Jazz live
Publié le 15 Avr 2014

Jack DeJohnette Spring Quartet au Châtelet, Ambrose Akinmusire au Duc

Ce soir 15 avril, le Spring Quartet de Jack DeJohnette donnait au Théâtre du Châtelet le dernier concert d’une longue tournée européenne. À 150 mètres de là, Ambrose Akinmusire Quintet présentait au Duc de Lombards, non pas la musique de son merveilleux dernier disque, mais la musique de son quintette régulier non moins merveilleux.

 

Théâtre du Châtelet, Paris (75), le 15 avril, 20h00

 

Jack DeJohnette Spring Quartet : Joe Lovano (sax ténor, taragot, aulochrome, sax soprano), Leo Genovese (piano), Esperanza Spalding (contrebasse), Jack DeJohnette (batterie).

 

Duc des Lombards, Paris (75), le 15 avril, 22h15

 

Ambrose Akinmusire Quintet : Ambrose Akinmusire (trompette), Walter Smith III (sax ténor), Sam Harris (piano), Harish Raghavan (contrebasse), Justin Brown (batterie). Invité sur un morceau : Logan Richardson (sax alto).

 

Si je reprends à mon compte l’idée de Marcel Duchamp selon laquelle c’est le regardeur qui fait le tableau, ce soir, je pourrais dire que le concert de Jack DeJohnette au Théâtre du Châtelet n’a pas eu lieu. Ce qui serait faire preuve d’une grande mégalomanie si l’on considère les ovations qui ont salué “le concert” (il y en eu donc bien un). Mais si l’on considère les ovations qui eurent lieu dès l’entrée des musiciens sur scène, surtout concernant Esperanza Spalding, on pourrait aussi dire que le concert avait eu lieu avant même qu’ils n’aient joué une seule note. Sauf pour un quarteron de jazz-critics ronchons qui n’avaient pas payé leur place. A vrai dire, vu la somme de travail qui m’attend sur mon bureau personnel à la maison et le bouclage de notre numéro de mai qui s’approche, je n’avais pas l’intention de sortir ce soir. Et puis, imaginant la scène : le vieux rédacteur en chef qui ne va écouter que des musiciens émergents dans des salles de 100 places maximum, ça peut paraître suspect. Et je me suis fait violence, d’autant plus qu’à 200 mètres du Châtelet, au Duc des Lombards, passait celui sur lequel la rédaction de Jazzmag a parié en en faisant sa couv du numéro encore en kiosque, auquel j’avais préféré hier un tout jeune émergent du nom de Daniel Humair.

 

Le regardeur que je suis ne serait-il pas venu à reculons ? Ne serait-il pas le seul responsable de sa “cécité” ? Il a bien vu quelque chose tout de même, non ? Certes, d’excellents musiciens, Joe Lovano toujours énorme, surtout au ténor, touchant au taragot, agaçant à l’aulochrome (prototype de “double soprano” conçu par François Louis qui l’avait d’abord confié à Fabrizzio Cassol puis l’a remis à Lovano qui n’en tire que de superficiels effets à la Kirk quand Cassol avait entamé une formidable réflexion sur les possibilités acoustiques de l’instrument). Esperanza Spalding, excellente contrebassiste, élégante, gracieuse (stupéfiante aussi dans une introduction chantée, mais qui sous les doigts d’un saxophoniste aurait surement passé pour une exercice un peu trop technique), avec un vilain son hélas qui la desservait surtout sur les walking bass. Jack Dejohnette ? Planplan dans le ternaire, puis bruyant (et ce n’était pas une question de volume). Leo Genovese ? Brillant, mais je ne saurais en dire plus… De même que je ne saurais en dire plus de la musique jouée, hétéroclite… Mais qui suis-je pour en juger, moi qui n’ait rien entendu ? Car je n’ai rien entendu, en tout cas rien qui sonnait comme ça aurait dû, où ça aurait dû, sinon quatre musiciens jouant dans des boites différentes mais dont les différents sons venaient se brouiller en corbeille où je me trouvais. Suis-je bon pour le sonotone ? Alors on est plusieurs, car je n’étais pas vraiment tout seul à déplorer cette imprécision qui m’empêche de rendre un véritable avis sur la musique entendue ce soir, imprécision que je ne rencontre pas pour la première fois dans cette salle (on se souvient du concert de l’ONJ d’Yvinec, celui d’Henri Texier avec le même Lovano…). Alors… Faut-il interdire cette salle au jazz ? Ce serait d’autant plus dommage de supprimer l’une des rares programmation jazz de cette jauge à Paris intramuros que j’y ai entendu voici quelques années tout un Paris Jazz Festival admirablement sonorisé. Il est grand temps que le Théâtre du Châtelet se donne les moyens de ses ambitions, s’il veut programmer autre chose que de L’Auberge du Cheval blanc.

 

Sorti vaguement déprimé de ce non-lieu, je me suis requinqué au Duc des Lombards, bien que tassé dans l’entrée d’un club bondé, en regardeur éperdu d’un concert qui existait dans tous les sens du terme. J’y ai trouvé là toutes les vertus de la musique new-yorkaise contemporaine qui est née dans les années 90 au carrefour du M’Base et du Smalls, cette musique pour laquelle on se passionne et que l’on se contraint parfois à aimer tellement elle est parfaitement galbée et intelligente, mais dont on se demande, qu’elle soit faite par des New-yorkais (du Danemark, de Catalogne ou d’Israel) ou par nos petits amis français, si elle ne nous barbe pas un peu. En sortant ce soir du Duc, je ne me prononcerais pas, de peur de pratiquer l’amalgame, mais gare… Ambrose et ses quatre merveilleux comparses, eux, jouent ce vocabulaire et cette aisance, cette intelligence et ce galbe, mais avec une profondeur et une légèreté, une humanité et un humour qui devraient amener beaucoup de musiciens à s’interroger. Ils étaient nombreux ce soir, d’ailleurs, estomaqués… Esperanza Spalding apparue juste à côté de moi durant les dernières minutes du rappel, pendant une bouleversante cadence a capella de la trompette et du ténor, n’était pas la dernière. Franck Bergerot< /span>

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Ce soir 15 avril, le Spring Quartet de Jack DeJohnette donnait au Théâtre du Châtelet le dernier concert d’une longue tournée européenne. À 150 mètres de là, Ambrose Akinmusire Quintet présentait au Duc de Lombards, non pas la musique de son merveilleux dernier disque, mais la musique de son quintette régulier non moins merveilleux.

 

Théâtre du Châtelet, Paris (75), le 15 avril, 20h00

 

Jack DeJohnette Spring Quartet : Joe Lovano (sax ténor, taragot, aulochrome, sax soprano), Leo Genovese (piano), Esperanza Spalding (contrebasse), Jack DeJohnette (batterie).

 

Duc des Lombards, Paris (75), le 15 avril, 22h15

 

Ambrose Akinmusire Quintet : Ambrose Akinmusire (trompette), Walter Smith III (sax ténor), Sam Harris (piano), Harish Raghavan (contrebasse), Justin Brown (batterie). Invité sur un morceau : Logan Richardson (sax alto).

 

Si je reprends à mon compte l’idée de Marcel Duchamp selon laquelle c’est le regardeur qui fait le tableau, ce soir, je pourrais dire que le concert de Jack DeJohnette au Théâtre du Châtelet n’a pas eu lieu. Ce qui serait faire preuve d’une grande mégalomanie si l’on considère les ovations qui ont salué “le concert” (il y en eu donc bien un). Mais si l’on considère les ovations qui eurent lieu dès l’entrée des musiciens sur scène, surtout concernant Esperanza Spalding, on pourrait aussi dire que le concert avait eu lieu avant même qu’ils n’aient joué une seule note. Sauf pour un quarteron de jazz-critics ronchons qui n’avaient pas payé leur place. A vrai dire, vu la somme de travail qui m’attend sur mon bureau personnel à la maison et le bouclage de notre numéro de mai qui s’approche, je n’avais pas l’intention de sortir ce soir. Et puis, imaginant la scène : le vieux rédacteur en chef qui ne va écouter que des musiciens émergents dans des salles de 100 places maximum, ça peut paraître suspect. Et je me suis fait violence, d’autant plus qu’à 200 mètres du Châtelet, au Duc des Lombards, passait celui sur lequel la rédaction de Jazzmag a parié en en faisant sa couv du numéro encore en kiosque, auquel j’avais préféré hier un tout jeune émergent du nom de Daniel Humair.

 

Le regardeur que je suis ne serait-il pas venu à reculons ? Ne serait-il pas le seul responsable de sa “cécité” ? Il a bien vu quelque chose tout de même, non ? Certes, d’excellents musiciens, Joe Lovano toujours énorme, surtout au ténor, touchant au taragot, agaçant à l’aulochrome (prototype de “double soprano” conçu par François Louis qui l’avait d’abord confié à Fabrizzio Cassol puis l’a remis à Lovano qui n’en tire que de superficiels effets à la Kirk quand Cassol avait entamé une formidable réflexion sur les possibilités acoustiques de l’instrument). Esperanza Spalding, excellente contrebassiste, élégante, gracieuse (stupéfiante aussi dans une introduction chantée, mais qui sous les doigts d’un saxophoniste aurait surement passé pour une exercice un peu trop technique), avec un vilain son hélas qui la desservait surtout sur les walking bass. Jack Dejohnette ? Planplan dans le ternaire, puis bruyant (et ce n’était pas une question de volume). Leo Genovese ? Brillant, mais je ne saurais en dire plus… De même que je ne saurais en dire plus de la musique jouée, hétéroclite… Mais qui suis-je pour en juger, moi qui n’ait rien entendu ? Car je n’ai rien entendu, en tout cas rien qui sonnait comme ça aurait dû, où ça aurait dû, sinon quatre musiciens jouant dans des boites différentes mais dont les différents sons venaient se brouiller en corbeille où je me trouvais. Suis-je bon pour le sonotone ? Alors on est plusieurs, car je n’étais pas vraiment tout seul à déplorer cette imprécision qui m’empêche de rendre un véritable avis sur la musique entendue ce soir, imprécision que je ne rencontre pas pour la première fois dans cette salle (on se souvient du concert de l’ONJ d’Yvinec, celui d’Henri Texier avec le même Lovano…). Alors… Faut-il interdire cette salle au jazz ? Ce serait d’autant plus dommage de supprimer l’une des rares programmation jazz de cette jauge à Paris intramuros que j’y ai entendu voici quelques années tout un Paris Jazz Festival admirablement sonorisé. Il est grand temps que le Théâtre du Châtelet se donne les moyens de ses ambitions, s’il veut programmer autre chose que de L’Auberge du Cheval blanc.

 

Sorti vaguement déprimé de ce non-lieu, je me suis requinqué au Duc des Lombards, bien que tassé dans l’entrée d’un club bondé, en regardeur éperdu d’un concert qui existait dans tous les sens du terme. J’y ai trouvé là toutes les vertus de la musique new-yorkaise contemporaine qui est née dans les années 90 au carrefour du M’Base et du Smalls, cette musique pour laquelle on se passionne et que l’on se contraint parfois à aimer tellement elle est parfaitement galbée et intelligente, mais dont on se demande, qu’elle soit faite par des New-yorkais (du Danemark, de Catalogne ou d’Israel) ou par nos petits amis français, si elle ne nous barbe pas un peu. En sortant ce soir du Duc, je ne me prononcerais pas, de peur de pratiquer l’amalgame, mais gare… Ambrose et ses quatre merveilleux comparses, eux, jouent ce vocabulaire et cette aisance, cette intelligence et ce galbe, mais avec une profondeur et une légèreté, une humanité et un humour qui devraient amener beaucoup de musiciens à s’interroger. Ils étaient nombreux ce soir, d’ailleurs, estomaqués… Esperanza Spalding apparue juste à côté de moi durant les dernières minutes du rappel, pendant une bouleversante cadence a capella de la trompette et du ténor, n’était pas la dernière. Franck Bergerot< /span>

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Ce soir 15 avril, le Spring Quartet de Jack DeJohnette donnait au Théâtre du Châtelet le dernier concert d’une longue tournée européenne. À 150 mètres de là, Ambrose Akinmusire Quintet présentait au Duc de Lombards, non pas la musique de son merveilleux dernier disque, mais la musique de son quintette régulier non moins merveilleux.

 

Théâtre du Châtelet, Paris (75), le 15 avril, 20h00

 

Jack DeJohnette Spring Quartet : Joe Lovano (sax ténor, taragot, aulochrome, sax soprano), Leo Genovese (piano), Esperanza Spalding (contrebasse), Jack DeJohnette (batterie).

 

Duc des Lombards, Paris (75), le 15 avril, 22h15

 

Ambrose Akinmusire Quintet : Ambrose Akinmusire (trompette), Walter Smith III (sax ténor), Sam Harris (piano), Harish Raghavan (contrebasse), Justin Brown (batterie). Invité sur un morceau : Logan Richardson (sax alto).

 

Si je reprends à mon compte l’idée de Marcel Duchamp selon laquelle c’est le regardeur qui fait le tableau, ce soir, je pourrais dire que le concert de Jack DeJohnette au Théâtre du Châtelet n’a pas eu lieu. Ce qui serait faire preuve d’une grande mégalomanie si l’on considère les ovations qui ont salué “le concert” (il y en eu donc bien un). Mais si l’on considère les ovations qui eurent lieu dès l’entrée des musiciens sur scène, surtout concernant Esperanza Spalding, on pourrait aussi dire que le concert avait eu lieu avant même qu’ils n’aient joué une seule note. Sauf pour un quarteron de jazz-critics ronchons qui n’avaient pas payé leur place. A vrai dire, vu la somme de travail qui m’attend sur mon bureau personnel à la maison et le bouclage de notre numéro de mai qui s’approche, je n’avais pas l’intention de sortir ce soir. Et puis, imaginant la scène : le vieux rédacteur en chef qui ne va écouter que des musiciens émergents dans des salles de 100 places maximum, ça peut paraître suspect. Et je me suis fait violence, d’autant plus qu’à 200 mètres du Châtelet, au Duc des Lombards, passait celui sur lequel la rédaction de Jazzmag a parié en en faisant sa couv du numéro encore en kiosque, auquel j’avais préféré hier un tout jeune émergent du nom de Daniel Humair.

 

Le regardeur que je suis ne serait-il pas venu à reculons ? Ne serait-il pas le seul responsable de sa “cécité” ? Il a bien vu quelque chose tout de même, non ? Certes, d’excellents musiciens, Joe Lovano toujours énorme, surtout au ténor, touchant au taragot, agaçant à l’aulochrome (prototype de “double soprano” conçu par François Louis qui l’avait d’abord confié à Fabrizzio Cassol puis l’a remis à Lovano qui n’en tire que de superficiels effets à la Kirk quand Cassol avait entamé une formidable réflexion sur les possibilités acoustiques de l’instrument). Esperanza Spalding, excellente contrebassiste, élégante, gracieuse (stupéfiante aussi dans une introduction chantée, mais qui sous les doigts d’un saxophoniste aurait surement passé pour une exercice un peu trop technique), avec un vilain son hélas qui la desservait surtout sur les walking bass. Jack Dejohnette ? Planplan dans le ternaire, puis bruyant (et ce n’était pas une question de volume). Leo Genovese ? Brillant, mais je ne saurais en dire plus… De même que je ne saurais en dire plus de la musique jouée, hétéroclite… Mais qui suis-je pour en juger, moi qui n’ait rien entendu ? Car je n’ai rien entendu, en tout cas rien qui sonnait comme ça aurait dû, où ça aurait dû, sinon quatre musiciens jouant dans des boites différentes mais dont les différents sons venaient se brouiller en corbeille où je me trouvais. Suis-je bon pour le sonotone ? Alors on est plusieurs, car je n’étais pas vraiment tout seul à déplorer cette imprécision qui m’empêche de rendre un véritable avis sur la musique entendue ce soir, imprécision que je ne rencontre pas pour la première fois dans cette salle (on se souvient du concert de l’ONJ d’Yvinec, celui d’Henri Texier avec le même Lovano…). Alors… Faut-il interdire cette salle au jazz ? Ce serait d’autant plus dommage de supprimer l’une des rares programmation jazz de cette jauge à Paris intramuros que j’y ai entendu voici quelques années tout un Paris Jazz Festival admirablement sonorisé. Il est grand temps que le Théâtre du Châtelet se donne les moyens de ses ambitions, s’il veut programmer autre chose que de L’Auberge du Cheval blanc.

 

Sorti vaguement déprimé de ce non-lieu, je me suis requinqué au Duc des Lombards, bien que tassé dans l’entrée d’un club bondé, en regardeur éperdu d’un concert qui existait dans tous les sens du terme. J’y ai trouvé là toutes les vertus de la musique new-yorkaise contemporaine qui est née dans les années 90 au carrefour du M’Base et du Smalls, cette musique pour laquelle on se passionne et que l’on se contraint parfois à aimer tellement elle est parfaitement galbée et intelligente, mais dont on se demande, qu’elle soit faite par des New-yorkais (du Danemark, de Catalogne ou d’Israel) ou par nos petits amis français, si elle ne nous barbe pas un peu. En sortant ce soir du Duc, je ne me prononcerais pas, de peur de pratiquer l’amalgame, mais gare… Ambrose et ses quatre merveilleux comparses, eux, jouent ce vocabulaire et cette aisance, cette intelligence et ce galbe, mais avec une profondeur et une légèreté, une humanité et un humour qui devraient amener beaucoup de musiciens à s’interroger. Ils étaient nombreux ce soir, d’ailleurs, estomaqués… Esperanza Spalding apparue juste à côté de moi durant les dernières minutes du rappel, pendant une bouleversante cadence a capella de la trompette et du ténor, n’était pas la dernière. Franck Bergerot< /span>

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Ce soir 15 avril, le Spring Quartet de Jack DeJohnette donnait au Théâtre du Châtelet le dernier concert d’une longue tournée européenne. À 150 mètres de là, Ambrose Akinmusire Quintet présentait au Duc de Lombards, non pas la musique de son merveilleux dernier disque, mais la musique de son quintette régulier non moins merveilleux.

 

Théâtre du Châtelet, Paris (75), le 15 avril, 20h00

 

Jack DeJohnette Spring Quartet : Joe Lovano (sax ténor, taragot, aulochrome, sax soprano), Leo Genovese (piano), Esperanza Spalding (contrebasse), Jack DeJohnette (batterie).

 

Duc des Lombards, Paris (75), le 15 avril, 22h15

 

Ambrose Akinmusire Quintet : Ambrose Akinmusire (trompette), Walter Smith III (sax ténor), Sam Harris (piano), Harish Raghavan (contrebasse), Justin Brown (batterie). Invité sur un morceau : Logan Richardson (sax alto).

 

Si je reprends à mon compte l’idée de Marcel Duchamp selon laquelle c’est le regardeur qui fait le tableau, ce soir, je pourrais dire que le concert de Jack DeJohnette au Théâtre du Châtelet n’a pas eu lieu. Ce qui serait faire preuve d’une grande mégalomanie si l’on considère les ovations qui ont salué “le concert” (il y en eu donc bien un). Mais si l’on considère les ovations qui eurent lieu dès l’entrée des musiciens sur scène, surtout concernant Esperanza Spalding, on pourrait aussi dire que le concert avait eu lieu avant même qu’ils n’aient joué une seule note. Sauf pour un quarteron de jazz-critics ronchons qui n’avaient pas payé leur place. A vrai dire, vu la somme de travail qui m’attend sur mon bureau personnel à la maison et le bouclage de notre numéro de mai qui s’approche, je n’avais pas l’intention de sortir ce soir. Et puis, imaginant la scène : le vieux rédacteur en chef qui ne va écouter que des musiciens émergents dans des salles de 100 places maximum, ça peut paraître suspect. Et je me suis fait violence, d’autant plus qu’à 200 mètres du Châtelet, au Duc des Lombards, passait celui sur lequel la rédaction de Jazzmag a parié en en faisant sa couv du numéro encore en kiosque, auquel j’avais préféré hier un tout jeune émergent du nom de Daniel Humair.

 

Le regardeur que je suis ne serait-il pas venu à reculons ? Ne serait-il pas le seul responsable de sa “cécité” ? Il a bien vu quelque chose tout de même, non ? Certes, d’excellents musiciens, Joe Lovano toujours énorme, surtout au ténor, touchant au taragot, agaçant à l’aulochrome (prototype de “double soprano” conçu par François Louis qui l’avait d’abord confié à Fabrizzio Cassol puis l’a remis à Lovano qui n’en tire que de superficiels effets à la Kirk quand Cassol avait entamé une formidable réflexion sur les possibilités acoustiques de l’instrument). Esperanza Spalding, excellente contrebassiste, élégante, gracieuse (stupéfiante aussi dans une introduction chantée, mais qui sous les doigts d’un saxophoniste aurait surement passé pour une exercice un peu trop technique), avec un vilain son hélas qui la desservait surtout sur les walking bass. Jack Dejohnette ? Planplan dans le ternaire, puis bruyant (et ce n’était pas une question de volume). Leo Genovese ? Brillant, mais je ne saurais en dire plus… De même que je ne saurais en dire plus de la musique jouée, hétéroclite… Mais qui suis-je pour en juger, moi qui n’ait rien entendu ? Car je n’ai rien entendu, en tout cas rien qui sonnait comme ça aurait dû, où ça aurait dû, sinon quatre musiciens jouant dans des boites différentes mais dont les différents sons venaient se brouiller en corbeille où je me trouvais. Suis-je bon pour le sonotone ? Alors on est plusieurs, car je n’étais pas vraiment tout seul à déplorer cette imprécision qui m’empêche de rendre un véritable avis sur la musique entendue ce soir, imprécision que je ne rencontre pas pour la première fois dans cette salle (on se souvient du concert de l’ONJ d’Yvinec, celui d’Henri Texier avec le même Lovano…). Alors… Faut-il interdire cette salle au jazz ? Ce serait d’autant plus dommage de supprimer l’une des rares programmation jazz de cette jauge à Paris intramuros que j’y ai entendu voici quelques années tout un Paris Jazz Festival admirablement sonorisé. Il est grand temps que le Théâtre du Châtelet se donne les moyens de ses ambitions, s’il veut programmer autre chose que de L’Auberge du Cheval blanc.

 

Sorti vaguement déprimé de ce non-lieu, je me suis requinqué au Duc des Lombards, bien que tassé dans l’entrée d’un club bondé, en regardeur éperdu d’un concert qui existait dans tous les sens du terme. J’y ai trouvé là toutes les vertus de la musique new-yorkaise contemporaine qui est née dans les années 90 au carrefour du M’Base et du Smalls, cette musique pour laquelle on se passionne et que l’on se contraint parfois à aimer tellement elle est parfaitement galbée et intelligente, mais dont on se demande, qu’elle soit faite par des New-yorkais (du Danemark, de Catalogne ou d’Israel) ou par nos petits amis français, si elle ne nous barbe pas un peu. En sortant ce soir du Duc, je ne me prononcerais pas, de peur de pratiquer l’amalgame, mais gare… Ambrose et ses quatre merveilleux comparses, eux, jouent ce vocabulaire et cette aisance, cette intelligence et ce galbe, mais avec une profondeur et une légèreté, une humanité et un humour qui devraient amener beaucoup de musiciens à s’interroger. Ils étaient nombreux ce soir, d’ailleurs, estomaqués… Esperanza Spalding apparue juste à côté de moi durant les dernières minutes du rappel, pendant une bouleversante cadence a capella de la trompette et du ténor, n’était pas la dernière. Franck Bergerot< /span>