Jazz live
Publié le 29 Nov 2012

Marc Buronfosse Sounds Quartet à L’Improviste

 

Révélation Jazzmag voici deux ans, le Sounds Quartet du contrebassiste Marc Buronfosse jouait hier, 28 novembre, à Paris, à la péniche L’Improviste. Avec Jean-Charles Richard, Benjamin Moussay et Antoine Banville.


Péniche l’Improviste, Paris (75), le 28 novembre 2012.


Marc Buronfosse Quartet : Jean-Charles Richard (sax soprano), Benjamin Moussay (piano, synthétiseur), Marc Buronfosse (contrebasse), Antoine Banville (dm).


J’écrivais il y a quelques jours que la péniche L’Improviste se trouvait à 10mn d’Opéra. J’ai exagéré. J’ai chronométré hier : 5 minutes de marche à pied, 15 minutes de métro, plus éventuellement une attente de rame qui, à minuit peut durer 7 minutes. Bref, l’Improviste n’est pas plus excentré que Pleyel ou la Cité de la musique. De toute façon, où que j’aille écouter de la musique, il me faut une heure à une heure et demie pour regagner mon domicile, alors les Parisiens me font marrer. Les transports en commun constituant un salon de lecture beaucoup plus vaste que mon petit bureau où je ne sais plus où mettre les pieds ni ou poser mon verre de prune, ça tombe plutôt bien. Hier, en rentrant de L’Improviste, je lisais le Petit Dictionnaire incomplet des incompris d’Alain Gerber (Alter Ego Editions), merveilleuse petite machine à revisiter le jazz, qui me ravit autant qu’elle m’exaspère.

Qui me ravit, d’abord parce qu’il s’agit de littérature (et rentrer chez soi en lisant le portrait à la Edward Hopper de Bobby Hackett, c’est s’assurer la clé des songes pour la nuit à venir), mais aussi parce qu’elle bat en brèche l’idée, très répandue, selon laquelle tout se passe Salle Pleyel ou à la rigueur rue des Lombards, ou encore à New York, et que, s’il est des musiciens qui n’ont pas de public, c’est qu’ils ne le méritent pas. Parce qu’elle me donne raison, d’avoir été hier soir à la Péniche écouter Marc Buronfosse ou d’aller ce soir, 29 novembre, au Conservatoire de Bourg-la-Reine, écouter Guillaume de Chassy.


Qui m’exaspère parce que c’est l’ouvrage d’un assis, qui s’est assis voici quelques décennies en décidant que l’Histoire était terminée et qu’il ne lui restait plus qu’à l’écrire avec une plume affûtée à l’eau de nostalgie. Une position commune que j’observais la première fois, il y a bien longtemps, chez mon grand-père qui se plaisait à répéter : « Ah, les enfants ! Le cirque (la mode, les hommes politiques, la guerre, les rois nègres – il parlait toujours du Grand Charles et de ses rois nègres –, le respect, le pain au chocolat) n’est plus ce qu’il était. » Circulez, les enfants, rentrez chez vous, il n’y a rien à voir. Plus rien. C’est de qu’on lit en filigrane des pages de Gerber et de l’incrédulité de ceux qui me voient courir les lieux et qui s’entendent tous sur ce point : l’ère du génie est passée. Ce que je m’en tape du génie, comme s’en tapait probablement Don Bailey ou Jimmy Jones auquel Gerber adresse un bel éloge de l’abnégation. La vie, voilà ce qui me tire hors de chez moi.


Revenons donc à la vie et à Marc Buronfosse, qui nous habitua longtemps à cette abnégation (de Bojan Z à Stéphane Guillaume), avant de céder à la démangeaison de donner son point de vue. C’est tout sauf un “groupe de sideman” qu’il a mis sur pied. Depuis l’enregistrement de son unique disque en 2009, il n’a pas été admis sur scène une demie-douzaine de fois et pourtant il tourne comme une horloge… Une horloge qui ne tourne pas comme une horloge, mais dont les heures, les minutes et les secondes sont tellement inattendues qu’elles empêchent tout le monde de s’endormir. Du jazz, c’en est, n’allez pas croire que c’est de ces musiques – passionnantes au demeurant – où l’on se demande « en est-ce ? En est-ce pas ? Est-ce qu’on s’en fout ? » Non, c’est du jazz, du vrai, comme on pouvait en inventer sur le label Blue Note dans les années 60 lorsque Herbie ou Andrew était au piano, Ron ou Reggie à la basse, Elvin ou Joe à la batterie, avec le langage d’aujourd’hui qui s’est enrichi, comme le langage des années 60, s’était lui-même enrichi, mais autour d’un axe qui s’appelle le jazz. Benjamin Moussay le dit lui-même : « C’est le seul orchestre vraiment jazz auquel je collabore. » Et il en redemande, ils en redemandent tous les trois, solidaires de leur chef-contrebassiste dont les partitions sont de merveilleux terrains de jeu. Pas de ces terrains de foot au carré où se joue chaque dimanche, à peu de choses près, la même partie, mais des terrains gigognes, qui s’escamotent les uns les autres, avec des chausse-trappes et des miroirs que l’on traverse, des labyrinthes et des palais des glaces, des montagnes russes et des ciels d’Espagne… Et l’on sort de là en lisant les émerveillements d’Alain Gerber et en se disant qu’il n’y a pas de quoi s’en faire, la vie continue, même si n’est pas marrant tous les jours. Raison de plus pour continuer.


Franck Bergerot


Vendredi 30 novembre à la Péniche l’Improviste, début d’une résidence accordée au guitariste Pierre Durand avec un ciné-concert en duo avec Richad Bonnet sur Steamboat Bill, Jr. de Buster Keaton. Et le même soir, aux 3 arts (21 rue des Rigoles), le joueur de cornemuses du Centre et d’ailleurs, Philippe Prieur (par ailleurs auteur d’un merveilleux Sancerre) sera l’hôte du Cabrette Club, mais ça c’est une autre histoire.

 

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Révélation Jazzmag voici deux ans, le Sounds Quartet du contrebassiste Marc Buronfosse jouait hier, 28 novembre, à Paris, à la péniche L’Improviste. Avec Jean-Charles Richard, Benjamin Moussay et Antoine Banville.


Péniche l’Improviste, Paris (75), le 28 novembre 2012.


Marc Buronfosse Quartet : Jean-Charles Richard (sax soprano), Benjamin Moussay (piano, synthétiseur), Marc Buronfosse (contrebasse), Antoine Banville (dm).


J’écrivais il y a quelques jours que la péniche L’Improviste se trouvait à 10mn d’Opéra. J’ai exagéré. J’ai chronométré hier : 5 minutes de marche à pied, 15 minutes de métro, plus éventuellement une attente de rame qui, à minuit peut durer 7 minutes. Bref, l’Improviste n’est pas plus excentré que Pleyel ou la Cité de la musique. De toute façon, où que j’aille écouter de la musique, il me faut une heure à une heure et demie pour regagner mon domicile, alors les Parisiens me font marrer. Les transports en commun constituant un salon de lecture beaucoup plus vaste que mon petit bureau où je ne sais plus où mettre les pieds ni ou poser mon verre de prune, ça tombe plutôt bien. Hier, en rentrant de L’Improviste, je lisais le Petit Dictionnaire incomplet des incompris d’Alain Gerber (Alter Ego Editions), merveilleuse petite machine à revisiter le jazz, qui me ravit autant qu’elle m’exaspère.

Qui me ravit, d’abord parce qu’il s’agit de littérature (et rentrer chez soi en lisant le portrait à la Edward Hopper de Bobby Hackett, c’est s’assurer la clé des songes pour la nuit à venir), mais aussi parce qu’elle bat en brèche l’idée, très répandue, selon laquelle tout se passe Salle Pleyel ou à la rigueur rue des Lombards, ou encore à New York, et que, s’il est des musiciens qui n’ont pas de public, c’est qu’ils ne le méritent pas. Parce qu’elle me donne raison, d’avoir été hier soir à la Péniche écouter Marc Buronfosse ou d’aller ce soir, 29 novembre, au Conservatoire de Bourg-la-Reine, écouter Guillaume de Chassy.


Qui m’exaspère parce que c’est l’ouvrage d’un assis, qui s’est assis voici quelques décennies en décidant que l’Histoire était terminée et qu’il ne lui restait plus qu’à l’écrire avec une plume affûtée à l’eau de nostalgie. Une position commune que j’observais la première fois, il y a bien longtemps, chez mon grand-père qui se plaisait à répéter : « Ah, les enfants ! Le cirque (la mode, les hommes politiques, la guerre, les rois nègres – il parlait toujours du Grand Charles et de ses rois nègres –, le respect, le pain au chocolat) n’est plus ce qu’il était. » Circulez, les enfants, rentrez chez vous, il n’y a rien à voir. Plus rien. C’est de qu’on lit en filigrane des pages de Gerber et de l’incrédulité de ceux qui me voient courir les lieux et qui s’entendent tous sur ce point : l’ère du génie est passée. Ce que je m’en tape du génie, comme s’en tapait probablement Don Bailey ou Jimmy Jones auquel Gerber adresse un bel éloge de l’abnégation. La vie, voilà ce qui me tire hors de chez moi.


Revenons donc à la vie et à Marc Buronfosse, qui nous habitua longtemps à cette abnégation (de Bojan Z à Stéphane Guillaume), avant de céder à la démangeaison de donner son point de vue. C’est tout sauf un “groupe de sideman” qu’il a mis sur pied. Depuis l’enregistrement de son unique disque en 2009, il n’a pas été admis sur scène une demie-douzaine de fois et pourtant il tourne comme une horloge… Une horloge qui ne tourne pas comme une horloge, mais dont les heures, les minutes et les secondes sont tellement inattendues qu’elles empêchent tout le monde de s’endormir. Du jazz, c’en est, n’allez pas croire que c’est de ces musiques – passionnantes au demeurant – où l’on se demande « en est-ce ? En est-ce pas ? Est-ce qu’on s’en fout ? » Non, c’est du jazz, du vrai, comme on pouvait en inventer sur le label Blue Note dans les années 60 lorsque Herbie ou Andrew était au piano, Ron ou Reggie à la basse, Elvin ou Joe à la batterie, avec le langage d’aujourd’hui qui s’est enrichi, comme le langage des années 60, s’était lui-même enrichi, mais autour d’un axe qui s’appelle le jazz. Benjamin Moussay le dit lui-même : « C’est le seul orchestre vraiment jazz auquel je collabore. » Et il en redemande, ils en redemandent tous les trois, solidaires de leur chef-contrebassiste dont les partitions sont de merveilleux terrains de jeu. Pas de ces terrains de foot au carré où se joue chaque dimanche, à peu de choses près, la même partie, mais des terrains gigognes, qui s’escamotent les uns les autres, avec des chausse-trappes et des miroirs que l’on traverse, des labyrinthes et des palais des glaces, des montagnes russes et des ciels d’Espagne… Et l’on sort de là en lisant les émerveillements d’Alain Gerber et en se disant qu’il n’y a pas de quoi s’en faire, la vie continue, même si n’est pas marrant tous les jours. Raison de plus pour continuer.


Franck Bergerot


Vendredi 30 novembre à la Péniche l’Improviste, début d’une résidence accordée au guitariste Pierre Durand avec un ciné-concert en duo avec Richad Bonnet sur Steamboat Bill, Jr. de Buster Keaton. Et le même soir, aux 3 arts (21 rue des Rigoles), le joueur de cornemuses du Centre et d’ailleurs, Philippe Prieur (par ailleurs auteur d’un merveilleux Sancerre) sera l’hôte du Cabrette Club, mais ça c’est une autre histoire.

 

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Révélation Jazzmag voici deux ans, le Sounds Quartet du contrebassiste Marc Buronfosse jouait hier, 28 novembre, à Paris, à la péniche L’Improviste. Avec Jean-Charles Richard, Benjamin Moussay et Antoine Banville.


Péniche l’Improviste, Paris (75), le 28 novembre 2012.


Marc Buronfosse Quartet : Jean-Charles Richard (sax soprano), Benjamin Moussay (piano, synthétiseur), Marc Buronfosse (contrebasse), Antoine Banville (dm).


J’écrivais il y a quelques jours que la péniche L’Improviste se trouvait à 10mn d’Opéra. J’ai exagéré. J’ai chronométré hier : 5 minutes de marche à pied, 15 minutes de métro, plus éventuellement une attente de rame qui, à minuit peut durer 7 minutes. Bref, l’Improviste n’est pas plus excentré que Pleyel ou la Cité de la musique. De toute façon, où que j’aille écouter de la musique, il me faut une heure à une heure et demie pour regagner mon domicile, alors les Parisiens me font marrer. Les transports en commun constituant un salon de lecture beaucoup plus vaste que mon petit bureau où je ne sais plus où mettre les pieds ni ou poser mon verre de prune, ça tombe plutôt bien. Hier, en rentrant de L’Improviste, je lisais le Petit Dictionnaire incomplet des incompris d’Alain Gerber (Alter Ego Editions), merveilleuse petite machine à revisiter le jazz, qui me ravit autant qu’elle m’exaspère.

Qui me ravit, d’abord parce qu’il s’agit de littérature (et rentrer chez soi en lisant le portrait à la Edward Hopper de Bobby Hackett, c’est s’assurer la clé des songes pour la nuit à venir), mais aussi parce qu’elle bat en brèche l’idée, très répandue, selon laquelle tout se passe Salle Pleyel ou à la rigueur rue des Lombards, ou encore à New York, et que, s’il est des musiciens qui n’ont pas de public, c’est qu’ils ne le méritent pas. Parce qu’elle me donne raison, d’avoir été hier soir à la Péniche écouter Marc Buronfosse ou d’aller ce soir, 29 novembre, au Conservatoire de Bourg-la-Reine, écouter Guillaume de Chassy.


Qui m’exaspère parce que c’est l’ouvrage d’un assis, qui s’est assis voici quelques décennies en décidant que l’Histoire était terminée et qu’il ne lui restait plus qu’à l’écrire avec une plume affûtée à l’eau de nostalgie. Une position commune que j’observais la première fois, il y a bien longtemps, chez mon grand-père qui se plaisait à répéter : « Ah, les enfants ! Le cirque (la mode, les hommes politiques, la guerre, les rois nègres – il parlait toujours du Grand Charles et de ses rois nègres –, le respect, le pain au chocolat) n’est plus ce qu’il était. » Circulez, les enfants, rentrez chez vous, il n’y a rien à voir. Plus rien. C’est de qu’on lit en filigrane des pages de Gerber et de l’incrédulité de ceux qui me voient courir les lieux et qui s’entendent tous sur ce point : l’ère du génie est passée. Ce que je m’en tape du génie, comme s’en tapait probablement Don Bailey ou Jimmy Jones auquel Gerber adresse un bel éloge de l’abnégation. La vie, voilà ce qui me tire hors de chez moi.


Revenons donc à la vie et à Marc Buronfosse, qui nous habitua longtemps à cette abnégation (de Bojan Z à Stéphane Guillaume), avant de céder à la démangeaison de donner son point de vue. C’est tout sauf un “groupe de sideman” qu’il a mis sur pied. Depuis l’enregistrement de son unique disque en 2009, il n’a pas été admis sur scène une demie-douzaine de fois et pourtant il tourne comme une horloge… Une horloge qui ne tourne pas comme une horloge, mais dont les heures, les minutes et les secondes sont tellement inattendues qu’elles empêchent tout le monde de s’endormir. Du jazz, c’en est, n’allez pas croire que c’est de ces musiques – passionnantes au demeurant – où l’on se demande « en est-ce ? En est-ce pas ? Est-ce qu’on s’en fout ? » Non, c’est du jazz, du vrai, comme on pouvait en inventer sur le label Blue Note dans les années 60 lorsque Herbie ou Andrew était au piano, Ron ou Reggie à la basse, Elvin ou Joe à la batterie, avec le langage d’aujourd’hui qui s’est enrichi, comme le langage des années 60, s’était lui-même enrichi, mais autour d’un axe qui s’appelle le jazz. Benjamin Moussay le dit lui-même : « C’est le seul orchestre vraiment jazz auquel je collabore. » Et il en redemande, ils en redemandent tous les trois, solidaires de leur chef-contrebassiste dont les partitions sont de merveilleux terrains de jeu. Pas de ces terrains de foot au carré où se joue chaque dimanche, à peu de choses près, la même partie, mais des terrains gigognes, qui s’escamotent les uns les autres, avec des chausse-trappes et des miroirs que l’on traverse, des labyrinthes et des palais des glaces, des montagnes russes et des ciels d’Espagne… Et l’on sort de là en lisant les émerveillements d’Alain Gerber et en se disant qu’il n’y a pas de quoi s’en faire, la vie continue, même si n’est pas marrant tous les jours. Raison de plus pour continuer.


Franck Bergerot


Vendredi 30 novembre à la Péniche l’Improviste, début d’une résidence accordée au guitariste Pierre Durand avec un ciné-concert en duo avec Richad Bonnet sur Steamboat Bill, Jr. de Buster Keaton. Et le même soir, aux 3 arts (21 rue des Rigoles), le joueur de cornemuses du Centre et d’ailleurs, Philippe Prieur (par ailleurs auteur d’un merveilleux Sancerre) sera l’hôte du Cabrette Club, mais ça c’est une autre histoire.

 

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Révélation Jazzmag voici deux ans, le Sounds Quartet du contrebassiste Marc Buronfosse jouait hier, 28 novembre, à Paris, à la péniche L’Improviste. Avec Jean-Charles Richard, Benjamin Moussay et Antoine Banville.


Péniche l’Improviste, Paris (75), le 28 novembre 2012.


Marc Buronfosse Quartet : Jean-Charles Richard (sax soprano), Benjamin Moussay (piano, synthétiseur), Marc Buronfosse (contrebasse), Antoine Banville (dm).


J’écrivais il y a quelques jours que la péniche L’Improviste se trouvait à 10mn d’Opéra. J’ai exagéré. J’ai chronométré hier : 5 minutes de marche à pied, 15 minutes de métro, plus éventuellement une attente de rame qui, à minuit peut durer 7 minutes. Bref, l’Improviste n’est pas plus excentré que Pleyel ou la Cité de la musique. De toute façon, où que j’aille écouter de la musique, il me faut une heure à une heure et demie pour regagner mon domicile, alors les Parisiens me font marrer. Les transports en commun constituant un salon de lecture beaucoup plus vaste que mon petit bureau où je ne sais plus où mettre les pieds ni ou poser mon verre de prune, ça tombe plutôt bien. Hier, en rentrant de L’Improviste, je lisais le Petit Dictionnaire incomplet des incompris d’Alain Gerber (Alter Ego Editions), merveilleuse petite machine à revisiter le jazz, qui me ravit autant qu’elle m’exaspère.

Qui me ravit, d’abord parce qu’il s’agit de littérature (et rentrer chez soi en lisant le portrait à la Edward Hopper de Bobby Hackett, c’est s’assurer la clé des songes pour la nuit à venir), mais aussi parce qu’elle bat en brèche l’idée, très répandue, selon laquelle tout se passe Salle Pleyel ou à la rigueur rue des Lombards, ou encore à New York, et que, s’il est des musiciens qui n’ont pas de public, c’est qu’ils ne le méritent pas. Parce qu’elle me donne raison, d’avoir été hier soir à la Péniche écouter Marc Buronfosse ou d’aller ce soir, 29 novembre, au Conservatoire de Bourg-la-Reine, écouter Guillaume de Chassy.


Qui m’exaspère parce que c’est l’ouvrage d’un assis, qui s’est assis voici quelques décennies en décidant que l’Histoire était terminée et qu’il ne lui restait plus qu’à l’écrire avec une plume affûtée à l’eau de nostalgie. Une position commune que j’observais la première fois, il y a bien longtemps, chez mon grand-père qui se plaisait à répéter : « Ah, les enfants ! Le cirque (la mode, les hommes politiques, la guerre, les rois nègres – il parlait toujours du Grand Charles et de ses rois nègres –, le respect, le pain au chocolat) n’est plus ce qu’il était. » Circulez, les enfants, rentrez chez vous, il n’y a rien à voir. Plus rien. C’est de qu’on lit en filigrane des pages de Gerber et de l’incrédulité de ceux qui me voient courir les lieux et qui s’entendent tous sur ce point : l’ère du génie est passée. Ce que je m’en tape du génie, comme s’en tapait probablement Don Bailey ou Jimmy Jones auquel Gerber adresse un bel éloge de l’abnégation. La vie, voilà ce qui me tire hors de chez moi.


Revenons donc à la vie et à Marc Buronfosse, qui nous habitua longtemps à cette abnégation (de Bojan Z à Stéphane Guillaume), avant de céder à la démangeaison de donner son point de vue. C’est tout sauf un “groupe de sideman” qu’il a mis sur pied. Depuis l’enregistrement de son unique disque en 2009, il n’a pas été admis sur scène une demie-douzaine de fois et pourtant il tourne comme une horloge… Une horloge qui ne tourne pas comme une horloge, mais dont les heures, les minutes et les secondes sont tellement inattendues qu’elles empêchent tout le monde de s’endormir. Du jazz, c’en est, n’allez pas croire que c’est de ces musiques – passionnantes au demeurant – où l’on se demande « en est-ce ? En est-ce pas ? Est-ce qu’on s’en fout ? » Non, c’est du jazz, du vrai, comme on pouvait en inventer sur le label Blue Note dans les années 60 lorsque Herbie ou Andrew était au piano, Ron ou Reggie à la basse, Elvin ou Joe à la batterie, avec le langage d’aujourd’hui qui s’est enrichi, comme le langage des années 60, s’était lui-même enrichi, mais autour d’un axe qui s’appelle le jazz. Benjamin Moussay le dit lui-même : « C’est le seul orchestre vraiment jazz auquel je collabore. » Et il en redemande, ils en redemandent tous les trois, solidaires de leur chef-contrebassiste dont les partitions sont de merveilleux terrains de jeu. Pas de ces terrains de foot au carré où se joue chaque dimanche, à peu de choses près, la même partie, mais des terrains gigognes, qui s’escamotent les uns les autres, avec des chausse-trappes et des miroirs que l’on traverse, des labyrinthes et des palais des glaces, des montagnes russes et des ciels d’Espagne… Et l’on sort de là en lisant les émerveillements d’Alain Gerber et en se disant qu’il n’y a pas de quoi s’en faire, la vie continue, même si n’est pas marrant tous les jours. Raison de plus pour continuer.


Franck Bergerot


Vendredi 30 novembre à la Péniche l’Improviste, début d’une résidence accordée au guitariste Pierre Durand avec un ciné-concert en duo avec Richad Bonnet sur Steamboat Bill, Jr. de Buster Keaton. Et le même soir, aux 3 arts (21 rue des Rigoles), le joueur de cornemuses du Centre et d’ailleurs, Philippe Prieur (par ailleurs auteur d’un merveilleux Sancerre) sera l’hôte du Cabrette Club, mais ça c’est une autre histoire.