Jazz live
Publié le 15 Juil 2020

Adieu Jacques Coursil

1938-2020

Dès le printemps et l’été 2006 à Fort de France (Martinique), avec les “Quatre Oratorios pour trompette et voix” de ses “Clameurs”, le regretté Jacques Coursil, mort le 26 juin 2020 à Aix-la-Chapelle (Allemagne), avait exquisément inventé ses funérailles en y “invitant” des textes du poète caraïbe Monchoachi (pseudonyme d’André Pierre-Louis, né à Saint Esprit, en Martinique), du philosophe psychiatre Frantz Fanon, fondateur du tiers-mondisme et activiste de la décolonisation (Peaux noires masques blancs, Les Damnés de la terre), de l’incontournable Edouard Glissant, écrivain martiniquais penseur du Tout-Monde et arpenteur des archipels devenu son ami, et du poète guerrier pré-islamique Antarah Ibn Shaddad (525-608 av JC, noir par sa mère esclave abyssinienne) dans leur langue (créole, français, arabe). Soit un commando de lanceurs du cri du monde.

Mais, articulé par celui que Christian Tarting avait décrit dans Le Nouveau Dictionnaire du Jazz comme « trompettiste, compositeur, vocaliste-diseur, linguiste et auteur » et préfacé par quatre minutes de Paroles Nues soufflées a cappella par une trompette chaleureusement vocale, cet irrésistible jeu de clameurs était le produit de sa parenté martiniquaise – une mère qui chante, un père communiste – et de la conjonction africaine-américaine – il découvre le Sénégal puis New York et sera parrainé par Paul Bley–, d’où devait jaillir, manière d’épiphanie, le jazz le plus free et pluriel, de Bill Dixon à Sun Ra en passant par Marion Brown, Albert Ayler, Sunny Murray, Frank Wright…

Au-delà de la métaphore géologique du blues et de la musique comme rivière souterraine, la biographie de Jacques Coursil aura été elle aussi quasi clandestine et plurielle : sans lâcher la trompette et l’écriture musicale, il avait poursuivi son activité universitaire et, ayant accepté la proposition de son étudiant John Zorn, enregistré un vertigineux “Minimal Brass – Fanfares For A Poet ” (Tzadik, 2004), avant de collaborer avec le rappeur français Rocé (né à Bab El Oued, en Algérie) et Archie Shepp pour “Identité en Crescendo” (Nø Format).

En guise de testament résumant l’ensemble de l’œuvre du musicien linguiste qui ne voulait pas « être esclave de l’esclavage »,  on lira La Fonction muette du langage : essai de linguistique générale contemporaine (Ibis Rouge Editions, 2000).

A méditer.

Philippe Carles