Jazz live
Publié le 15 Août 2018

Jazz em Agosto : The Rite of Trio, Nova Quartet, Asmodeus, Simulacrum

La personnalité du trio de Porto est bien dessinée, et leur programmation à cette édition fait sens. Car il y a du Zorn dans l’esprit, les recherches formelles, les sautes d’humeur et décalages rythmiques de titres bien construits.

30 & 31 juillet

The Rite of Trio

André Bastos Silva (elg), Filipe Louro (b), Pedro Melo Alves (dm)

Jazz et rock (mais pas jazz-rock) font ici bon ménage. Le sens du suspense est imparable, jusqu’à tenir la salle dans un précieux silence pendant de longs instants. Mais pourquoi le trio s’est-il encombré d’une chanteuse dans les dernières minutes, faisant quelque peu retomber le soufflé ? Mystère. Recommandons toutefois l’écoute de « Getting all the evil of the piston collar », au CD inséré dans une pochette au format 45 tours. En plus de leurs instruments, les musiciens y sont crédités pour jouer de la « Pierre de Rosette » (Bastos Silva), « vision tunnellaire » (Louro) et « gyroscopes » (Melo Alves). Quant au curieux patronyme, il s’agit d’une double référence à Stravinsky et Mehldau.

Nova Quartet

John Medeski (p), Trevor Dunn (b), Kenny Wollesen (vib), Joey Baron (dm)

Joey Baron a fait l’aller-retour à Marciac (où il a rejoint le groupe de Dave Douglas et Joe Lovano) et le revoici à Lisbonne deux jours après Masada, pour un récital représentant l’un des versants les plus jazz de John Zorn. Avec ces fidèles lieutenants, notre homme maintient ainsi une connexion avec le genre. Un jazz empressé, bousculé, urbain, des thèmes alternativement enjôleurs et rythmés, lors desquels Medeski montre qu’il est un pianiste à ne pas négliger (on pouvait jusqu’ici le préférer organiste, il a fait des progrès). Kenny Wollesen est au vibraphone. Au programme, des Bagatelles, le festival étant largement placé sous le signe de ce répertoire. Dépourvu de l’extrémisme d’autres projets du Maître, le groupe tout acoustique se signale par l’originalité des compositions, la pertinence des solos et transitions, l’art de la nuance déployé par ses membres. A la fois joyeuse et nostalgique, la musique essaime un sentiment de plénitude, quelquefois troublé de quelque inquiétude indéfinie. Au milieu du set surgit un morceau semblant provenir d’un album Blue Note des années 60. Sans nul doute la seule compo de Zorn pouvant légitimement être confondue avec une pièce d’Herbie Hancock ! Cette formation parmi les plus « classiques » du festival partagera pourtant les spectateurs, les uns y déplorant l’absence du mordant zornien, les autres en appréciant au contraire la tempérance.

Asmodeus

Marc Ribot (elg), Trevor Dunn (elb), Kenny Grohowski (dm), John Zorn (cond)

Le mordant, le voilà, et pas qu’un peu. Par rapport au disque paru en 2007 sous le titre Asmodeus (Book of Angels vol. 7), Kenny Grohowski a pris la place de Calvin Weston, le répertoire a changé et Zorn est à la manœuvre, dirigeant les musiciens parmi lesquels Marc Ribot qu’il houspille tout particulièrement. Le guitariste est poussé dans ses derniers retranchements, obligé de se dépasser et de se discipliner constamment. Zorn jubile de lui donner du fil à retordre. Si ce genre de situation pourrait conduire à des tensions, la satisfaction de l’exploit accompli est au bout du chemin, et l’auditeur se retrouve avec le meilleur concert de cette édition – le plus cinglant, compact, implacable, précis. Une tornade, qui envoie tout valdinguer sur son passage. Ribot livre des solos serrés comme des expressos. Dans cette mouture à dominante rock se glissent des grincements improvisés, une injection de disco, des collisions stylistiques employées de manière parcimonieuse et ayant fonction de brèves aérations. Le jeu de batterie est aussi touffu que celui qui tient les baguettes, et la force de frappe de chacun impressionne. Mais ce sont bien de compositions ciselées qu’il s’agit, aspect que l’on perçoit une fois dépassé le choc de la déflagration initiale. C’est dire si cette musique peut s’écouter à plusieurs niveaux. Les Bagatelles constituent un ensemble de 300 compositions, qui ne devaient pas être enregistrées. Zorn semble avoir changé d’avis, tant ces « petites choses sans importance » ont tout du renouvellement majeur, et s’inscrivent dans la logique de l’œuvre. Un Zorn à l’écriture revivifiée, et dont on goûte la dernière apparition personnelle au festival. Les mouvements des branches et buissons derrière la scène se calent sur ceux des compositions, que Zorn présente avec humour : « la traître n°2-69 », « la casse-gueule n°1-40 »…

Simulacrum

John Medeski (org), Matt Hollenberg (elg), Kenny Grohowski (dm)

Quoique ne pouvant rivaliser avec la perfection d’Asmodeus (dont on retrouve ici le batteur), le trio Simulacrum a également fait l’effet d’une bombe. Cette formation musclée en diable s’est avérée aussi réjouissante sur scène que sur disque – six albums à ce jour. Medeski se tire de partitions complexes avec une facilité déconcertante, quitte la scène aussi frais qu’il y est entré, tandis que ce hard-rock ignorant les limitations de vitesse ébouriffe et gifle l’auditeur sans relâche. Christian Pouget, réalisateur d’un film sur Théo Ceccaldi (et d’un autre, en cours de montage, sur Joëlle Léandre) propose avec justesse la comparaison suivante : « Quelque part entre Slayer et le Lifetime de Tony Williams « Emergency », Simulacrum pulvérise les sons ! » David Cristol

Photos : Gulbenkian Música / Petra Cvelbar