Jazz live
Publié le 21 Avr 2019

BANLIEUES BLEUES : bouquet final à la MC 93 avec le groupe NOVEMBRE et le nouvel ONJ

C’est dans la Maison de la Culture du 9-3 que se concluait, comme souvent, le festival Banlieues Bleues, pour son édition 2019. Le festival séquano-dionysien (c’est ainsi que l’on désigne les habitants et les activités de ce département où j’ai le plaisir de résider) partage avec la MC 93 le goût des programmations hardies, dépourvues de frilosité. Ce qui nous valut une soirée, mémorable, autour d’Ornette Coleman.

NOVEMBRE ‘Ornette/Apparitions’

Antonin-Tri Hoàng (saxophone alto, clarinette basse), Geoffroy Gesser (saxophone ténor), Pierre Borel (saxophone alto), Aymeric Avice (trompette), Isabel Sörling (voix), Romain Clerc-Renaud (piano, synthétiseur), Thibault Cellier (contrebasse), Yann Joussein (batterie, flageolet), Elie Duris (batterie)

Bobigny, MC 93, 19 avril 2019, 20h30

D’abord un souvenir : celui d’un film de Stéphane Jourdain, captation d’un concert du quartette Novembre au festival Banlieues Bleues en avril 2016, avec les mêmes invités (saut le trompettiste, qui était alors Louis Laurain). Cette vidéo avait été publiée conjointement avec le film Looking for Ornette de Jacques Goldstein (La Huit/ esc-distribution). Non seulement le DVD de cette captation était le second contenu du coffret, mais de surcroît, en début et en fin du film de Jacques Goldstein, on voyait/entendait un extrait du concert du quartette Novembre. Autant dire que j’arrivais au concert avec des souvenirs et des attentes qui sentaient le préjugé favorable. Et je n’ai pas été déçu : Oh que non !

Dès le début, le dispositif fonctionne selon une dramaturgie de présence/absence : présence du quartette sur scène, autres instrumentistes dans l’ombre, hors-champ ; ou l’inverse : tandis que l’on entend le quartette, les lumières surprennent l’autre sax alto et le trompettiste, immobiles, côté jardin, à deux pas du piano. Présence-absence d’Ornette en fantôme convoqué autant que révoqué : toute la musique que l’on entend ne fait pas référence à ce musicien, et pourtant le parti-pris transgressif et prospectif plane dans l’atmosphère, visuelle autant que sonore. La lumière joue pleinement son rôle, esquivant, soulignant, occultant, au gré d’une narration visuelle autant que musicale. Ce qui nous vaudra pendant quelques instants de percevoir le quartette central en une sorte d’ombre chinoise.

Ponctuellement, les invités vont surgir de l’ombre, révélés par les jeux de lumière (beau travail de création !). Parfois cette révélation sera délibérément tardive, comme pour Isabel Sörling que l’on va entendre avant de la découvrir, côté cour, à l’extrémité de la scène, avant qu’un étonnant dialogue ne se tisse entre elle et un trio de souffleurs (trompette, sax ténor, clarinette basse) perché dans les cintres côté jardin, et révélé à notre vue par un projecteur quand nos oreilles en cherchaient la source. À un autre moment la seconde batterie, hors-champ parce que hors-lumière, va nous gratifier d’une solo explosif tandis que batteur du quartette central, impassible sous les projecteurs, tend l’oreille. De bout en bout c’est un véritable projet musical autant qu’esthétique, assumé et abouti ; une réussite, qui joue à merveille des contrastes violents, entre heurts et fluidité : grande classe, chapeau bas !

ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ ‘Dancing in your head(s) : la galaxie Ornette’

Frédéric Maurin (direction artistique, guitare), Fred Palem (arrangements / orchestration), Jean-Michel Couchet (saxophones alto & soprano), Anna-Lena Schnabel (saxophone alto & flûte), Juilien Soro (saxophone ténor), Fabien Debellefontaine (saxophone ténor & flûte), Fabien Norbert, Susana Santos Silva (trompettes), Daniel Zimmermann (trombone), Judith Wekstein (trombone basse), Pierre Durand (guitare), Bruno Ruder (piano électrique, synthétiseur), Sylvain Daniel (guitare basse), Rafaël Koerner (batterie)

Bobigny, MC 93, 19 avril 2019, 22h

L’ami Bergerot vous a déjà relaté, dans une colonne voisine (lien direct en cliquant ici), l’essentiel de cette partie de soirée. J’y ajouterai mon grain de sel (ou de poivre doux) puisque qu’il ne s’est pas privé de vous informer que la plume semblait me brûler la main au sortir du concert. Ce qui m’a frappé (entre autres choses) c’est que, au delà de la revendication du titre, le champ ornettien envisagé excédait largement l’album «Dancing in Your Head» (A & M Horizon, 1977) pour se balader ailleurs dans le répertoire du feu-follet de Fort Worth, Texas. Et ailleurs encore avec le thème de Julius Hemphill (Texan de Fort Worth lui aussi), que le projet inclut dans ‘la galaxie Ornette’, et qui se trouve être une référence et une source d’inspiration pour Tim Berne, qui sera l’invité de l’orchestre dans ce programme au début de l’été. Grand plaisir, en dehors des moments évoqués par Franck Bergerot, quand dans une sorte de R’n’B survolté et polytonal Pierre Durand sort des clous pour jouer totalement out . Jean-Michel Couchet au soprano nous gratifiera dans la foulée d’un solo très hot, cursif en diable, tandis que Anna-Lena Schnabel, à l’alto, partira d’un registre plus réservé avant de nous embarquer, par segmentations et emballements successifs, vers une exploration explosive et pleine de surprises. Fred Palem a signé l’essentiel des arrangements/orchestrations du programme, cédant aussi parfois la plume à Fred Maurin mais quand, quelque part du côté de Lonely Woman et de Kathelin Gray , j’ai senti comme une grosse surenchère expressive dans les parties de cuivres et d’anches (au demeurant très bien orchestrées), je crois que Maurin n’était pas le Fred coupable. Bref ce fut, de bout en bout, une belle soirée, et mes nombreux amis présents (amateurs, musiciens, et professionnels de la profession….) m’ont semblé aussi ravis que je l’étais (et il n’est pas désagréable d’être le ravi de la crèche, surtout quand il n’y a pas de crèche !)

Xavier Prévost

Le programme ‘Dancing in your head(s)’ sera rejoué à Vitrolles le 27 avril, puis (cette fois avec Tim Berne en invité) le 7 juin à Berlin (festival Jazzdor Strasbourg-Berlin), le 7 juillet à Saint-Omer, et le 12 juillet à Luz-Saint-Sauveur.