Jazz live
Publié le 19 Août 2016

Rifflet, Malguénac, c’est parti…

Hier, 18 août, Sylvain Rifflet et son Alphabet Quartet ouvrait le festival Arts des villes Arts des champs, suivi de The Blue Butter Pot, la Pocket Rhapsody de Frank Woeste et l’invitation faite à Guillaume Perret le duo Band of Dogs de Philippe Gleizes et Jean-Philippe Morel. Compte rendu très incomplet…

Arts des villes, Arts de champs, Malguénac (56), le 18 août 2016.

En venant de Paris (car oui j’en viens), passé Pontivy, tournez à gauche après le petit pont et là suivez la vache. Elle vous y conduira. Pas tout à fait tout droit, en tournant un peu, surtout au retour. Elle est jaune, elle est belle, son effigie plane, un peu veillie, mais plus folle que jamais, sur l’espace Claude Nougaro aménagé pour l’occasion… j’ai déjà raconté ça pas mal d’années consécutives sur ce blog. Cette année, je me réserve pour l’an prochain.

Sylvain Rifflet Alphabet Quartet : Sylvain Rifflet (sax ténor), Joce Mienniel (flûte, kalimba), Philippe Gordiani (guitare électrique), Benjamin Flament (percussions).

Je ne détaille pas ici la part d’électronique très finement utilisée par ces quatre musiciens, si finement que je leur attribuerais à l’un et à l’autre sans certitude. C’est la guitare qui pose le climat sur lequel vient poser la flûte avec un très beau travail sur le son et un savant rapport au micro (et donc, peut-être à l’électronique), les percussions s’y joignant  à l’archet (et très certainement pas mal d’éclectro). C’est tout en frôlements, légers mugissements et soupirs, fantômes et chouettes effraies, parmi lesquels le timbre de la flûte s’invite progressivement. Jusqu’à l’entrée du ténor et le surgissement d’un puissant groove “tribal” qui, si je ne suis pas trahi par ma mémoire immédiate, reprend la même vis harmonique sans fin, mouvement perpétuel, selon un type de motricité qui traversera quasiment tout le concert et pourrait sembler tourner au procédé, s’il n’était pas habité par la richesse vocabulaire des deux solistes, s’accompagnant l’un l’autre en contrepoint, souvent sans que l’on puisse dire qui est le soliste ni qui accompagne, recourant à des jeux rythmiques, sur des sons de percussions, autant qu’à des phrasés jazz.

Sylvain RiffletJe prononce le mot jazz, parce que son héritage est bien là porté à un très haut niveau par ces deux-là, même si chez Mienniel on cherche en vain une précise ressemblance, croyant reconnaître chez Rifflet, qui a fréquenté les différents âges du jazz jusque dans les big bands swing, peut-être Getz, peut-être Shorter, peut-être Coltrane, peut-être Brecker, peut-être plus sûrement Joe Henderson… mais à plusieurs reprises, ce sont le baryton et le soprano de John Surman qui me viennent à l’esprit… moins pour des questions de phrasé que pour le son, le grain, l’intonation, les inflexions, peut-être à cause de cet ambitus très étendu qu’il convoque et survole avec des angles et une souplesse partagée avec son compère, entrelaçant leurs voix en un travail polyphonique d’où l’on ne sait démêler l’écrit de l’improvisation tant est grande la cohésion de leur ensemble.

Et les deux autres ? Ils participent de cette cohésion. Certes, ils ne sont pas solistes. À eux les grooves, les climats, les couleurs, ici essentiels. Philippe Gordiani (dont Sylvain Rifflet précisera l’orthographe souvent écorchée… et je me sens un visé l’ayant surement moi-même écorché sur ce blog, en spécialiste de l’écorchage des noms propres que depuis mon plus jeune âge j’ai toujours photographié d’un œil myope, sans jamais prendre la peine de les lire)… Philippe Gordiani donc, avec un geste de guitariste qui n’est pas celui du jazz, mais plutôt celui du rock (son, énergie, balayage du médiator, couleurs harmoniques), soudain s’accordant un solo bluesy dont l’iconoclasme m’évoque le Pete Cosey des années 73-75 chez Miles Davis. Benjamin Flament, tambourinaire de peaux imaginaires et de gamelans psychopompes, s’accordant lui aussi un solo, ou plus exactement un duo avec le ténor, où l’on retrouve la même cohésion que dans le partenariat Rifflet-Mienniel.

Et de ces qualités – dont la somme nous renvoie à des souvenirs de Philip Glass (auquel une pièce est dédiée), David Bowie, Peter Gabriel, David Byrne et probablement d’autres encore que mon étroite et très datée culture rock ne saurait identifier –, résulte que la vis sans fin désignée plus haut recompose à l’infini un matériel sonore qui serait redondant s’il n’était si constamment ingénieusement recomposé.

Après quoi, six heures de volant dans les bras et de moteur dans les oreilles (j’y ai eu tout loisir de constater l’évolution de mes grillons-acouphènes par comparaison avec le niveau sonore de mon moteur de twingo première génération), je me suis un peu laissé aller, sollicité par le flûtiste Gurvant Le Gac qui depuis mon compte rendu, il y a deux ans, de son groupe Charka, me promettait de me faire goûter son pâté maison (un tradition porcine familiale qu’il entretient). Il m’attendait de pied ferme à la buvette avec un bocal de rillettes et une miche. De fil en aiguille, les petits verres aidant avec l’apparition successives, des chanteuses Faustine Audebert et Annie Ebrel, du bassiste et batteur Antonin Volson, de la contrebassiste Hélène Labarrière (venue planter sa tente pour trois jours de bénévolat) et de quelques autres, me sentant soudain “pays” dans ce pays qui n’est pourtant pas mien, j’ai un peu négligé mon devoir, je me suis accordé de coupables vacances, ne jetant qu’une oreille distraite, mais ravie, au :

Blue Butter Pot : Rémy Bonnet (guitare, chant), Olivier Le Normand (batterie, chant).

et n’arrivant en salle qu’en fin de set pour le

Frank Woeste Pocket Rhapsody : Frank Woeste (piano, Fender Rhodes), Romain Pilon (guitare électrique), Julien Carton (moog), Stéphane Galland (batterie).

dont j’ai entendu s’éteindre une musique élégante et très finement arrangée dont je ne m’autoriserai pas à dire autre chose que le plaisir lisible sur les visages du public.

Band of Dogs invite Guillaume Perret : Jean-Philippe Morel (basse électrique, électronique), Philippe Gleizes (batterie) + Guillaume Perret (saxophone ténor, électronique).

Là aussi, j’ai failli faillir. Entraîné en coulisses par Emmanuel Bex dont on refuse difficilement le commerce enthousiaste, j’ai longuement hésité avant de plonger dans bouillon sonore qui débordait jusque backstage et de retrouver Morel et Gleizes, vieux complices de plus quinze ans que j’allais écouter autrefois au sein du groupe Dr. Knock. Les oreilles enfouies dans mes vêtements pour ne pas donner d’arguments supplémentaires à mes grillons auriculaires, j’ai affronté la meute hurlante et discerné progressivement ce délicat équilibre entre spontanéité et énergie du geste d’une part et préméditation d’autre part qui fait la réelle intensité de cette musique à laquelle d’aucuns abandonnaient tout leur corps tandis que d’autres s’éloignaient, en ayant pris leur dose, éventuellement pour y revenir quelques minutes plus tard après passage à la buvette.

Demain, même endroit : Emmanuel Bex et David Lescot “La Chose commune” avec Elise Caron, Mike Ladd, Géraldine Laurent et Louis Moutin ; Howlin’ Grassman vs Stompin’ Big Foot (blues poisseux et rock’n’roll sauvage, précise le programme), Marc Ducret Trio + 3 (Fabrice Martinez, Samuel Blaser, Fabrice Martinez) et enfin le duo Gaël Horelou / Ari Hoenig.

Franck Bergerot

 

 |Hier, 18 août, Sylvain Rifflet et son Alphabet Quartet ouvrait le festival Arts des villes Arts des champs, suivi de The Blue Butter Pot, la Pocket Rhapsody de Frank Woeste et l’invitation faite à Guillaume Perret le duo Band of Dogs de Philippe Gleizes et Jean-Philippe Morel. Compte rendu très incomplet…

Arts des villes, Arts de champs, Malguénac (56), le 18 août 2016.

En venant de Paris (car oui j’en viens), passé Pontivy, tournez à gauche après le petit pont et là suivez la vache. Elle vous y conduira. Pas tout à fait tout droit, en tournant un peu, surtout au retour. Elle est jaune, elle est belle, son effigie plane, un peu veillie, mais plus folle que jamais, sur l’espace Claude Nougaro aménagé pour l’occasion… j’ai déjà raconté ça pas mal d’années consécutives sur ce blog. Cette année, je me réserve pour l’an prochain.

Sylvain Rifflet Alphabet Quartet : Sylvain Rifflet (sax ténor), Joce Mienniel (flûte, kalimba), Philippe Gordiani (guitare électrique), Benjamin Flament (percussions).

Je ne détaille pas ici la part d’électronique très finement utilisée par ces quatre musiciens, si finement que je leur attribuerais à l’un et à l’autre sans certitude. C’est la guitare qui pose le climat sur lequel vient poser la flûte avec un très beau travail sur le son et un savant rapport au micro (et donc, peut-être à l’électronique), les percussions s’y joignant  à l’archet (et très certainement pas mal d’éclectro). C’est tout en frôlements, légers mugissements et soupirs, fantômes et chouettes effraies, parmi lesquels le timbre de la flûte s’invite progressivement. Jusqu’à l’entrée du ténor et le surgissement d’un puissant groove “tribal” qui, si je ne suis pas trahi par ma mémoire immédiate, reprend la même vis harmonique sans fin, mouvement perpétuel, selon un type de motricité qui traversera quasiment tout le concert et pourrait sembler tourner au procédé, s’il n’était pas habité par la richesse vocabulaire des deux solistes, s’accompagnant l’un l’autre en contrepoint, souvent sans que l’on puisse dire qui est le soliste ni qui accompagne, recourant à des jeux rythmiques, sur des sons de percussions, autant qu’à des phrasés jazz.

Sylvain RiffletJe prononce le mot jazz, parce que son héritage est bien là porté à un très haut niveau par ces deux-là, même si chez Mienniel on cherche en vain une précise ressemblance, croyant reconnaître chez Rifflet, qui a fréquenté les différents âges du jazz jusque dans les big bands swing, peut-être Getz, peut-être Shorter, peut-être Coltrane, peut-être Brecker, peut-être plus sûrement Joe Henderson… mais à plusieurs reprises, ce sont le baryton et le soprano de John Surman qui me viennent à l’esprit… moins pour des questions de phrasé que pour le son, le grain, l’intonation, les inflexions, peut-être à cause de cet ambitus très étendu qu’il convoque et survole avec des angles et une souplesse partagée avec son compère, entrelaçant leurs voix en un travail polyphonique d’où l’on ne sait démêler l’écrit de l’improvisation tant est grande la cohésion de leur ensemble.

Et les deux autres ? Ils participent de cette cohésion. Certes, ils ne sont pas solistes. À eux les grooves, les climats, les couleurs, ici essentiels. Philippe Gordiani (dont Sylvain Rifflet précisera l’orthographe souvent écorchée… et je me sens un visé l’ayant surement moi-même écorché sur ce blog, en spécialiste de l’écorchage des noms propres que depuis mon plus jeune âge j’ai toujours photographié d’un œil myope, sans jamais prendre la peine de les lire)… Philippe Gordiani donc, avec un geste de guitariste qui n’est pas celui du jazz, mais plutôt celui du rock (son, énergie, balayage du médiator, couleurs harmoniques), soudain s’accordant un solo bluesy dont l’iconoclasme m’évoque le Pete Cosey des années 73-75 chez Miles Davis. Benjamin Flament, tambourinaire de peaux imaginaires et de gamelans psychopompes, s’accordant lui aussi un solo, ou plus exactement un duo avec le ténor, où l’on retrouve la même cohésion que dans le partenariat Rifflet-Mienniel.

Et de ces qualités – dont la somme nous renvoie à des souvenirs de Philip Glass (auquel une pièce est dédiée), David Bowie, Peter Gabriel, David Byrne et probablement d’autres encore que mon étroite et très datée culture rock ne saurait identifier –, résulte que la vis sans fin désignée plus haut recompose à l’infini un matériel sonore qui serait redondant s’il n’était si constamment ingénieusement recomposé.

Après quoi, six heures de volant dans les bras et de moteur dans les oreilles (j’y ai eu tout loisir de constater l’évolution de mes grillons-acouphènes par comparaison avec le niveau sonore de mon moteur de twingo première génération), je me suis un peu laissé aller, sollicité par le flûtiste Gurvant Le Gac qui depuis mon compte rendu, il y a deux ans, de son groupe Charka, me promettait de me faire goûter son pâté maison (un tradition porcine familiale qu’il entretient). Il m’attendait de pied ferme à la buvette avec un bocal de rillettes et une miche. De fil en aiguille, les petits verres aidant avec l’apparition successives, des chanteuses Faustine Audebert et Annie Ebrel, du bassiste et batteur Antonin Volson, de la contrebassiste Hélène Labarrière (venue planter sa tente pour trois jours de bénévolat) et de quelques autres, me sentant soudain “pays” dans ce pays qui n’est pourtant pas mien, j’ai un peu négligé mon devoir, je me suis accordé de coupables vacances, ne jetant qu’une oreille distraite, mais ravie, au :

Blue Butter Pot : Rémy Bonnet (guitare, chant), Olivier Le Normand (batterie, chant).

et n’arrivant en salle qu’en fin de set pour le

Frank Woeste Pocket Rhapsody : Frank Woeste (piano, Fender Rhodes), Romain Pilon (guitare électrique), Julien Carton (moog), Stéphane Galland (batterie).

dont j’ai entendu s’éteindre une musique élégante et très finement arrangée dont je ne m’autoriserai pas à dire autre chose que le plaisir lisible sur les visages du public.

Band of Dogs invite Guillaume Perret : Jean-Philippe Morel (basse électrique, électronique), Philippe Gleizes (batterie) + Guillaume Perret (saxophone ténor, électronique).

Là aussi, j’ai failli faillir. Entraîné en coulisses par Emmanuel Bex dont on refuse difficilement le commerce enthousiaste, j’ai longuement hésité avant de plonger dans bouillon sonore qui débordait jusque backstage et de retrouver Morel et Gleizes, vieux complices de plus quinze ans que j’allais écouter autrefois au sein du groupe Dr. Knock. Les oreilles enfouies dans mes vêtements pour ne pas donner d’arguments supplémentaires à mes grillons auriculaires, j’ai affronté la meute hurlante et discerné progressivement ce délicat équilibre entre spontanéité et énergie du geste d’une part et préméditation d’autre part qui fait la réelle intensité de cette musique à laquelle d’aucuns abandonnaient tout leur corps tandis que d’autres s’éloignaient, en ayant pris leur dose, éventuellement pour y revenir quelques minutes plus tard après passage à la buvette.

Demain, même endroit : Emmanuel Bex et David Lescot “La Chose commune” avec Elise Caron, Mike Ladd, Géraldine Laurent et Louis Moutin ; Howlin’ Grassman vs Stompin’ Big Foot (blues poisseux et rock’n’roll sauvage, précise le programme), Marc Ducret Trio + 3 (Fabrice Martinez, Samuel Blaser, Fabrice Martinez) et enfin le duo Gaël Horelou / Ari Hoenig.

Franck Bergerot

 

 |Hier, 18 août, Sylvain Rifflet et son Alphabet Quartet ouvrait le festival Arts des villes Arts des champs, suivi de The Blue Butter Pot, la Pocket Rhapsody de Frank Woeste et l’invitation faite à Guillaume Perret le duo Band of Dogs de Philippe Gleizes et Jean-Philippe Morel. Compte rendu très incomplet…

Arts des villes, Arts de champs, Malguénac (56), le 18 août 2016.

En venant de Paris (car oui j’en viens), passé Pontivy, tournez à gauche après le petit pont et là suivez la vache. Elle vous y conduira. Pas tout à fait tout droit, en tournant un peu, surtout au retour. Elle est jaune, elle est belle, son effigie plane, un peu veillie, mais plus folle que jamais, sur l’espace Claude Nougaro aménagé pour l’occasion… j’ai déjà raconté ça pas mal d’années consécutives sur ce blog. Cette année, je me réserve pour l’an prochain.

Sylvain Rifflet Alphabet Quartet : Sylvain Rifflet (sax ténor), Joce Mienniel (flûte, kalimba), Philippe Gordiani (guitare électrique), Benjamin Flament (percussions).

Je ne détaille pas ici la part d’électronique très finement utilisée par ces quatre musiciens, si finement que je leur attribuerais à l’un et à l’autre sans certitude. C’est la guitare qui pose le climat sur lequel vient poser la flûte avec un très beau travail sur le son et un savant rapport au micro (et donc, peut-être à l’électronique), les percussions s’y joignant  à l’archet (et très certainement pas mal d’éclectro). C’est tout en frôlements, légers mugissements et soupirs, fantômes et chouettes effraies, parmi lesquels le timbre de la flûte s’invite progressivement. Jusqu’à l’entrée du ténor et le surgissement d’un puissant groove “tribal” qui, si je ne suis pas trahi par ma mémoire immédiate, reprend la même vis harmonique sans fin, mouvement perpétuel, selon un type de motricité qui traversera quasiment tout le concert et pourrait sembler tourner au procédé, s’il n’était pas habité par la richesse vocabulaire des deux solistes, s’accompagnant l’un l’autre en contrepoint, souvent sans que l’on puisse dire qui est le soliste ni qui accompagne, recourant à des jeux rythmiques, sur des sons de percussions, autant qu’à des phrasés jazz.

Sylvain RiffletJe prononce le mot jazz, parce que son héritage est bien là porté à un très haut niveau par ces deux-là, même si chez Mienniel on cherche en vain une précise ressemblance, croyant reconnaître chez Rifflet, qui a fréquenté les différents âges du jazz jusque dans les big bands swing, peut-être Getz, peut-être Shorter, peut-être Coltrane, peut-être Brecker, peut-être plus sûrement Joe Henderson… mais à plusieurs reprises, ce sont le baryton et le soprano de John Surman qui me viennent à l’esprit… moins pour des questions de phrasé que pour le son, le grain, l’intonation, les inflexions, peut-être à cause de cet ambitus très étendu qu’il convoque et survole avec des angles et une souplesse partagée avec son compère, entrelaçant leurs voix en un travail polyphonique d’où l’on ne sait démêler l’écrit de l’improvisation tant est grande la cohésion de leur ensemble.

Et les deux autres ? Ils participent de cette cohésion. Certes, ils ne sont pas solistes. À eux les grooves, les climats, les couleurs, ici essentiels. Philippe Gordiani (dont Sylvain Rifflet précisera l’orthographe souvent écorchée… et je me sens un visé l’ayant surement moi-même écorché sur ce blog, en spécialiste de l’écorchage des noms propres que depuis mon plus jeune âge j’ai toujours photographié d’un œil myope, sans jamais prendre la peine de les lire)… Philippe Gordiani donc, avec un geste de guitariste qui n’est pas celui du jazz, mais plutôt celui du rock (son, énergie, balayage du médiator, couleurs harmoniques), soudain s’accordant un solo bluesy dont l’iconoclasme m’évoque le Pete Cosey des années 73-75 chez Miles Davis. Benjamin Flament, tambourinaire de peaux imaginaires et de gamelans psychopompes, s’accordant lui aussi un solo, ou plus exactement un duo avec le ténor, où l’on retrouve la même cohésion que dans le partenariat Rifflet-Mienniel.

Et de ces qualités – dont la somme nous renvoie à des souvenirs de Philip Glass (auquel une pièce est dédiée), David Bowie, Peter Gabriel, David Byrne et probablement d’autres encore que mon étroite et très datée culture rock ne saurait identifier –, résulte que la vis sans fin désignée plus haut recompose à l’infini un matériel sonore qui serait redondant s’il n’était si constamment ingénieusement recomposé.

Après quoi, six heures de volant dans les bras et de moteur dans les oreilles (j’y ai eu tout loisir de constater l’évolution de mes grillons-acouphènes par comparaison avec le niveau sonore de mon moteur de twingo première génération), je me suis un peu laissé aller, sollicité par le flûtiste Gurvant Le Gac qui depuis mon compte rendu, il y a deux ans, de son groupe Charka, me promettait de me faire goûter son pâté maison (un tradition porcine familiale qu’il entretient). Il m’attendait de pied ferme à la buvette avec un bocal de rillettes et une miche. De fil en aiguille, les petits verres aidant avec l’apparition successives, des chanteuses Faustine Audebert et Annie Ebrel, du bassiste et batteur Antonin Volson, de la contrebassiste Hélène Labarrière (venue planter sa tente pour trois jours de bénévolat) et de quelques autres, me sentant soudain “pays” dans ce pays qui n’est pourtant pas mien, j’ai un peu négligé mon devoir, je me suis accordé de coupables vacances, ne jetant qu’une oreille distraite, mais ravie, au :

Blue Butter Pot : Rémy Bonnet (guitare, chant), Olivier Le Normand (batterie, chant).

et n’arrivant en salle qu’en fin de set pour le

Frank Woeste Pocket Rhapsody : Frank Woeste (piano, Fender Rhodes), Romain Pilon (guitare électrique), Julien Carton (moog), Stéphane Galland (batterie).

dont j’ai entendu s’éteindre une musique élégante et très finement arrangée dont je ne m’autoriserai pas à dire autre chose que le plaisir lisible sur les visages du public.

Band of Dogs invite Guillaume Perret : Jean-Philippe Morel (basse électrique, électronique), Philippe Gleizes (batterie) + Guillaume Perret (saxophone ténor, électronique).

Là aussi, j’ai failli faillir. Entraîné en coulisses par Emmanuel Bex dont on refuse difficilement le commerce enthousiaste, j’ai longuement hésité avant de plonger dans bouillon sonore qui débordait jusque backstage et de retrouver Morel et Gleizes, vieux complices de plus quinze ans que j’allais écouter autrefois au sein du groupe Dr. Knock. Les oreilles enfouies dans mes vêtements pour ne pas donner d’arguments supplémentaires à mes grillons auriculaires, j’ai affronté la meute hurlante et discerné progressivement ce délicat équilibre entre spontanéité et énergie du geste d’une part et préméditation d’autre part qui fait la réelle intensité de cette musique à laquelle d’aucuns abandonnaient tout leur corps tandis que d’autres s’éloignaient, en ayant pris leur dose, éventuellement pour y revenir quelques minutes plus tard après passage à la buvette.

Demain, même endroit : Emmanuel Bex et David Lescot “La Chose commune” avec Elise Caron, Mike Ladd, Géraldine Laurent et Louis Moutin ; Howlin’ Grassman vs Stompin’ Big Foot (blues poisseux et rock’n’roll sauvage, précise le programme), Marc Ducret Trio + 3 (Fabrice Martinez, Samuel Blaser, Fabrice Martinez) et enfin le duo Gaël Horelou / Ari Hoenig.

Franck Bergerot

 

 |Hier, 18 août, Sylvain Rifflet et son Alphabet Quartet ouvrait le festival Arts des villes Arts des champs, suivi de The Blue Butter Pot, la Pocket Rhapsody de Frank Woeste et l’invitation faite à Guillaume Perret le duo Band of Dogs de Philippe Gleizes et Jean-Philippe Morel. Compte rendu très incomplet…

Arts des villes, Arts de champs, Malguénac (56), le 18 août 2016.

En venant de Paris (car oui j’en viens), passé Pontivy, tournez à gauche après le petit pont et là suivez la vache. Elle vous y conduira. Pas tout à fait tout droit, en tournant un peu, surtout au retour. Elle est jaune, elle est belle, son effigie plane, un peu veillie, mais plus folle que jamais, sur l’espace Claude Nougaro aménagé pour l’occasion… j’ai déjà raconté ça pas mal d’années consécutives sur ce blog. Cette année, je me réserve pour l’an prochain.

Sylvain Rifflet Alphabet Quartet : Sylvain Rifflet (sax ténor), Joce Mienniel (flûte, kalimba), Philippe Gordiani (guitare électrique), Benjamin Flament (percussions).

Je ne détaille pas ici la part d’électronique très finement utilisée par ces quatre musiciens, si finement que je leur attribuerais à l’un et à l’autre sans certitude. C’est la guitare qui pose le climat sur lequel vient poser la flûte avec un très beau travail sur le son et un savant rapport au micro (et donc, peut-être à l’électronique), les percussions s’y joignant  à l’archet (et très certainement pas mal d’éclectro). C’est tout en frôlements, légers mugissements et soupirs, fantômes et chouettes effraies, parmi lesquels le timbre de la flûte s’invite progressivement. Jusqu’à l’entrée du ténor et le surgissement d’un puissant groove “tribal” qui, si je ne suis pas trahi par ma mémoire immédiate, reprend la même vis harmonique sans fin, mouvement perpétuel, selon un type de motricité qui traversera quasiment tout le concert et pourrait sembler tourner au procédé, s’il n’était pas habité par la richesse vocabulaire des deux solistes, s’accompagnant l’un l’autre en contrepoint, souvent sans que l’on puisse dire qui est le soliste ni qui accompagne, recourant à des jeux rythmiques, sur des sons de percussions, autant qu’à des phrasés jazz.

Sylvain RiffletJe prononce le mot jazz, parce que son héritage est bien là porté à un très haut niveau par ces deux-là, même si chez Mienniel on cherche en vain une précise ressemblance, croyant reconnaître chez Rifflet, qui a fréquenté les différents âges du jazz jusque dans les big bands swing, peut-être Getz, peut-être Shorter, peut-être Coltrane, peut-être Brecker, peut-être plus sûrement Joe Henderson… mais à plusieurs reprises, ce sont le baryton et le soprano de John Surman qui me viennent à l’esprit… moins pour des questions de phrasé que pour le son, le grain, l’intonation, les inflexions, peut-être à cause de cet ambitus très étendu qu’il convoque et survole avec des angles et une souplesse partagée avec son compère, entrelaçant leurs voix en un travail polyphonique d’où l’on ne sait démêler l’écrit de l’improvisation tant est grande la cohésion de leur ensemble.

Et les deux autres ? Ils participent de cette cohésion. Certes, ils ne sont pas solistes. À eux les grooves, les climats, les couleurs, ici essentiels. Philippe Gordiani (dont Sylvain Rifflet précisera l’orthographe souvent écorchée… et je me sens un visé l’ayant surement moi-même écorché sur ce blog, en spécialiste de l’écorchage des noms propres que depuis mon plus jeune âge j’ai toujours photographié d’un œil myope, sans jamais prendre la peine de les lire)… Philippe Gordiani donc, avec un geste de guitariste qui n’est pas celui du jazz, mais plutôt celui du rock (son, énergie, balayage du médiator, couleurs harmoniques), soudain s’accordant un solo bluesy dont l’iconoclasme m’évoque le Pete Cosey des années 73-75 chez Miles Davis. Benjamin Flament, tambourinaire de peaux imaginaires et de gamelans psychopompes, s’accordant lui aussi un solo, ou plus exactement un duo avec le ténor, où l’on retrouve la même cohésion que dans le partenariat Rifflet-Mienniel.

Et de ces qualités – dont la somme nous renvoie à des souvenirs de Philip Glass (auquel une pièce est dédiée), David Bowie, Peter Gabriel, David Byrne et probablement d’autres encore que mon étroite et très datée culture rock ne saurait identifier –, résulte que la vis sans fin désignée plus haut recompose à l’infini un matériel sonore qui serait redondant s’il n’était si constamment ingénieusement recomposé.

Après quoi, six heures de volant dans les bras et de moteur dans les oreilles (j’y ai eu tout loisir de constater l’évolution de mes grillons-acouphènes par comparaison avec le niveau sonore de mon moteur de twingo première génération), je me suis un peu laissé aller, sollicité par le flûtiste Gurvant Le Gac qui depuis mon compte rendu, il y a deux ans, de son groupe Charka, me promettait de me faire goûter son pâté maison (un tradition porcine familiale qu’il entretient). Il m’attendait de pied ferme à la buvette avec un bocal de rillettes et une miche. De fil en aiguille, les petits verres aidant avec l’apparition successives, des chanteuses Faustine Audebert et Annie Ebrel, du bassiste et batteur Antonin Volson, de la contrebassiste Hélène Labarrière (venue planter sa tente pour trois jours de bénévolat) et de quelques autres, me sentant soudain “pays” dans ce pays qui n’est pourtant pas mien, j’ai un peu négligé mon devoir, je me suis accordé de coupables vacances, ne jetant qu’une oreille distraite, mais ravie, au :

Blue Butter Pot : Rémy Bonnet (guitare, chant), Olivier Le Normand (batterie, chant).

et n’arrivant en salle qu’en fin de set pour le

Frank Woeste Pocket Rhapsody : Frank Woeste (piano, Fender Rhodes), Romain Pilon (guitare électrique), Julien Carton (moog), Stéphane Galland (batterie).

dont j’ai entendu s’éteindre une musique élégante et très finement arrangée dont je ne m’autoriserai pas à dire autre chose que le plaisir lisible sur les visages du public.

Band of Dogs invite Guillaume Perret : Jean-Philippe Morel (basse électrique, électronique), Philippe Gleizes (batterie) + Guillaume Perret (saxophone ténor, électronique).

Là aussi, j’ai failli faillir. Entraîné en coulisses par Emmanuel Bex dont on refuse difficilement le commerce enthousiaste, j’ai longuement hésité avant de plonger dans bouillon sonore qui débordait jusque backstage et de retrouver Morel et Gleizes, vieux complices de plus quinze ans que j’allais écouter autrefois au sein du groupe Dr. Knock. Les oreilles enfouies dans mes vêtements pour ne pas donner d’arguments supplémentaires à mes grillons auriculaires, j’ai affronté la meute hurlante et discerné progressivement ce délicat équilibre entre spontanéité et énergie du geste d’une part et préméditation d’autre part qui fait la réelle intensité de cette musique à laquelle d’aucuns abandonnaient tout leur corps tandis que d’autres s’éloignaient, en ayant pris leur dose, éventuellement pour y revenir quelques minutes plus tard après passage à la buvette.

Demain, même endroit : Emmanuel Bex et David Lescot “La Chose commune” avec Elise Caron, Mike Ladd, Géraldine Laurent et Louis Moutin ; Howlin’ Grassman vs Stompin’ Big Foot (blues poisseux et rock’n’roll sauvage, précise le programme), Marc Ducret Trio + 3 (Fabrice Martinez, Samuel Blaser, Fabrice Martinez) et enfin le duo Gaël Horelou / Ari Hoenig.

Franck Bergerot