence au son de Getz est assumée, avec grand talent, et après un épisode de lenteur majestueuse, puis un hommage explicite à la première séquence de l’œuvre d’Eddie Sauter (I’m Late, I’m Late), Sylvain Rifflet poursuit son parcours de manière plus autonome. Ses compositions sont arrangées par Fred Pallem, le saxophone ose le slap et d’autres moyens d’expressions qui nous éloignent de Getz, mais on y revient régulièrement de façon opportune. Le dialogue avec les cordes et les percussions est constant, et l’on est ainsi porté jusqu’au terme du concert dans une douce euphorie. Chaleureusement sqlué par le public, le saxophoniste nous offre un rappel inattendu, en solo : avec l’assistance d’une shruti box, sorte d’harmonium automatique sans clavier produisant un bourdon dans la musique indienne, il donne une très belle version de The Peacocks, magnifique composition du pianiste Jimmy Rowles qui l’avait gravée avec Getz, et que le saxophoniste avait aussi jouée en concert avec Bill Evans (un enregistrement témoigne de cette version). Belle conclusion pour un beau concert.

 

©Maxim François

 

DANIEL MILLE PIAZZOLA QUINTET

Daniel Mille (accordéon), Grégoire Korniluk, Paul Colomb, Frédéric Deville (violoncelles), Diego Imbert (contrebasse

Maison de la Culture, grande salle, 15 novembre 2018, 22h30

 

Daniel Mille s’est pris de passion pour la musique du compositeur argentin, et on le comprend, même si l’on ne partage pas forcément le jugement qui, dans Le Journal du Centre publié le jour du concert, l’incite à placer Piazzola aussi haut que Bach peut l’être pour les musiciens du monde classique. Son choix porte sur les thèmes de douceur du compositeur, plus que sur les emportements rythmiques qui firent aussi son succès (Daniel Mille jouera d’ailleurs, en rappel, Liber Tango). La teneur du concert est plus mélancolique, très bien servie par une triple complicité : celle, collective, de l’ensemble des trois violoncelles ; celle, plus individuelle, du soliste Grégoire Korniluk ; et celle, plus ancrée dans le jazz, de Diego Imbert. La «boîte à frissons» fonctionne à merveille, et l’accordéoniste met à chaque moment opportun le petit supplément d’expression qui va faire vibrer les cordes sensibles. Moment d’émoi collectif programmé en somme, mais bien agréable, dont le temps fort sera peut-être un duo avec le contrebassiste Diego Imbert. Le public y fut très sensible, peut-être parce que nous étions dans un festival de jazz….

Xavier Prévost