Jazz live
Publié le 19 Nov 2019

DJANGO (TRIO) à Marseille, au CRI DU PORT

Ils étaient restés trois jours en résidence à Coutances pour le final de la création de leur nouveau programme en mai dernier; et en ce dimanche automnal, nous avons la primeur à Marseille de l’avant première, avant la sortie du CD, au Café de la Danse à Paris. Grâce au soutien de l’association et label marseillais Full Rhizome, le concert a pu avoir lieu dans le cadre de la grande manifestation annuelle JAZZ SUR LA VILLE au Cri du Port marseillais, la scène jazz locale, dans la salle supérieure du Parvis des Arts, rue du Pasteur Heuzé, ancienne église désaffectée transformée en théâtre, à deux pas de la gare St Charles et de la sortie de l’autoroute bien nommée du soleil, l’A7.

THEO CECCALDI
DJANGO TRIO, le Cri du Port, Marseille
Dimanche 17 Novembre,17h.30.

Ils étaient restés trois jours en résidence à Coutances pour le final de la création de leur nouveau programme en mai dernier; et en ce dimanche automnal, nous avons la primeur à Marseille de l’avant première, avant la sortie du CD, au Café de la Danse à Paris, le mardi 19 novembre. Grâce au soutien de l’association et label marseillais Full Rhizome, le concert a pu avoir lieu dans le cadre de la grande manifestation annuelle JAZZ SUR LA VILLE au Cri du Port marseillais, la scène jazz locale, dans la salle supérieure du Parvis des Arts, rue du Pasteur Heuzé, ancienne église désaffectée transformée en théâtre, à deux pas de la gare St Charles et de la sortie de l’autoroute bien nommée du soleil, l’A7.

Comme le souligne Armel Bour, la présidente de Jazz sur la ville et directrice du Cri du port aujourd’hui, “le courant jazz alternatif ou pas, continue de circuler. Marseille et notre région sont bien alimentées…Le jazz se nourrit et enrichit les grands courants musicaux depuis plus d’un siècle déjà. Première des « musiques du monde » qui, de ses origines à nos jours, n’a de cesse de stimuler la liberté d’expression et de favoriser les mariages mixtes…”

Quand on se pique de reprendre du Django Reinhardt, sans avoir la casquette “jazz manouche”, car la voie est pavée d’épigones qui ont entretenu et parfois fertilisé le style, se posent quelques questions : quel jeu de guitare et de violon adopter, comment assurer la “pompe” et surtout comment rendre le swing? Celui de Django et de Stéphane Grappelli est intemporel et insurpassable. Tous les grooves passés, présents et à venir ne sauraient se comparer aux effets induits par une alchimie singulière, la furieuse envie de taper du pied et de danser. La frénésie y sera car les frères Ceccaldi, Valentin au violoncelle et Théo au violon, sont des musiciens déjà aguerris à toutes sortes de musiques et de programmes, de l’hommage à Lucienne Boyer à Freaks, plongeant dans l’histoire musicale (on se souvient du Grand Orchestre du Tricot et “Parlez-moi d’amour”). Un peu comme quand Christophe Monniot avait entraîné la toujours fringante Yvette Horner, habillée en Gaultier, dans ses aventures, avant de nous régaler tout récemment de ses Hymnes à l’amour avec l’accordéoniste Didier Ithursarry.

Nos compères, ce soir, ne tombent pas dans le piège si tentant de reprendre “Nuages”, évitent les écueils, surfent entre les brisants. Ils commencent par une précaution d’usage, nous avertissent qu’ils ne s’agit pas d’un hommage au célèbre guitariste, mais que ce prénom ne fait qu’évoquer le chien aimé, le berger allemand du guitariste Guillaume Aknin, doté de goûts musicaux très sûrs, puisque amateur de B.B. King et d’Elvis Presley. Ils désamorcent ainsi toute objection avec humour et leur virtuosité effrénée fera le reste auprès d’un public surpris mais vite conquis. Car, après un début qui peut paraître dans le ton reinhardtien, il n’est plus vraiment question de reconnaître les thèmes, seules certaines notes, quelques effluves indiquent l’orientation. Ces jeunes musiciens qui ont une large culture, ouverte sur tous les horizons, sans cloisonnement, recherchent le travail des textures, exposant l’instrument à nu. Restent en filigrane ces “Echoes of France”, sans qu’il soit jamais question de rendre une copie conforme aux originaux. Avec ces cordes tendues, grattées, piquées, frottées, nos amis cherchent-ils à affirmer leur identité dans la régénération de ce qui a marqué nos mémoires affectives?
Peut on parler cette fois avec ce trio, de style plus fluide, épuré, avec ce programme, de représentation “sobre”? Peut-être. Ils jouent par exemple moins fort que dans Freaks, sans nonchalance ou alors une décontraction étudiée. Car ils ne s’interdisent jamais surprises et pieds de nez, dans la succession millimétrée des enchaînements, des ruptures de rythmes au cordeau. Tourbillons de riffs déchiquetés au violon, occasionnels éclats de la six-cordes qui n’en sont que plus captivants, quand, de délicate, la guitare acoustique vire à l’électrique. Toutes ces envolées réjouissantes sur des ostinatos telluriques sont leur marque. Le feu sous la glace.

Ça commence par des “pizz” au violon et violoncelle, le guitariste égrénant légèrement ses notes (matière presque tangible, du grain sonore à l’état pur) dans une première suite qui emprunte à “Minor Swing” et “Honeysuckle rose”. Un coup d’oeil au CD me le confirme : là encore fantaisie dans les titres et brefs échos à “Nin nin”, à savoir Joseph, le frère fidèle de Django ou à la passion pour la pêche qui pouvait faire oublier au maître le concert du soir.

Puis viendront les échos de temps inquiétants et même menaçants (d’autrefois et d’ aujourd’hui?) avec “Rythme futur” et “Blues en Mineur”, compos traitées autrement, en dilatant le temps, en l’étirant comme une aile, ralentissant dangereusement avant de reprendre à grands coups d’archet pour finir en crescendo bruitiste.

Quelque chose de la “Django touch” fait retour dans cette science de la musique et des arrangements. On retrouve par exemple des compositions qui privilégient l’aspect rythmique, sous l’apparente fluidité d’une phrase thème ou bien s’adonnent à de belles mélodies qui peuvent se dédoubler comme dans le merveilleux “Manoir de mes rêves”.
On sent que les thèmes ne sont pas juste préparés et servis pour inviter à l’improvisation mais aboutissent à des compositions “closes” sur elles mêmes, structurées finement, cohérentes dans le déroulé des différentes parties : intro, exposition , chorus, transitions, jusqu’à la conclusion.
Si chacun à son tour joue(ra) le rôle de la rythmique, les rôles s’intervertissant quand la guitare nous remet sur le chemin de la mélodie, d’un fredon un peu plus soutenu. Dans ce trio pas mal équilatéral, on sait entrer en connivence, en concordance, se glisser dans la peau de l’autre! Les frères Ceccaldi dessinent des fonds sonores sur lesquels s’appuie la guitare. Mais il en est de même quand le violoncelliste (qui étoffe le registre des graves sans contrebasse) et le guitariste, autant coloristes que rythmiciens, créent un écrin de luxe au violoniste, préparent une rampe de lancement pour l’envoyer en plein ciel. Il est bien question de cieux déchirés de zébrures, d’éclairs attrapés au vol dès qu’ils apparaissent, dans le jeu de Théo Ceccaldi. Ses lignes brisées trouent l’espace, écheveau de traits à la vitesse de l’éclair et il en résulte explosions, flamboiement de taches sonores, motifs torturés qui ne durent jamais longtemps, mais peuvent revenir, selon d’infinies et infimes variations. On est loin du violon « trad » du folk, du klezmer, mais il y a peut être l’urgence du rock, dans l’attitude, la spontanéité du trait (me reviennent quelques images de Nigel Kennedy qui dynamita en son temps le violon classique).
Tous ont, à les observer, la science du geste, grand ou tout petit : ils ne font pas du jazz de chambre mais peuvent par leur façon d’étoffer la masse orchestrale, sonner symphonique, tant l’ampleur du son est prise en compte, avec l’intervention efficace du quatrième homme, l’ingénieur-son. La mélodie jaillit, sourd de très loin: le son est parfois grumeleux, minéral mais plus souvent cosmique quand un silence attentif ne suspend pas le temps.

Comme preuve, leur dernier morceau, avant le rappel, obligé, qui pour moi, rompt le charme mais le public l’attend. Dans « Manoir de mes rêves », la qualité du son nous enveloppe d’un halo ouaté, la mélodie, perçant sur un tempo languide ou languissant plutôt, entraîne en un troublant rêve de vie, une dissection d’un désir empêché, retenu. La magie de cette composition élégiaque est intacte car le trio, fort pertinemment, ne déstructure pas le thème, restant sur le premier motif, vaporeux comme un nuage. C’est du moins ce que me souffle une mémoire, joueuse et si trompeuse …
De très loin surgissent ces échos rétro, nostalgiques alliés à des plongées futuristes car on est dans la chair du temps, avec ce trio “rétro futuriste”. Gageons que leur album au charme évident, saura conjuguer le mot « réminiscences » à tous les temps.

Dans la Djangology, on essaie de dénicher la perle rare, le groupe manouche qui reprendra le mieux le flambeau mais faudrait peut être compter avec ce trio pour jouer la suite initiale de ce CD ou leur “Manoir de mes rêves » final, à Samois, dans le temple des puristes reinhardtiens.

Sophie Chambon