Jazz live
Publié le 26 Jan 2013

Adieu Django, bonjour Pierre Durand

Où Jazz Magazine fait ses adieux à l’exposition imaginée par pilotée par Vincent Bessières pour le Musée de la musique à la Cité de la musique, et salue les Bayous du guitariste Pierre Durand et ses comparses.

 

Pot de clôture de l’expo Django Reinhardt à la Cité de la musique. La petite communauté du jazz se retrouve. On passe d’un groupe à l’autre, fuyant l’ennui d’une conversation de circonstance pour une autre passionnante, s’abîmant dans les yeux de Prune qui sont comme des mirabelles tandis qu’elle évoque son dernier concert et retenant un bâillement devant les sourcils en broussaille de Melon, dont les froncements accompagnent d’ineptes proférations esthétiques. J’aperçois Zev Feldman, label manager de Resonance Records (vous vous souvenez ? C’est le label qui publia voici quelques mois des inédits de Wes Montgomery contemporains ou antérieurs aux premières faces Pacific). Ne pipant pas un mot de français, il bat la semelle dans son coin en prenant une constance. Je l’entraîne vers l’expo que je lui fais revisiter, l’accompagnant de mon anglais élémentaire. Comprend-il trois mots de ce que je lui raconte sur l’épisode de Django dans les bals musette, sur ses guitares ou sur les aventures de Mario Maccaferri, l’inventeur de la guitare Selmer et de la pince à linge en plastique ? Comment dit-on « pince à linge » en anglais? Je fais le geste de pincer des deux mains écartées sur un fil imaginaire. Dans l’espoir de mieux me comprendre, il fait de même et ça dure un moment. Le gardien nous regarde d’un air soupçonneux. Nous éclatons de rire et poursuivons notre visite… A-t-il compris qu’il sagissait de pince à linge? Peut-être pense-t-il que j’ai cherché à lui mimer la conversation de deux corbeaux sur un fil électrique? Mais à quel dessein? J’ai remarqué que le mot de James Moody revenait continuellement dans ses réparties et je me demande constamment pourquoi, jusqu’au moment où nous parvenons face à la photo de Django avec Moody. Je dois presque le retenir de mettre un genou en terre pour mieux se recueillir.

 

Mr. Feldman a rendez-vous sur la Péniche Improviste où je me rends moi-même pour le troisième concert de la résidence de Pierre Durand autour de son projet “Nola”. Il y invite ce soir le trio avec lequel il s’est déjà produit au même endroit. Je m’amuse à conduire ainsi notre Américain tout juste jetlagué par le crépuscule parisien qui longe et enjambe le canal et où il n’aurait probablement osé s’aventurer seul, lui racontant l’histoire du quartier dont il ne comprend que couic à travers mon anglais de charlatan, histoire que je connais d’ailleurs trop peu pour ne pas être obligé de la réinventer à chaque pas.


Péniche L’improviste, Paris (75), le 23 janvier 2013.


Pierre Durand (guitare électrique) “Around Nola” avec Sébastien Texier (sax alto) et Christophe Marguet.


Je vous renvoie à ce compte rendu d’il y a un an, pour y ajouter que le recentrage du répertoire autour de “Nola” rééquilibre (ou déséquilibre… mais ça n’a rien de négatif) la première perception que j’avais eu du trio. En novembre 2011, je pensais Motian. L’autre soir, je pensais bayous, une impression vers laquelle nous guide dès l’ouverture la pièce en solo du guitariste. Toujours beaucoup de Scofield dans cette musique qui ne dissimule pas ses influences, mais Zved me souffle « Jarrett », dont il reconnaît un thème auquel je n’avais prêté attention. Bonne pioche probable… à l’issue du concert précédent, Durand m’avait avoué combien activement il écoutait Jarrett. Je me réjouis de voir combien cet homme – Zved Feldman, producteur résident à Los Angeles, habitué à tutoyer le présent et l’histoire du jazz et qui vient de m’annoncer la publication prochaine de raretés du siècle passé dont on n’a pas même idée – est subjugué par la musique qu’il découvre sur la péniche sous les doigts de Durand et ses deux accolytes, musique qui au cours du premier set tend à se recentrer vers ce que j’avais entendu d’elle voici un peu plus d’un an.


Je quitte les lieux en poursuivant la lecture du Régiment noir d’Henri Bauchau et j’y retrouve certaines de ces saveurs du Sud et, plus largement, de cette Amérique de “La Frontière”, de cette frontière toujours mouvante et inversable entre sauvagerie et civilisation, réaction et conquête, que Pierre Durand sait restituer dans son projet “Nola” avec une extra-lucidité qui relève de la vision vaudoue. Et je me dis que Django aurait aimé, car il vivait sur ce genre de frontière.


Franck Bergerot

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Où Jazz Magazine fait ses adieux à l’exposition imaginée par pilotée par Vincent Bessières pour le Musée de la musique à la Cité de la musique, et salue les Bayous du guitariste Pierre Durand et ses comparses.

 

Pot de clôture de l’expo Django Reinhardt à la Cité de la musique. La petite communauté du jazz se retrouve. On passe d’un groupe à l’autre, fuyant l’ennui d’une conversation de circonstance pour une autre passionnante, s’abîmant dans les yeux de Prune qui sont comme des mirabelles tandis qu’elle évoque son dernier concert et retenant un bâillement devant les sourcils en broussaille de Melon, dont les froncements accompagnent d’ineptes proférations esthétiques. J’aperçois Zev Feldman, label manager de Resonance Records (vous vous souvenez ? C’est le label qui publia voici quelques mois des inédits de Wes Montgomery contemporains ou antérieurs aux premières faces Pacific). Ne pipant pas un mot de français, il bat la semelle dans son coin en prenant une constance. Je l’entraîne vers l’expo que je lui fais revisiter, l’accompagnant de mon anglais élémentaire. Comprend-il trois mots de ce que je lui raconte sur l’épisode de Django dans les bals musette, sur ses guitares ou sur les aventures de Mario Maccaferri, l’inventeur de la guitare Selmer et de la pince à linge en plastique ? Comment dit-on « pince à linge » en anglais? Je fais le geste de pincer des deux mains écartées sur un fil imaginaire. Dans l’espoir de mieux me comprendre, il fait de même et ça dure un moment. Le gardien nous regarde d’un air soupçonneux. Nous éclatons de rire et poursuivons notre visite… A-t-il compris qu’il sagissait de pince à linge? Peut-être pense-t-il que j’ai cherché à lui mimer la conversation de deux corbeaux sur un fil électrique? Mais à quel dessein? J’ai remarqué que le mot de James Moody revenait continuellement dans ses réparties et je me demande constamment pourquoi, jusqu’au moment où nous parvenons face à la photo de Django avec Moody. Je dois presque le retenir de mettre un genou en terre pour mieux se recueillir.

 

Mr. Feldman a rendez-vous sur la Péniche Improviste où je me rends moi-même pour le troisième concert de la résidence de Pierre Durand autour de son projet “Nola”. Il y invite ce soir le trio avec lequel il s’est déjà produit au même endroit. Je m’amuse à conduire ainsi notre Américain tout juste jetlagué par le crépuscule parisien qui longe et enjambe le canal et où il n’aurait probablement osé s’aventurer seul, lui racontant l’histoire du quartier dont il ne comprend que couic à travers mon anglais de charlatan, histoire que je connais d’ailleurs trop peu pour ne pas être obligé de la réinventer à chaque pas.


Péniche L’improviste, Paris (75), le 23 janvier 2013.


Pierre Durand (guitare électrique) “Around Nola” avec Sébastien Texier (sax alto) et Christophe Marguet.


Je vous renvoie à ce compte rendu d’il y a un an, pour y ajouter que le recentrage du répertoire autour de “Nola” rééquilibre (ou déséquilibre… mais ça n’a rien de négatif) la première perception que j’avais eu du trio. En novembre 2011, je pensais Motian. L’autre soir, je pensais bayous, une impression vers laquelle nous guide dès l’ouverture la pièce en solo du guitariste. Toujours beaucoup de Scofield dans cette musique qui ne dissimule pas ses influences, mais Zved me souffle « Jarrett », dont il reconnaît un thème auquel je n’avais prêté attention. Bonne pioche probable… à l’issue du concert précédent, Durand m’avait avoué combien activement il écoutait Jarrett. Je me réjouis de voir combien cet homme – Zved Feldman, producteur résident à Los Angeles, habitué à tutoyer le présent et l’histoire du jazz et qui vient de m’annoncer la publication prochaine de raretés du siècle passé dont on n’a pas même idée – est subjugué par la musique qu’il découvre sur la péniche sous les doigts de Durand et ses deux accolytes, musique qui au cours du premier set tend à se recentrer vers ce que j’avais entendu d’elle voici un peu plus d’un an.


Je quitte les lieux en poursuivant la lecture du Régiment noir d’Henri Bauchau et j’y retrouve certaines de ces saveurs du Sud et, plus largement, de cette Amérique de “La Frontière”, de cette frontière toujours mouvante et inversable entre sauvagerie et civilisation, réaction et conquête, que Pierre Durand sait restituer dans son projet “Nola” avec une extra-lucidité qui relève de la vision vaudoue. Et je me dis que Django aurait aimé, car il vivait sur ce genre de frontière.


Franck Bergerot

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Où Jazz Magazine fait ses adieux à l’exposition imaginée par pilotée par Vincent Bessières pour le Musée de la musique à la Cité de la musique, et salue les Bayous du guitariste Pierre Durand et ses comparses.

 

Pot de clôture de l’expo Django Reinhardt à la Cité de la musique. La petite communauté du jazz se retrouve. On passe d’un groupe à l’autre, fuyant l’ennui d’une conversation de circonstance pour une autre passionnante, s’abîmant dans les yeux de Prune qui sont comme des mirabelles tandis qu’elle évoque son dernier concert et retenant un bâillement devant les sourcils en broussaille de Melon, dont les froncements accompagnent d’ineptes proférations esthétiques. J’aperçois Zev Feldman, label manager de Resonance Records (vous vous souvenez ? C’est le label qui publia voici quelques mois des inédits de Wes Montgomery contemporains ou antérieurs aux premières faces Pacific). Ne pipant pas un mot de français, il bat la semelle dans son coin en prenant une constance. Je l’entraîne vers l’expo que je lui fais revisiter, l’accompagnant de mon anglais élémentaire. Comprend-il trois mots de ce que je lui raconte sur l’épisode de Django dans les bals musette, sur ses guitares ou sur les aventures de Mario Maccaferri, l’inventeur de la guitare Selmer et de la pince à linge en plastique ? Comment dit-on « pince à linge » en anglais? Je fais le geste de pincer des deux mains écartées sur un fil imaginaire. Dans l’espoir de mieux me comprendre, il fait de même et ça dure un moment. Le gardien nous regarde d’un air soupçonneux. Nous éclatons de rire et poursuivons notre visite… A-t-il compris qu’il sagissait de pince à linge? Peut-être pense-t-il que j’ai cherché à lui mimer la conversation de deux corbeaux sur un fil électrique? Mais à quel dessein? J’ai remarqué que le mot de James Moody revenait continuellement dans ses réparties et je me demande constamment pourquoi, jusqu’au moment où nous parvenons face à la photo de Django avec Moody. Je dois presque le retenir de mettre un genou en terre pour mieux se recueillir.

 

Mr. Feldman a rendez-vous sur la Péniche Improviste où je me rends moi-même pour le troisième concert de la résidence de Pierre Durand autour de son projet “Nola”. Il y invite ce soir le trio avec lequel il s’est déjà produit au même endroit. Je m’amuse à conduire ainsi notre Américain tout juste jetlagué par le crépuscule parisien qui longe et enjambe le canal et où il n’aurait probablement osé s’aventurer seul, lui racontant l’histoire du quartier dont il ne comprend que couic à travers mon anglais de charlatan, histoire que je connais d’ailleurs trop peu pour ne pas être obligé de la réinventer à chaque pas.


Péniche L’improviste, Paris (75), le 23 janvier 2013.


Pierre Durand (guitare électrique) “Around Nola” avec Sébastien Texier (sax alto) et Christophe Marguet.


Je vous renvoie à ce compte rendu d’il y a un an, pour y ajouter que le recentrage du répertoire autour de “Nola” rééquilibre (ou déséquilibre… mais ça n’a rien de négatif) la première perception que j’avais eu du trio. En novembre 2011, je pensais Motian. L’autre soir, je pensais bayous, une impression vers laquelle nous guide dès l’ouverture la pièce en solo du guitariste. Toujours beaucoup de Scofield dans cette musique qui ne dissimule pas ses influences, mais Zved me souffle « Jarrett », dont il reconnaît un thème auquel je n’avais prêté attention. Bonne pioche probable… à l’issue du concert précédent, Durand m’avait avoué combien activement il écoutait Jarrett. Je me réjouis de voir combien cet homme – Zved Feldman, producteur résident à Los Angeles, habitué à tutoyer le présent et l’histoire du jazz et qui vient de m’annoncer la publication prochaine de raretés du siècle passé dont on n’a pas même idée – est subjugué par la musique qu’il découvre sur la péniche sous les doigts de Durand et ses deux accolytes, musique qui au cours du premier set tend à se recentrer vers ce que j’avais entendu d’elle voici un peu plus d’un an.


Je quitte les lieux en poursuivant la lecture du Régiment noir d’Henri Bauchau et j’y retrouve certaines de ces saveurs du Sud et, plus largement, de cette Amérique de “La Frontière”, de cette frontière toujours mouvante et inversable entre sauvagerie et civilisation, réaction et conquête, que Pierre Durand sait restituer dans son projet “Nola” avec une extra-lucidité qui relève de la vision vaudoue. Et je me dis que Django aurait aimé, car il vivait sur ce genre de frontière.


Franck Bergerot

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Où Jazz Magazine fait ses adieux à l’exposition imaginée par pilotée par Vincent Bessières pour le Musée de la musique à la Cité de la musique, et salue les Bayous du guitariste Pierre Durand et ses comparses.

 

Pot de clôture de l’expo Django Reinhardt à la Cité de la musique. La petite communauté du jazz se retrouve. On passe d’un groupe à l’autre, fuyant l’ennui d’une conversation de circonstance pour une autre passionnante, s’abîmant dans les yeux de Prune qui sont comme des mirabelles tandis qu’elle évoque son dernier concert et retenant un bâillement devant les sourcils en broussaille de Melon, dont les froncements accompagnent d’ineptes proférations esthétiques. J’aperçois Zev Feldman, label manager de Resonance Records (vous vous souvenez ? C’est le label qui publia voici quelques mois des inédits de Wes Montgomery contemporains ou antérieurs aux premières faces Pacific). Ne pipant pas un mot de français, il bat la semelle dans son coin en prenant une constance. Je l’entraîne vers l’expo que je lui fais revisiter, l’accompagnant de mon anglais élémentaire. Comprend-il trois mots de ce que je lui raconte sur l’épisode de Django dans les bals musette, sur ses guitares ou sur les aventures de Mario Maccaferri, l’inventeur de la guitare Selmer et de la pince à linge en plastique ? Comment dit-on « pince à linge » en anglais? Je fais le geste de pincer des deux mains écartées sur un fil imaginaire. Dans l’espoir de mieux me comprendre, il fait de même et ça dure un moment. Le gardien nous regarde d’un air soupçonneux. Nous éclatons de rire et poursuivons notre visite… A-t-il compris qu’il sagissait de pince à linge? Peut-être pense-t-il que j’ai cherché à lui mimer la conversation de deux corbeaux sur un fil électrique? Mais à quel dessein? J’ai remarqué que le mot de James Moody revenait continuellement dans ses réparties et je me demande constamment pourquoi, jusqu’au moment où nous parvenons face à la photo de Django avec Moody. Je dois presque le retenir de mettre un genou en terre pour mieux se recueillir.

 

Mr. Feldman a rendez-vous sur la Péniche Improviste où je me rends moi-même pour le troisième concert de la résidence de Pierre Durand autour de son projet “Nola”. Il y invite ce soir le trio avec lequel il s’est déjà produit au même endroit. Je m’amuse à conduire ainsi notre Américain tout juste jetlagué par le crépuscule parisien qui longe et enjambe le canal et où il n’aurait probablement osé s’aventurer seul, lui racontant l’histoire du quartier dont il ne comprend que couic à travers mon anglais de charlatan, histoire que je connais d’ailleurs trop peu pour ne pas être obligé de la réinventer à chaque pas.


Péniche L’improviste, Paris (75), le 23 janvier 2013.


Pierre Durand (guitare électrique) “Around Nola” avec Sébastien Texier (sax alto) et Christophe Marguet.


Je vous renvoie à ce compte rendu d’il y a un an, pour y ajouter que le recentrage du répertoire autour de “Nola” rééquilibre (ou déséquilibre… mais ça n’a rien de négatif) la première perception que j’avais eu du trio. En novembre 2011, je pensais Motian. L’autre soir, je pensais bayous, une impression vers laquelle nous guide dès l’ouverture la pièce en solo du guitariste. Toujours beaucoup de Scofield dans cette musique qui ne dissimule pas ses influences, mais Zved me souffle « Jarrett », dont il reconnaît un thème auquel je n’avais prêté attention. Bonne pioche probable… à l’issue du concert précédent, Durand m’avait avoué combien activement il écoutait Jarrett. Je me réjouis de voir combien cet homme – Zved Feldman, producteur résident à Los Angeles, habitué à tutoyer le présent et l’histoire du jazz et qui vient de m’annoncer la publication prochaine de raretés du siècle passé dont on n’a pas même idée – est subjugué par la musique qu’il découvre sur la péniche sous les doigts de Durand et ses deux accolytes, musique qui au cours du premier set tend à se recentrer vers ce que j’avais entendu d’elle voici un peu plus d’un an.


Je quitte les lieux en poursuivant la lecture du Régiment noir d’Henri Bauchau et j’y retrouve certaines de ces saveurs du Sud et, plus largement, de cette Amérique de “La Frontière”, de cette frontière toujours mouvante et inversable entre sauvagerie et civilisation, réaction et conquête, que Pierre Durand sait restituer dans son projet “Nola” avec une extra-lucidité qui relève de la vision vaudoue. Et je me dis que Django aurait aimé, car il vivait sur ce genre de frontière.


Franck Bergerot