Jazz live
Publié le 17 Avr 2023

Lois Le Van et Alban Darche, duo d’alchimistes

 

Lois Le Van et Alban Darche se sont livrés vendredi soir à un magnifique travail de transmutation de grands standards du jazz, de la chanson française, ou de la pop.

Lois le Van (voc), Alban Darche (sax alto) plus invités sylvain Rifflet (sax tenor), Paul jarret (g), Baptiste Trottignon (p), jeudi 13 avril 2023

Le but d’Alban Darche, pour ce nouveau disque, était de revenir à une spontanéité jazzistique à l’ancienne : pas de répétition, plutôt un bon gueuleton. Avec l’idée que si les esprits (et les estomacs) sont contents, la musique en bénéficierait par ricochet.  Bon calcul. La joie de jouer est palpable. Et les musiciens sont d’un tel calibre, à commencer par Alban Darche lui-même, que des arrangements spontanés leur viennent dans le feu de l’action. On a donc l’impression d’une musique dépouillée, mais jamais débraillée. C’est le cas par exemple dans ce merveilleux I’ll be seing you, une des chansons fétiches d’Alban Darche, dont il a déjà gravé de splendides versions, en particulier avec l’Orphicube, un de ses grands ensembles, sur le très beau disque Atomic Flonflons, avec ce passage de flûtes ivres de leur envol,  au milieu du morceau qui est incroyable (allez-y donc jeter une oreille, vous verrez). Ici, donc il trouve une sorte d’arrangements avec Sylvain Rifflet , saxophoniste invité, reposant sur un petit concerto de slaps, qui donne un écrin chatoyant à la mélancolique chanson attachée pour toujours à Billie Holiday.

Le chanteur est donc Lois Le Van. Dès les premières mesures, nous voilà captif de cette manière de chanter que l’on avait découverte dans « Oh my love », un autre album d’Alban Darche, où il se glissait dans Parce que je t’aime de Barbara. Lois le Van chante comme personne. Il réinvente les chansons de l’intérieur, avec une économie de moyens qui les met à nu, et qui transforme même des chansons un peu clinquantes comme les Mots bleus ou Comme d’habitude en confidences pudiques. Il fait ressortir la fragilité des chansons. Il trouve leurs lignes de faille, les sonde, les fait siennes. Parfois, il semble même se retirer des chansons, comme s’il était joué par elles. Son art de la nuance et de la douceur donne de magnifiques versions de Old man (Neil Young), les moulins de mon cœur (Michel Legrand), ou Karma Police (Radiohead). A certains moments (sur les mots bleus par exemple) Lois Le Van montre que sa voix chaude est capable de force et de percussion. Des invités choisis prêtent main douce à Alban Darche et Lois Le Van dans son travail de transfiguration. Paul Jarret apporte ses ornementations de dentelles lyriques ou de textures bien choisies. Baptiste Trotignon fait entendre des phrases tantôt délicates, tantôt acérées, mais toujours absolument nécessaires.

Quelques mots encore sur Alban Darche. Il y a trois semaines , il était au Pan Piper avec une de ses grandes formations, le gros Cube. Le concert était magnifique, j’ai manqué de temps pour en parler, mais j’ai passé un trop bon moment pour ne pas en dire ne serait ce que quelques mots. Alban Darche sait pétrir de façon personnelle et unique ses big bands, opérant des changements de direction, des virevoltes, avec cette manière d’emmener l’orchestre dans des directions éthérées ou groovantes, parfois en même temps, parfois dans le même morceau. Magnifique section de saxes avec un Stéphane Payen très en forme, magnifique section de trompettes avec Olivier Laisney, Jean-Pierre Estiévenart, Geoffroy Tamisier, magnifique section de trombones avec jean-Louis Pommier, fidèle compagnon de Darche. Je me souviens encore d’un solo qui déchire tout de Stéphane Payen sur A la Bougie, d’un autre du même calibre de Mathieu Donarier sur Un olivier à la maison, et d’une version de La Martipontine à coller les tables et les chaises au plafond, et à faire danser tous les culs de jatte.

 

Texte JF Mondot

Dessins Annie-Claire Alvoët (autres dessins, peintures à découvrir sur son site www.annie-claire)