Jazz live
Publié le 21 Nov 2018

D’JAZZ NEVERS (5), suite et fin : Claude Tchamitchian, Jazz [Wo]Men, Fredon-Melzer, Lars Danielsson, James Carter

Le festival s’est terminé samedi soir avec un concert tonitruant, et assez vain, de James Carter, mais de belles choses se sont glissées dans nos oreilles ravies, étonnées, parfois émerveillées. Et avant de quitter Nevers, un dernier tour sur le bord de Loire pour profiter encore des couleurs d’automne.

 

CLAUDE TCHAMITCHIAN « In Spirit »

Claude Tchamitchian contrebasse solo, sur un instrument de Jean-François Jenny-Clark

Maison de la Culture, salle Jean Lauberty, 17 novembre 2018, 12h15

 

Vers 13h30, lors de la rencontre qui fait suite aux concerts de 12h15, Claude Tchamitchian nous racontera comment, cherchant une contrebasse pour travailler l’improvisation avec un accordage différent de l’usage (car la sienne ne pouvait supporter de changer constamment d’accordage), il s’est vu proposer par Anne Jenny-Clark, la veuve de Jean-François, d’utiliser le second instrument du très regretté J.F..

La basse de J.F.

 

Sur cet instrument Claude Tchamitchian a travaillé hors de ses réflexes : le changement d’accordage ouvre des voies nouvelles à l’improvisateur, et ce solo intitulé «In Spirit» parcourt des contrées aussi étendues que contrastées. En pizzicato ou à l’archet (et même deux archets pour une séquence), il offre de nouvelles musiques, revient sur d’anciens disques en solo, et aborde aussi ses origines arméniennes. Recueillement intense, goût du risque et du jeu, formidable souci du son, tout concourt à faire de ce concert un moment privilégié.

©Maxim François

Les modes de jeu sont très libres, et très élaborés. On passera d’un jeu en accord, avec les deux archets, à une lente monodie ; puis à une mélodie mélancolique, lente et belle, dont la riche sonorité est comme un pleur ou une prière, une sorte de lamento. À un autre moment la basse sonne comme un orchestre qui jouerait les accords rythmés du Sacre du printemps de Stravinski. Claude Tachmitchian donnera ce répertoire le jour d’après au festival Jazzdor de Strasbourg, et on peut en avoir un écho sonore antérieur, en suivant ce lien, sur le site de l’émission ‘À l’Improviste’ d’Anne Montaron, sur France Musique, pour laquelle il a donné en mars dernier un concert.

 

JAZZ [WO]MEN, la longue marche

Rencontre animée par Raphaëlle Tchamitchian & Jean-Paul Ricard

Maison de la Culture, salle Jean Lauberty, 17 novembre 2018, 17h

 

Pour aborder la question de la place des musiciennes dans l’univers du jazz, une conférence-débat à deux voix. D’abord celle de Raphaëlle Tchamitchian, doctorante et cofondatrice de la revue Epistrophy (http://www.epistrophy.fr ), qui chronique le jazz sur le net et dans la presse magazine. Elle a réalisé sur le sujet du jour une enquête dont elle nous livre éléments et analyses, avec une lucidité combative. Avant cela nous fut donné un historique du rôle, conséquent, et de la place, parcimonieuse, des femmes dans le jazz (des origines jusqu’aux années 70), par Jean-Paul Ricard, fondateur del’AJMI d’Avignon, et grand collectionneur de disques : le hall de la Maison de la Culture accueille une ribambelle de pochettes de disques vinyle, issues de sa collection et consacrées à des musiciennes de jazz.

Les exposés sont très intéressant, le dialogue ensuite s’instaure avec le public, où des professionnels de la musique côtoient des mélomanes jazzophiles : échange fructueux.

 

FREDON-MELZER QUARTET

Louis Chevé-Melzer (saxophone ténor, flûte), Pierre Thomas-Fredon (guitare basse), Louis Ledoux (guitare), Marc Girard (batterie)

Bar de la Maison de la Culture, 17 novembre 2018, 18h30

Après la conférence-débat le quartette, issu de l’École Supérieure de Musique Bourgogne-Franche-Comté, joue pour le public du bar de la Maison de la Culture quelques standards du jazz et de la musique américaine, signés Monk, Benny Golson, Bronislav Kaper…. Atmosphère détendue, public attentif, belle manière d’attendre les concerts du soir.

 

©Maxim François

LARS DANIELSSON «Libretto III»

Lars Danielsson (contrebasse), Jonas Östholm (piano) Andreas Hourdakis (guitare), Magnus Öström (batterie)

Maison de la Culture, grande salle, 17 novembre 2018, 20h30

 

Le contrebassiste suédois présente le troisième volet de sa série ‘Libretto’, et revient aussi sur les épisodes antérieurs. De belles mélodies, des phrases expressives, des beautés furtives dans les intervention du piano ou de la guitare, mais un côté légèrement statique qui va se dissoudre dans la mouvement de Passaglia, un thème du disque «Libretto II» où la passacaille se libère de son rythme à trois temps pour voguer vers d’autres horizons. Et après une composition jouée en solo, le contrebassiste retrouve ses partenaires : le batteur joue à mains nues, le piano s’envole et la guitare s’enflamme. En rappel une gentille ritournelle donnera au guitarise l’occasion d’élargir le champ, du côté de John Abercrombie : belle conclusion, au demeurant.

 

©Maxim François

JAMES CARTER ELECTRIC OUTLET

James Carter (saxopones ténor, alto & soprano), Gerard Gibbs (claviers), Kamau Inaede (guitare basse), Alex White (batterie & percussions numériques)

Maison de la Culture, grande salle, 17 novembre 2018, 22h30

 

Je n’avais pas écouté James Carter sur scène depuis juillet 2016, au festival de Couches (décidément la Bourgogne m’attire, qu’elle soit pour les blancs terre de chardonnay ou, comme dans la Nièvre, pays de sauvignon). Le groupe était alors un trio, sans guitare basse, et j’avais goûté la joyeuse euphorie presque auto-parodique de James Carter. Cette fois j’ai trouvé la mesure un peu trop chargée : Gerard Gibbs a troqué l’orgue hammond contre des claviers numériques sur lesquels il va souvent chercher les sons les plus racoleurs, Alex White tient sa place, avec parfois une ostentation excessive, le bassiste fait le job, et James Carter, sur un répertoire qui va de Joe Sample à Roland Kirk, nous submerge d’effets électroniques, de frénésie instrumentale et de contrastes téléphonés qui font naître en moi un sentiment de lassitude agacée. J’ai un peu de mal à comprendre comment ce musicien supérieurement doué, doublé d’un instrumentiste d’une maîtrise confondante, peut se complaire dans ce racolage : désinvolture, goût de la provocation, réel plaisir de la parodie ? Je l’ignore, et j’attendrai un prochain concert du saxophoniste pour affermir mon jugement…. En rappel, comme souvent quand il se produit dans notre pays, James Carter a joué Nuages, de Django Reinhardt (auquel il avait naguère consacré tout un disque). Longue intro en solo avec des slaps, des effets électroniques, puis entrée des partenaires pour un tutti, et une escapade up tempo. Mais l’impression globale laissée par ce concert demeure plus que mitigée….

Xavier Prévost