Jazz live
Publié le 18 Août 2015

Tremplin Jazz d’Avignon : 24ème édition

Les feux du festival de théâtre juste éteints, la scène et les gradins montés dans le Cloître des Carmes restaient en place pour accueillir le festival de jazz qui s’y tient depuis 1992. Organisé cette année du 31 juillet au 5 août en proposant, entre autres, des concerts de Tricia Evy, Thomas Enhco, Guillaume Perret et Robin McKelle, le cœur de la manifestation (les 3 et 4 août) était occupé par le Tremplin Jazz qui est devenu l’un des plus couru de l’hexagone.

 

Sur plus d’une centaine d’orchestres de toute l’Europe qui ont fait acte de candidature, un comité de sélection en avait retenu six pour la finale présentée en deux soirées gratuites pour un public qui se presse chaque soir pour remplir les 550 places du Cloître. Le pianiste Emyl Spanyï (Hongrie), le vibraphoniste Pascal Schumacher (Luxembourg) ou la saxophoniste Alexandra Grimal (France) ont tous remporté ce Tremplin par le passé et la carrière qu’ils ont faite par la suite donne une idée du niveau musical d’un concours qui n’offre pas des médailles en chocolat : trois journées d’enregistrement au Studio La Buissonne pour le groupe vainqueur, 500 € au meilleur instrumentiste, autant à l’auteur de la meilleur composition et autant pour le prix du public. Le tout (sauf le prix du public) attribué par un jury où les débats sont parfois houleux et qui était constitué cette année de Nicolas Baillard (Studio La Buissonne), Pierre Villeret (Ajmi), Willy Schuyten (Festival de Brugges), Pascal Bussy (Responsable Jazz Village chez Harmonia Mundi), et quatre chroniqueurs dans des médias spécialisés : Sophie Chambon (Citizen Jazz), Florence Ducommun (Culture Jazz), Pascal Anquetil et votre serviteur (Jazz Magazine).

Première soirée : de l’art d’être si jeune !


Premier groupe de la soirée, The Duet était constitué de deux musiciens italiens, Alberto Bellavia au piano et Roberto Rebufello aux saxophones. Très vite on put reconnaître une musique où l’influence classique prédominante nous fit nous questionner sur la part de l’improvisation et de l’écriture dans des compositions toutes co-signées par les deux musiciens. Et s’ils nous présentèrent leur univers musical comme étant du « du Bach contaminé par le blues », on entendit surtout une musique plutôt contemporaine avec des accents impressionnistes qui avait laissé ce sacré blues dans l’imaginaire des deux protagonistes. Au-delà de la qualité des deux musiciens, c’est leur place dans ce tremplin qui posait question : douze ans d’existence pour « The Duet », déjà quatre albums à son actif, ce tremplin est-il fait pour des artistes dont les débuts sont aussi loin que leur quarantaine est proche? Côté jury, et même si l’une de nos consœurs nous avoua un faible pour tout ce qui est marqué du sceau de l’italianité, nous attendions des jeunes ! Et on allait être servis avec l’orchestre suivant.

 

Schntzl est une escalope milanaise devenue viennoise à laquelle il manquerait le « i ». Au-delà de ce détournement orthographique qui laisse la place belle aux consonnes, c’est aussi le nom d’un duo (encore !) formé par deux jeunes belges auxquels notre ami Willy Schuyten précédemment cité avait dû rappeler que la valeur n’attend pas le nombre des années : le pianiste Hendrik Lasure a 17 ans et son compère batteur Casper Van de Velde en a 19. Loin de l’aspect convenu du duo précédent, ces deux lascars ont géré leur prestation de main de maître en évitant la confrontation souvent inhérente à l’association piano/batterie, la remplaçant par une écoute mutuelle remarquable pour leur jeune âge. Le jeu du batteur, tout en finesse, nous soufflait déjà à l’oreille qu’il serait un candidat sérieux pour le prix du meilleur instrumentiste. Après la fraîcheur de cette musique, les suivants n’avaient qu’à bien se tenir !

 

Manu Domergue, chanteur du groupe Raven (le « corbeau » en anglais), entra sur scène en mimant un volatile qui faisait surtout penser à un albatros qui aurait été oublié sur les planches du festival cher à Jean Vilar. Il n’eut de cesse de nous raconter l’histoire de cet oiseau, oubliant sans doute que la prestation de chaque groupe était limitée à 45 minutes. Il restait d’autant moins de temps pour la musique, et ce fut dommage car l’originalité était au rendez-vous. Passés un Black Crow (Joni Mitchell) de bonne facture et un Walk On The Wild Side (Lou Reed) plus discutable, il y avait de l’idée dans les compositions et l’utilisation du mellophone par le leader (un cuivre proche du cor d’harmonie ressemblant à un gros bugle) ajoutait à l’originalité revendiquée par un ensemble où officiaient Raphaël Illes (ts), Damien Varaillo-Laborie (b) et Nicolas Grupp (dms) aux côtés de Manu Domergue. Cette prestation mal calibrée était d’autant plus dommage que, selon plusieurs membres du jury, le premier disque du groupe sorti quelque temps plus tôt était tout à fait prometteur.

 

La journée du lendemain avait aussi ses rendez-vous. Comme c’est de tradition à Avignon, les membres du jury accompagnés de quelques bénévoles et de certains sponsors du festival étaient conviés à un déjeuner au Restaurant Christian Etienne , partenaire de l’évènement. Dans une ancienne demeure du bailly de la ville accotée au Palais des Papes, ce lieu de délices n’a pas usurpé sa réputation et nous fûmes une fois de plus émerveillés par le fameux « menu tomate » du maître cuisinier qui fait chanter ses plats au rythme des cigales. Si l’on ajoute la beauté du lieu et le sourire du chef à l’élégance de sa cuisine, vous aurez compris combien cette adresse est incontournable. Redescendant par les rues piétonnes pour retrouver la conférence donnée par Pascal Bussy sur les musiques du monde au magasin Come Prima (l’un des quelques disquaires indépendants encore vivants), il n’était pas question d’éviter l’un de ses confrères, spécialiste de l’occasion celui-là. Si General Music n’est pas particulièrement dédié au jazz, il n’en a pas moins un rayon honorable où l’on peut parfois trouver son bonheur. Mon détour fut récompensé car je tombais sur «The  African Beat », légendaire album d’Art Blakey avec « The Afro-Drum Ensemble ». En Blue Note américain à un prix raisonnable, je me disais que c’était mon jour de chance quand on me tapa sur l’épaule. Pascal Anquetil avait eu la même bonne idée de venir chiner et il repartait avec un concert mémorable de Chet Baker et Philip Catherine en duo enregistré à Zagreb en 1985. Passée la conférence, il était l’heure de rejoindre le Cloître des Carmes et le buffet qui y est dressé chaque soir pour les bénévoles, les musiciens et le jury. Saluons au passage Nicole Sartiau qui y officie chaque année avec tant de goût, d’invention et de générosité qu’elle mériterait elle aussi les honneurs du Michelin. Merci à la Belgique qui a bien voulu nous envoyer cette dame aussi attachante que les jazzmen d’outre-Quiévrain.

 

Deuxième soirée : Un quintet de feu

A 20h30, la nuit n’est pas encore là mais les gradins sont déjà pleins et tout le monde est intrigué par le nom du premier groupe, Les Comptes de Korsakoff, composé de Geoffrey Grangé (voc, elb), Diego Fano (as), Guillaume Pluton (tp), André Paco (tb), Christophe Blond (p) et Quentin Lady (dms). Campé au milieu des cinq autres musiciens installés en arc de cercle autour de lui, le chanteur est prêt au combat, guitare basse cinq cordes en bandoulière. Le programme annonçait du jazz-rock, mais c’est d’un tout autre mélange dont il s’agit. Par moments on pense à la loufoquerie inventive de Zappa ou à la grandilo
quence de Magma, et la voix de Geoffrey Grangé nous rappelle par instants celle de Tom Waits. Les compositions sont originales, les arrangements bien faits et les cuivres ne se contentent pas de riffs ajustés mais ont de la place pour s’exprimer. Mais le jeu trop carré et sans subtilité d’un batteur qui ne semble connaître que sa caisse claire finit par avoir raison de nos oreilles. Dommage.

 

Dès le premier morceau du quintet de Thibault Gomez (p) [Pierre-Marie Lapprand (sax), Robinson Khoury (tb), Etienne Renard (b), Benoît Joblot (dms)], on sait que c’est là le véritable orchestre de jazz de la soirée : un répertoire d’originaux écrits dans l’esprit d’une esthétique hard bop digne des meilleurs Blue Note des années 60. Le vrai plaisir d’écoute est au rendez-vous, d’autant plus que les arrangements sont pleins de légèreté et que l’on découvre au fil de la prestation de l’orchestre de véritable talents de solistes chez chacun des protagonistes. Parmi eux, gageons que Robinson Khoury, le benjamin du quintet, va être reconnu dans peu de temps comme l’un des tous meilleurs trombonistes de sa génération. La majorité du jury était sous le charme et on apprenait plus tard dans la soirée que ces cinq musiciens ont tous entre 20 et 25 ans.

 

Moins de grâce pour le quintet d’Inez (Allemagne), laquelle se présenta dans une robe sans doute chipée dans une collection des productions de Walt Dysney. Christian Pabst (p), Matthias Kurth (g), André Nendza (b) et Demian Kappenstein (dms) constituaient à eux quatre un orchestre d’accompagnement sans grand relief pour cette chanteuse pop qui veut sans doute marcher dans les pas de Björk. Un peu démago elle voulut faire chanter le public pour son dernier morceau et, en vrai pro, elle rappela que son disque était en vente à la sortie. Mais, dans un tremplin, il n’y a pas de vrais pros !

 

L’heure de la délibération venue, le jury se partageait inégalement pour l’attribution du Grand Prix entre Schntzl, soutenu par un petit vent de jeunisme, et la formation de Thibault Gomez dont le savoir-faire nous avait enchanté. Le quintet l’emporta logiquement et le Prix du Public confirma ce choix, ce qui n’est pas si courant au Tremplin. Les Prix de la meilleure composition et du meilleur instrumentiste allèrent respectivement à Hendrik Lasure pour l’originalité de sa démarche t à Casper Van de Velde à qui on pensait depuis la veille, Robinson Khoury et son trombone magique ayant été déclarés hors-concours puisque leur groupe avait déjà eu deux prix. Pour une fois, les « classiques » avaient gagnés contre les « modernes », montrant combien l’héritage musical d’une musique qui s’est construite sur l’addition des styles plutôt que sur leur succession ne se balaye pas d’un revers de la main. Surtout quand le talent est au rendez-vous. Philippe Vincent   

 

 

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Les feux du festival de théâtre juste éteints, la scène et les gradins montés dans le Cloître des Carmes restaient en place pour accueillir le festival de jazz qui s’y tient depuis 1992. Organisé cette année du 31 juillet au 5 août en proposant, entre autres, des concerts de Tricia Evy, Thomas Enhco, Guillaume Perret et Robin McKelle, le cœur de la manifestation (les 3 et 4 août) était occupé par le Tremplin Jazz qui est devenu l’un des plus couru de l’hexagone.

 

Sur plus d’une centaine d’orchestres de toute l’Europe qui ont fait acte de candidature, un comité de sélection en avait retenu six pour la finale présentée en deux soirées gratuites pour un public qui se presse chaque soir pour remplir les 550 places du Cloître. Le pianiste Emyl Spanyï (Hongrie), le vibraphoniste Pascal Schumacher (Luxembourg) ou la saxophoniste Alexandra Grimal (France) ont tous remporté ce Tremplin par le passé et la carrière qu’ils ont faite par la suite donne une idée du niveau musical d’un concours qui n’offre pas des médailles en chocolat : trois journées d’enregistrement au Studio La Buissonne pour le groupe vainqueur, 500 € au meilleur instrumentiste, autant à l’auteur de la meilleur composition et autant pour le prix du public. Le tout (sauf le prix du public) attribué par un jury où les débats sont parfois houleux et qui était constitué cette année de Nicolas Baillard (Studio La Buissonne), Pierre Villeret (Ajmi), Willy Schuyten (Festival de Brugges), Pascal Bussy (Responsable Jazz Village chez Harmonia Mundi), et quatre chroniqueurs dans des médias spécialisés : Sophie Chambon (Citizen Jazz), Florence Ducommun (Culture Jazz), Pascal Anquetil et votre serviteur (Jazz Magazine).

Première soirée : de l’art d’être si jeune !


Premier groupe de la soirée, The Duet était constitué de deux musiciens italiens, Alberto Bellavia au piano et Roberto Rebufello aux saxophones. Très vite on put reconnaître une musique où l’influence classique prédominante nous fit nous questionner sur la part de l’improvisation et de l’écriture dans des compositions toutes co-signées par les deux musiciens. Et s’ils nous présentèrent leur univers musical comme étant du « du Bach contaminé par le blues », on entendit surtout une musique plutôt contemporaine avec des accents impressionnistes qui avait laissé ce sacré blues dans l’imaginaire des deux protagonistes. Au-delà de la qualité des deux musiciens, c’est leur place dans ce tremplin qui posait question : douze ans d’existence pour « The Duet », déjà quatre albums à son actif, ce tremplin est-il fait pour des artistes dont les débuts sont aussi loin que leur quarantaine est proche? Côté jury, et même si l’une de nos consœurs nous avoua un faible pour tout ce qui est marqué du sceau de l’italianité, nous attendions des jeunes ! Et on allait être servis avec l’orchestre suivant.

 

Schntzl est une escalope milanaise devenue viennoise à laquelle il manquerait le « i ». Au-delà de ce détournement orthographique qui laisse la place belle aux consonnes, c’est aussi le nom d’un duo (encore !) formé par deux jeunes belges auxquels notre ami Willy Schuyten précédemment cité avait dû rappeler que la valeur n’attend pas le nombre des années : le pianiste Hendrik Lasure a 17 ans et son compère batteur Casper Van de Velde en a 19. Loin de l’aspect convenu du duo précédent, ces deux lascars ont géré leur prestation de main de maître en évitant la confrontation souvent inhérente à l’association piano/batterie, la remplaçant par une écoute mutuelle remarquable pour leur jeune âge. Le jeu du batteur, tout en finesse, nous soufflait déjà à l’oreille qu’il serait un candidat sérieux pour le prix du meilleur instrumentiste. Après la fraîcheur de cette musique, les suivants n’avaient qu’à bien se tenir !

 

Manu Domergue, chanteur du groupe Raven (le « corbeau » en anglais), entra sur scène en mimant un volatile qui faisait surtout penser à un albatros qui aurait été oublié sur les planches du festival cher à Jean Vilar. Il n’eut de cesse de nous raconter l’histoire de cet oiseau, oubliant sans doute que la prestation de chaque groupe était limitée à 45 minutes. Il restait d’autant moins de temps pour la musique, et ce fut dommage car l’originalité était au rendez-vous. Passés un Black Crow (Joni Mitchell) de bonne facture et un Walk On The Wild Side (Lou Reed) plus discutable, il y avait de l’idée dans les compositions et l’utilisation du mellophone par le leader (un cuivre proche du cor d’harmonie ressemblant à un gros bugle) ajoutait à l’originalité revendiquée par un ensemble où officiaient Raphaël Illes (ts), Damien Varaillo-Laborie (b) et Nicolas Grupp (dms) aux côtés de Manu Domergue. Cette prestation mal calibrée était d’autant plus dommage que, selon plusieurs membres du jury, le premier disque du groupe sorti quelque temps plus tôt était tout à fait prometteur.

 

La journée du lendemain avait aussi ses rendez-vous. Comme c’est de tradition à Avignon, les membres du jury accompagnés de quelques bénévoles et de certains sponsors du festival étaient conviés à un déjeuner au Restaurant Christian Etienne , partenaire de l’évènement. Dans une ancienne demeure du bailly de la ville accotée au Palais des Papes, ce lieu de délices n’a pas usurpé sa réputation et nous fûmes une fois de plus émerveillés par le fameux « menu tomate » du maître cuisinier qui fait chanter ses plats au rythme des cigales. Si l’on ajoute la beauté du lieu et le sourire du chef à l’élégance de sa cuisine, vous aurez compris combien cette adresse est incontournable. Redescendant par les rues piétonnes pour retrouver la conférence donnée par Pascal Bussy sur les musiques du monde au magasin Come Prima (l’un des quelques disquaires indépendants encore vivants), il n’était pas question d’éviter l’un de ses confrères, spécialiste de l’occasion celui-là. Si General Music n’est pas particulièrement dédié au jazz, il n’en a pas moins un rayon honorable où l’on peut parfois trouver son bonheur. Mon détour fut récompensé car je tombais sur «The  African Beat », légendaire album d’Art Blakey avec « The Afro-Drum Ensemble ». En Blue Note américain à un prix raisonnable, je me disais que c’était mon jour de chance quand on me tapa sur l’épaule. Pascal Anquetil avait eu la même bonne idée de venir chiner et il repartait avec un concert mémorable de Chet Baker et Philip Catherine en duo enregistré à Zagreb en 1985. Passée la conférence, il était l’heure de rejoindre le Cloître des Carmes et le buffet qui y est dressé chaque soir pour les bénévoles, les musiciens et le jury. Saluons au passage Nicole Sartiau qui y officie chaque année avec tant de goût, d’invention et de générosité qu’elle mériterait elle aussi les honneurs du Michelin. Merci à la Belgique qui a bien voulu nous envoyer cette dame aussi attachante que les jazzmen d’outre-Quiévrain.

 

Deuxième soirée : Un quintet de feu

A 20h30, la nuit n’est pas encore là mais les gradins sont déjà pleins et tout le monde est intrigué par le nom du premier groupe, Les Comptes de Korsakoff, composé de Geoffrey Grangé (voc, elb), Diego Fano (as), Guillaume Pluton (tp), André Paco (tb), Christophe Blond (p) et Quentin Lady (dms). Campé au milieu des cinq autres musiciens installés en arc de cercle autour de lui, le chanteur est prêt au combat, guitare basse cinq cordes en bandoulière. Le programme annonçait du jazz-rock, mais c’est d’un tout autre mélange dont il s’agit. Par moments on pense à la loufoquerie inventive de Zappa ou à la grandilo
quence de Magma, et la voix de Geoffrey Grangé nous rappelle par instants celle de Tom Waits. Les compositions sont originales, les arrangements bien faits et les cuivres ne se contentent pas de riffs ajustés mais ont de la place pour s’exprimer. Mais le jeu trop carré et sans subtilité d’un batteur qui ne semble connaître que sa caisse claire finit par avoir raison de nos oreilles. Dommage.

 

Dès le premier morceau du quintet de Thibault Gomez (p) [Pierre-Marie Lapprand (sax), Robinson Khoury (tb), Etienne Renard (b), Benoît Joblot (dms)], on sait que c’est là le véritable orchestre de jazz de la soirée : un répertoire d’originaux écrits dans l’esprit d’une esthétique hard bop digne des meilleurs Blue Note des années 60. Le vrai plaisir d’écoute est au rendez-vous, d’autant plus que les arrangements sont pleins de légèreté et que l’on découvre au fil de la prestation de l’orchestre de véritable talents de solistes chez chacun des protagonistes. Parmi eux, gageons que Robinson Khoury, le benjamin du quintet, va être reconnu dans peu de temps comme l’un des tous meilleurs trombonistes de sa génération. La majorité du jury était sous le charme et on apprenait plus tard dans la soirée que ces cinq musiciens ont tous entre 20 et 25 ans.

 

Moins de grâce pour le quintet d’Inez (Allemagne), laquelle se présenta dans une robe sans doute chipée dans une collection des productions de Walt Dysney. Christian Pabst (p), Matthias Kurth (g), André Nendza (b) et Demian Kappenstein (dms) constituaient à eux quatre un orchestre d’accompagnement sans grand relief pour cette chanteuse pop qui veut sans doute marcher dans les pas de Björk. Un peu démago elle voulut faire chanter le public pour son dernier morceau et, en vrai pro, elle rappela que son disque était en vente à la sortie. Mais, dans un tremplin, il n’y a pas de vrais pros !

 

L’heure de la délibération venue, le jury se partageait inégalement pour l’attribution du Grand Prix entre Schntzl, soutenu par un petit vent de jeunisme, et la formation de Thibault Gomez dont le savoir-faire nous avait enchanté. Le quintet l’emporta logiquement et le Prix du Public confirma ce choix, ce qui n’est pas si courant au Tremplin. Les Prix de la meilleure composition et du meilleur instrumentiste allèrent respectivement à Hendrik Lasure pour l’originalité de sa démarche t à Casper Van de Velde à qui on pensait depuis la veille, Robinson Khoury et son trombone magique ayant été déclarés hors-concours puisque leur groupe avait déjà eu deux prix. Pour une fois, les « classiques » avaient gagnés contre les « modernes », montrant combien l’héritage musical d’une musique qui s’est construite sur l’addition des styles plutôt que sur leur succession ne se balaye pas d’un revers de la main. Surtout quand le talent est au rendez-vous. Philippe Vincent   

 

 

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Les feux du festival de théâtre juste éteints, la scène et les gradins montés dans le Cloître des Carmes restaient en place pour accueillir le festival de jazz qui s’y tient depuis 1992. Organisé cette année du 31 juillet au 5 août en proposant, entre autres, des concerts de Tricia Evy, Thomas Enhco, Guillaume Perret et Robin McKelle, le cœur de la manifestation (les 3 et 4 août) était occupé par le Tremplin Jazz qui est devenu l’un des plus couru de l’hexagone.

 

Sur plus d’une centaine d’orchestres de toute l’Europe qui ont fait acte de candidature, un comité de sélection en avait retenu six pour la finale présentée en deux soirées gratuites pour un public qui se presse chaque soir pour remplir les 550 places du Cloître. Le pianiste Emyl Spanyï (Hongrie), le vibraphoniste Pascal Schumacher (Luxembourg) ou la saxophoniste Alexandra Grimal (France) ont tous remporté ce Tremplin par le passé et la carrière qu’ils ont faite par la suite donne une idée du niveau musical d’un concours qui n’offre pas des médailles en chocolat : trois journées d’enregistrement au Studio La Buissonne pour le groupe vainqueur, 500 € au meilleur instrumentiste, autant à l’auteur de la meilleur composition et autant pour le prix du public. Le tout (sauf le prix du public) attribué par un jury où les débats sont parfois houleux et qui était constitué cette année de Nicolas Baillard (Studio La Buissonne), Pierre Villeret (Ajmi), Willy Schuyten (Festival de Brugges), Pascal Bussy (Responsable Jazz Village chez Harmonia Mundi), et quatre chroniqueurs dans des médias spécialisés : Sophie Chambon (Citizen Jazz), Florence Ducommun (Culture Jazz), Pascal Anquetil et votre serviteur (Jazz Magazine).

Première soirée : de l’art d’être si jeune !


Premier groupe de la soirée, The Duet était constitué de deux musiciens italiens, Alberto Bellavia au piano et Roberto Rebufello aux saxophones. Très vite on put reconnaître une musique où l’influence classique prédominante nous fit nous questionner sur la part de l’improvisation et de l’écriture dans des compositions toutes co-signées par les deux musiciens. Et s’ils nous présentèrent leur univers musical comme étant du « du Bach contaminé par le blues », on entendit surtout une musique plutôt contemporaine avec des accents impressionnistes qui avait laissé ce sacré blues dans l’imaginaire des deux protagonistes. Au-delà de la qualité des deux musiciens, c’est leur place dans ce tremplin qui posait question : douze ans d’existence pour « The Duet », déjà quatre albums à son actif, ce tremplin est-il fait pour des artistes dont les débuts sont aussi loin que leur quarantaine est proche? Côté jury, et même si l’une de nos consœurs nous avoua un faible pour tout ce qui est marqué du sceau de l’italianité, nous attendions des jeunes ! Et on allait être servis avec l’orchestre suivant.

 

Schntzl est une escalope milanaise devenue viennoise à laquelle il manquerait le « i ». Au-delà de ce détournement orthographique qui laisse la place belle aux consonnes, c’est aussi le nom d’un duo (encore !) formé par deux jeunes belges auxquels notre ami Willy Schuyten précédemment cité avait dû rappeler que la valeur n’attend pas le nombre des années : le pianiste Hendrik Lasure a 17 ans et son compère batteur Casper Van de Velde en a 19. Loin de l’aspect convenu du duo précédent, ces deux lascars ont géré leur prestation de main de maître en évitant la confrontation souvent inhérente à l’association piano/batterie, la remplaçant par une écoute mutuelle remarquable pour leur jeune âge. Le jeu du batteur, tout en finesse, nous soufflait déjà à l’oreille qu’il serait un candidat sérieux pour le prix du meilleur instrumentiste. Après la fraîcheur de cette musique, les suivants n’avaient qu’à bien se tenir !

 

Manu Domergue, chanteur du groupe Raven (le « corbeau » en anglais), entra sur scène en mimant un volatile qui faisait surtout penser à un albatros qui aurait été oublié sur les planches du festival cher à Jean Vilar. Il n’eut de cesse de nous raconter l’histoire de cet oiseau, oubliant sans doute que la prestation de chaque groupe était limitée à 45 minutes. Il restait d’autant moins de temps pour la musique, et ce fut dommage car l’originalité était au rendez-vous. Passés un Black Crow (Joni Mitchell) de bonne facture et un Walk On The Wild Side (Lou Reed) plus discutable, il y avait de l’idée dans les compositions et l’utilisation du mellophone par le leader (un cuivre proche du cor d’harmonie ressemblant à un gros bugle) ajoutait à l’originalité revendiquée par un ensemble où officiaient Raphaël Illes (ts), Damien Varaillo-Laborie (b) et Nicolas Grupp (dms) aux côtés de Manu Domergue. Cette prestation mal calibrée était d’autant plus dommage que, selon plusieurs membres du jury, le premier disque du groupe sorti quelque temps plus tôt était tout à fait prometteur.

 

La journée du lendemain avait aussi ses rendez-vous. Comme c’est de tradition à Avignon, les membres du jury accompagnés de quelques bénévoles et de certains sponsors du festival étaient conviés à un déjeuner au Restaurant Christian Etienne , partenaire de l’évènement. Dans une ancienne demeure du bailly de la ville accotée au Palais des Papes, ce lieu de délices n’a pas usurpé sa réputation et nous fûmes une fois de plus émerveillés par le fameux « menu tomate » du maître cuisinier qui fait chanter ses plats au rythme des cigales. Si l’on ajoute la beauté du lieu et le sourire du chef à l’élégance de sa cuisine, vous aurez compris combien cette adresse est incontournable. Redescendant par les rues piétonnes pour retrouver la conférence donnée par Pascal Bussy sur les musiques du monde au magasin Come Prima (l’un des quelques disquaires indépendants encore vivants), il n’était pas question d’éviter l’un de ses confrères, spécialiste de l’occasion celui-là. Si General Music n’est pas particulièrement dédié au jazz, il n’en a pas moins un rayon honorable où l’on peut parfois trouver son bonheur. Mon détour fut récompensé car je tombais sur «The  African Beat », légendaire album d’Art Blakey avec « The Afro-Drum Ensemble ». En Blue Note américain à un prix raisonnable, je me disais que c’était mon jour de chance quand on me tapa sur l’épaule. Pascal Anquetil avait eu la même bonne idée de venir chiner et il repartait avec un concert mémorable de Chet Baker et Philip Catherine en duo enregistré à Zagreb en 1985. Passée la conférence, il était l’heure de rejoindre le Cloître des Carmes et le buffet qui y est dressé chaque soir pour les bénévoles, les musiciens et le jury. Saluons au passage Nicole Sartiau qui y officie chaque année avec tant de goût, d’invention et de générosité qu’elle mériterait elle aussi les honneurs du Michelin. Merci à la Belgique qui a bien voulu nous envoyer cette dame aussi attachante que les jazzmen d’outre-Quiévrain.

 

Deuxième soirée : Un quintet de feu

A 20h30, la nuit n’est pas encore là mais les gradins sont déjà pleins et tout le monde est intrigué par le nom du premier groupe, Les Comptes de Korsakoff, composé de Geoffrey Grangé (voc, elb), Diego Fano (as), Guillaume Pluton (tp), André Paco (tb), Christophe Blond (p) et Quentin Lady (dms). Campé au milieu des cinq autres musiciens installés en arc de cercle autour de lui, le chanteur est prêt au combat, guitare basse cinq cordes en bandoulière. Le programme annonçait du jazz-rock, mais c’est d’un tout autre mélange dont il s’agit. Par moments on pense à la loufoquerie inventive de Zappa ou à la grandilo
quence de Magma, et la voix de Geoffrey Grangé nous rappelle par instants celle de Tom Waits. Les compositions sont originales, les arrangements bien faits et les cuivres ne se contentent pas de riffs ajustés mais ont de la place pour s’exprimer. Mais le jeu trop carré et sans subtilité d’un batteur qui ne semble connaître que sa caisse claire finit par avoir raison de nos oreilles. Dommage.

 

Dès le premier morceau du quintet de Thibault Gomez (p) [Pierre-Marie Lapprand (sax), Robinson Khoury (tb), Etienne Renard (b), Benoît Joblot (dms)], on sait que c’est là le véritable orchestre de jazz de la soirée : un répertoire d’originaux écrits dans l’esprit d’une esthétique hard bop digne des meilleurs Blue Note des années 60. Le vrai plaisir d’écoute est au rendez-vous, d’autant plus que les arrangements sont pleins de légèreté et que l’on découvre au fil de la prestation de l’orchestre de véritable talents de solistes chez chacun des protagonistes. Parmi eux, gageons que Robinson Khoury, le benjamin du quintet, va être reconnu dans peu de temps comme l’un des tous meilleurs trombonistes de sa génération. La majorité du jury était sous le charme et on apprenait plus tard dans la soirée que ces cinq musiciens ont tous entre 20 et 25 ans.

 

Moins de grâce pour le quintet d’Inez (Allemagne), laquelle se présenta dans une robe sans doute chipée dans une collection des productions de Walt Dysney. Christian Pabst (p), Matthias Kurth (g), André Nendza (b) et Demian Kappenstein (dms) constituaient à eux quatre un orchestre d’accompagnement sans grand relief pour cette chanteuse pop qui veut sans doute marcher dans les pas de Björk. Un peu démago elle voulut faire chanter le public pour son dernier morceau et, en vrai pro, elle rappela que son disque était en vente à la sortie. Mais, dans un tremplin, il n’y a pas de vrais pros !

 

L’heure de la délibération venue, le jury se partageait inégalement pour l’attribution du Grand Prix entre Schntzl, soutenu par un petit vent de jeunisme, et la formation de Thibault Gomez dont le savoir-faire nous avait enchanté. Le quintet l’emporta logiquement et le Prix du Public confirma ce choix, ce qui n’est pas si courant au Tremplin. Les Prix de la meilleure composition et du meilleur instrumentiste allèrent respectivement à Hendrik Lasure pour l’originalité de sa démarche t à Casper Van de Velde à qui on pensait depuis la veille, Robinson Khoury et son trombone magique ayant été déclarés hors-concours puisque leur groupe avait déjà eu deux prix. Pour une fois, les « classiques » avaient gagnés contre les « modernes », montrant combien l’héritage musical d’une musique qui s’est construite sur l’addition des styles plutôt que sur leur succession ne se balaye pas d’un revers de la main. Surtout quand le talent est au rendez-vous. Philippe Vincent   

 

 

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Les feux du festival de théâtre juste éteints, la scène et les gradins montés dans le Cloître des Carmes restaient en place pour accueillir le festival de jazz qui s’y tient depuis 1992. Organisé cette année du 31 juillet au 5 août en proposant, entre autres, des concerts de Tricia Evy, Thomas Enhco, Guillaume Perret et Robin McKelle, le cœur de la manifestation (les 3 et 4 août) était occupé par le Tremplin Jazz qui est devenu l’un des plus couru de l’hexagone.

 

Sur plus d’une centaine d’orchestres de toute l’Europe qui ont fait acte de candidature, un comité de sélection en avait retenu six pour la finale présentée en deux soirées gratuites pour un public qui se presse chaque soir pour remplir les 550 places du Cloître. Le pianiste Emyl Spanyï (Hongrie), le vibraphoniste Pascal Schumacher (Luxembourg) ou la saxophoniste Alexandra Grimal (France) ont tous remporté ce Tremplin par le passé et la carrière qu’ils ont faite par la suite donne une idée du niveau musical d’un concours qui n’offre pas des médailles en chocolat : trois journées d’enregistrement au Studio La Buissonne pour le groupe vainqueur, 500 € au meilleur instrumentiste, autant à l’auteur de la meilleur composition et autant pour le prix du public. Le tout (sauf le prix du public) attribué par un jury où les débats sont parfois houleux et qui était constitué cette année de Nicolas Baillard (Studio La Buissonne), Pierre Villeret (Ajmi), Willy Schuyten (Festival de Brugges), Pascal Bussy (Responsable Jazz Village chez Harmonia Mundi), et quatre chroniqueurs dans des médias spécialisés : Sophie Chambon (Citizen Jazz), Florence Ducommun (Culture Jazz), Pascal Anquetil et votre serviteur (Jazz Magazine).

Première soirée : de l’art d’être si jeune !


Premier groupe de la soirée, The Duet était constitué de deux musiciens italiens, Alberto Bellavia au piano et Roberto Rebufello aux saxophones. Très vite on put reconnaître une musique où l’influence classique prédominante nous fit nous questionner sur la part de l’improvisation et de l’écriture dans des compositions toutes co-signées par les deux musiciens. Et s’ils nous présentèrent leur univers musical comme étant du « du Bach contaminé par le blues », on entendit surtout une musique plutôt contemporaine avec des accents impressionnistes qui avait laissé ce sacré blues dans l’imaginaire des deux protagonistes. Au-delà de la qualité des deux musiciens, c’est leur place dans ce tremplin qui posait question : douze ans d’existence pour « The Duet », déjà quatre albums à son actif, ce tremplin est-il fait pour des artistes dont les débuts sont aussi loin que leur quarantaine est proche? Côté jury, et même si l’une de nos consœurs nous avoua un faible pour tout ce qui est marqué du sceau de l’italianité, nous attendions des jeunes ! Et on allait être servis avec l’orchestre suivant.

 

Schntzl est une escalope milanaise devenue viennoise à laquelle il manquerait le « i ». Au-delà de ce détournement orthographique qui laisse la place belle aux consonnes, c’est aussi le nom d’un duo (encore !) formé par deux jeunes belges auxquels notre ami Willy Schuyten précédemment cité avait dû rappeler que la valeur n’attend pas le nombre des années : le pianiste Hendrik Lasure a 17 ans et son compère batteur Casper Van de Velde en a 19. Loin de l’aspect convenu du duo précédent, ces deux lascars ont géré leur prestation de main de maître en évitant la confrontation souvent inhérente à l’association piano/batterie, la remplaçant par une écoute mutuelle remarquable pour leur jeune âge. Le jeu du batteur, tout en finesse, nous soufflait déjà à l’oreille qu’il serait un candidat sérieux pour le prix du meilleur instrumentiste. Après la fraîcheur de cette musique, les suivants n’avaient qu’à bien se tenir !

 

Manu Domergue, chanteur du groupe Raven (le « corbeau » en anglais), entra sur scène en mimant un volatile qui faisait surtout penser à un albatros qui aurait été oublié sur les planches du festival cher à Jean Vilar. Il n’eut de cesse de nous raconter l’histoire de cet oiseau, oubliant sans doute que la prestation de chaque groupe était limitée à 45 minutes. Il restait d’autant moins de temps pour la musique, et ce fut dommage car l’originalité était au rendez-vous. Passés un Black Crow (Joni Mitchell) de bonne facture et un Walk On The Wild Side (Lou Reed) plus discutable, il y avait de l’idée dans les compositions et l’utilisation du mellophone par le leader (un cuivre proche du cor d’harmonie ressemblant à un gros bugle) ajoutait à l’originalité revendiquée par un ensemble où officiaient Raphaël Illes (ts), Damien Varaillo-Laborie (b) et Nicolas Grupp (dms) aux côtés de Manu Domergue. Cette prestation mal calibrée était d’autant plus dommage que, selon plusieurs membres du jury, le premier disque du groupe sorti quelque temps plus tôt était tout à fait prometteur.

 

La journée du lendemain avait aussi ses rendez-vous. Comme c’est de tradition à Avignon, les membres du jury accompagnés de quelques bénévoles et de certains sponsors du festival étaient conviés à un déjeuner au Restaurant Christian Etienne , partenaire de l’évènement. Dans une ancienne demeure du bailly de la ville accotée au Palais des Papes, ce lieu de délices n’a pas usurpé sa réputation et nous fûmes une fois de plus émerveillés par le fameux « menu tomate » du maître cuisinier qui fait chanter ses plats au rythme des cigales. Si l’on ajoute la beauté du lieu et le sourire du chef à l’élégance de sa cuisine, vous aurez compris combien cette adresse est incontournable. Redescendant par les rues piétonnes pour retrouver la conférence donnée par Pascal Bussy sur les musiques du monde au magasin Come Prima (l’un des quelques disquaires indépendants encore vivants), il n’était pas question d’éviter l’un de ses confrères, spécialiste de l’occasion celui-là. Si General Music n’est pas particulièrement dédié au jazz, il n’en a pas moins un rayon honorable où l’on peut parfois trouver son bonheur. Mon détour fut récompensé car je tombais sur «The  African Beat », légendaire album d’Art Blakey avec « The Afro-Drum Ensemble ». En Blue Note américain à un prix raisonnable, je me disais que c’était mon jour de chance quand on me tapa sur l’épaule. Pascal Anquetil avait eu la même bonne idée de venir chiner et il repartait avec un concert mémorable de Chet Baker et Philip Catherine en duo enregistré à Zagreb en 1985. Passée la conférence, il était l’heure de rejoindre le Cloître des Carmes et le buffet qui y est dressé chaque soir pour les bénévoles, les musiciens et le jury. Saluons au passage Nicole Sartiau qui y officie chaque année avec tant de goût, d’invention et de générosité qu’elle mériterait elle aussi les honneurs du Michelin. Merci à la Belgique qui a bien voulu nous envoyer cette dame aussi attachante que les jazzmen d’outre-Quiévrain.

 

Deuxième soirée : Un quintet de feu

A 20h30, la nuit n’est pas encore là mais les gradins sont déjà pleins et tout le monde est intrigué par le nom du premier groupe, Les Comptes de Korsakoff, composé de Geoffrey Grangé (voc, elb), Diego Fano (as), Guillaume Pluton (tp), André Paco (tb), Christophe Blond (p) et Quentin Lady (dms). Campé au milieu des cinq autres musiciens installés en arc de cercle autour de lui, le chanteur est prêt au combat, guitare basse cinq cordes en bandoulière. Le programme annonçait du jazz-rock, mais c’est d’un tout autre mélange dont il s’agit. Par moments on pense à la loufoquerie inventive de Zappa ou à la grandilo
quence de Magma, et la voix de Geoffrey Grangé nous rappelle par instants celle de Tom Waits. Les compositions sont originales, les arrangements bien faits et les cuivres ne se contentent pas de riffs ajustés mais ont de la place pour s’exprimer. Mais le jeu trop carré et sans subtilité d’un batteur qui ne semble connaître que sa caisse claire finit par avoir raison de nos oreilles. Dommage.

 

Dès le premier morceau du quintet de Thibault Gomez (p) [Pierre-Marie Lapprand (sax), Robinson Khoury (tb), Etienne Renard (b), Benoît Joblot (dms)], on sait que c’est là le véritable orchestre de jazz de la soirée : un répertoire d’originaux écrits dans l’esprit d’une esthétique hard bop digne des meilleurs Blue Note des années 60. Le vrai plaisir d’écoute est au rendez-vous, d’autant plus que les arrangements sont pleins de légèreté et que l’on découvre au fil de la prestation de l’orchestre de véritable talents de solistes chez chacun des protagonistes. Parmi eux, gageons que Robinson Khoury, le benjamin du quintet, va être reconnu dans peu de temps comme l’un des tous meilleurs trombonistes de sa génération. La majorité du jury était sous le charme et on apprenait plus tard dans la soirée que ces cinq musiciens ont tous entre 20 et 25 ans.

 

Moins de grâce pour le quintet d’Inez (Allemagne), laquelle se présenta dans une robe sans doute chipée dans une collection des productions de Walt Dysney. Christian Pabst (p), Matthias Kurth (g), André Nendza (b) et Demian Kappenstein (dms) constituaient à eux quatre un orchestre d’accompagnement sans grand relief pour cette chanteuse pop qui veut sans doute marcher dans les pas de Björk. Un peu démago elle voulut faire chanter le public pour son dernier morceau et, en vrai pro, elle rappela que son disque était en vente à la sortie. Mais, dans un tremplin, il n’y a pas de vrais pros !

 

L’heure de la délibération venue, le jury se partageait inégalement pour l’attribution du Grand Prix entre Schntzl, soutenu par un petit vent de jeunisme, et la formation de Thibault Gomez dont le savoir-faire nous avait enchanté. Le quintet l’emporta logiquement et le Prix du Public confirma ce choix, ce qui n’est pas si courant au Tremplin. Les Prix de la meilleure composition et du meilleur instrumentiste allèrent respectivement à Hendrik Lasure pour l’originalité de sa démarche t à Casper Van de Velde à qui on pensait depuis la veille, Robinson Khoury et son trombone magique ayant été déclarés hors-concours puisque leur groupe avait déjà eu deux prix. Pour une fois, les « classiques » avaient gagnés contre les « modernes », montrant combien l’héritage musical d’une musique qui s’est construite sur l’addition des styles plutôt que sur leur succession ne se balaye pas d’un revers de la main. Surtout quand le talent est au rendez-vous. Philippe Vincent