Jazz live
Publié le 24 Oct 2019

100 ans de Jazz chez Atlas, un livre à fuir

Au tournant des années 1990 était parue dans les kiosques à journaux une série de fascicules accompagnés de CD intitulée “Les Génies du jazz”. Les textes étaient de Philippe Margotin, romancier, directeur de collection, ayant depuis écrit sur Ray Charles, Police, The Who, Radiohead, Amy Winehouse, U2, les Rolling Stones, Elvis Presley, Alain Bashung, Michel Polnareff, Johnny Halliday…

Ce travail a été depuis régulièrement recyclé, notamment dans la troisième édition de 100 Ans de Jazz qui nous parvient aujourd’hui parrainée par Le Monde. Outre ce royal parrainage, l’ouvrage se donne l’apparence du sérieux, illustré de photos noir et blanc bien imprimées, mais hélas choisies selon un choix chronologique assez anachronique et mises en page de façon à faire disparaître le visage de Jelly Roll Morton dans le pli d’une double page où figure son orchestre, Roy Eldridge étant de la même façon escamoté d’une photo où il est sensé donner la réplique à Flip Phillips. Passons sur la légende présentant David Liebman à la clarinette sur une photo de l’orchestre de Miles Davis où il joue manifestement (et bien évidemment !) du saxophone soprano, “coquille” déjà signalée par la critique à propos des précédentes éditions.

L’apparence du sérieux, c’est encore la galerie de portraits en quoi consistent ces 100 Ans de Jazz sur le modèle des “Génies du jazz”, portraits se succédant dans un ordre déroutant (Louis Armstrong avant King Oliver et Sidney Bechet, Earl Hines avant Jelly Roll Morton), mais à la lecture desquels on voit que Philippe Margotin a pris le temps de lire de bons (et de moins bons) auteurs, pour la plupart français, d’ouvrages très datés. Chaque portrait s’ouvre sur une série de repères biographiques et là ça commence très mal, les dates de naissance de Louis Armstrong, Jelly Roll Morton et Sidney Bechet s’appuyant sur des informations contredites depuis un quasi quart de siècle par toutes les sources sérieuses (wikipedia compris) depuis qu’internet a permis la consultation les archives d’état civil. Pour ceux qui s’y seraient déjà laissés prendre, Armstrong n’est pas né en 1898 mais en 1901, Ferdinand Joseph Lamothe (et non Lamenthe) dit Jelly Roll Morton n’est pas né en 1885 mais en 1890, Sidney Bechet n’est pas né en 1892 mais en 1897.

Tout le monde peut se tromper, mais le découpage de l’ouvrage en deux parties – la seconde partie commençant avec Mahalia Jackson, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Coleman Hawkins, Lester Young et Teddy Wilson – fait deviner une conception assez originale de ces 100 ans de jazz où le sous-chapitre Cool, West Coast et Third Stream s’ouvre par une photo en double page d’un concert de Miles Davis de 1973, tandis que Nat King Cole fait l’ouverture du sous-chapitre Hard bop et soul jazz. Après quoi, le livre se conclue par neuf portraits de Bill Evans à Esbjörn Svensson regroupés sous le titre De Nouvelles sonorités, qui contournent allègrement les grandes figures du free jazz et du jazz-rock (ni Ornette Coleman, ni Albert Ayler, ni Archie Shepp, ni Cecil Taylor, ni Art Ensemble of Chicago, ni Chick Corea, ni Michael Brecker, ni Wayne Shorter, ni Joe Zawinul, ni Jaco Pastorius…). Ainsi, les seuls musiciens de la sélection nés après 1950 sont Steve Coleman et Esbjörn Svensson, les seuls nés après 1930 sont Quincy Jones, Herbie Hancock, Keith Jarrett, Carla Bley, Abdullah Ibrahim et Jan Garbarek. Cette navigation à vue de notre auteur, l’amène à de fâcheuses étourderies lorsqu’il évoque la période électrique de Miles Davis : « de “Seven Steps To Heaven”, 1963, à “In a Silent Way”, 1969 ». Dans une telle confusion, on comprendra que, dans son chapitre sur Miles, l’auteur escamote totalement le second quintette. Si l’on songe que c’est à Philippe Margotin que l’on a confié le texte du livre de photos Miles Davis, les sessions photographiques de Jean-Pierre Leloir, on se dit que ce dernier a dû se retourner dans sa tombe.

Pour parfaire le sérieux de son ouvrage dont, curieusement, de nombreux passages de ces portraits donnent plus que l’illusion, Philippe Margotin l’a assorti d’un glossaire fourre-tout inutile et d’une discographie qui semble tirée au sort à l’aveuglette chez un petit disquaire de CD d’occasion. Franck Bergerot

100 ans de jazz, par Philippe Margotin, Edition Atlas, 421 pages, 35 €