Jazz live
Publié le 21 Juil 2022

Jazz à Luz 2022 4/4

Comme souvent à Jazz à Luz, le festival se referme en beauté ! On garde le meilleur pour la fin !

Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, samedi 16 juillet 2022, 11h00, chapiteau

Emilio Gordoa, Don Malfon & Joni Sigil

Don Malfon (as, bs), Emilio Cordoa (vib, perc, ordi), Joni Sigil (dr, perc)

Les matins se suivent et se ressemblent – en bien – à Luz. Après No Noise No Reduction avec l’organiste Giulio Tosti la veille, la dernière journée du festival démarra par un concert d’improvisation libre d’excellente tenue. Le trio Gordao-Malfon-Sigil réussit en effet la performance de produire une musique totalement inventée dans l’instant et cependant autrement échafaudée que de moments en moments. Du moins tout le début parut-il structuré. Une brève ouverture en éclats précéda une longue plage étale, véritable plongée au cœur du son à la recherche de l’inouï. Cette quête de la beauté du grincement, du raclement, du heurté, du presque-larsen fut suivie d’une nouvelle partie explosive, plus conséquente et certainement prévue à l’avance, ou du moins sentie comme nécessaire par les membres de la formation à ce moment précis de leurs échanges. Jusqu’alors concentré sur la révélation des harmoniques de son instrument grâce à divers bouchages de son pavillon par des bocaux de différents volumes, le saxophoniste démontra alors sa filiation avec le free jazz au sens large, d’Ornette Coleman à John Zorn. Progressivement émoussée, l’énergie collective se concentra sur l’élaboration d’une stase qui vira au bruit blanc numérique rendu expressif par tout ce qui avait précédé.

Peu d’instants creux, d’expectative pour cette performance remarquée et désignée comme remarquable par les ultras de l’impro présents au festival. Certains reprochèrent l’exubérance gestuelle et mimique du batteur Joni Sigil, sorte de martyr de l’improvisation libre puisqu’il n’hésita pas à se brûler légèrement les mains en éteignant un mouchoir en papier qu’il avait lui-même allumé. Mais il suffisait de fermer les yeux pour constater la pertinence de ses propos. Il faillit cependant mettre ses collègues dans l’embarras lorsqu’il se mit à rejouer des baguettes alors que, sans ambiguïté, la musique arrivait à son terme. Un « et merde ! » venu de l’extérieur du chapiteau, audible par tous, fit rire le batteur et permit au groupe de clore sa performance. Une des belles découvertes du festival.

Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, samedi 16 juillet 2022, 14h30, parc Claude Massoure

¡Frugal!

Alice Fahrenkruc (frugalités), Julie Ladérach (vlle), Nelly Mousset, Bruno Laurent, Jean Rougier (cb), Yan Beigbeder (sax, objet)

Afin de ne pas subir la chaleur caniculaire de ces derniers temps, le festival avait décidé de faire intervenir ¡Frugal! au parc Claude Massoure, ombragé, plutôt qu’aux chambres d’hôtes de Christine et Petxu. « Projet atypique » comme le signale le programme des concerts, il s’agissait tout à la fois d’une installation et d’une performance d’allures post-cagiennes. Réparties dans tous les coins d’ombre du parc, des radios diffusèrent les sons captés par un perchiste, qu’ils aient été environnementaux ou issus des performances solistes de différents intervenants – y compris les bandes magnétiques à cassette ou l’harmonica et autres objets de Yan Beigbeder, les propositions non-conventionnelles des contrebassistes, ou le bruit de noix cassées par Alice Fahrenkruc (qui avait aussi prévu des boissons destinée à tous ceux en exprimant le besoin). Résultat, au lieu de la création d’un paysage sonore, la démarche fut plutôt de musicaliser, de faire musiquer si l’on préfère, un lieu et son environnement en intégrant ces sons relayés-amplifiés par les multiples radios – engendrant aussi de la sorte une mini-spacialisation du son.

 

Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, samedi 16 juillet 2022, 17h00, Forum

L’oiseau ravage

Charlène Moura (as, vx, objets), Marek Kastelnik (p)

Alors que la chaleur était montée encore d’un cran par rapport aux premiers jours, le duo L’oiseau ravage parvint à capter l’auditoire pourtant écrasé par la chaleur d’une salle municipale sans ventilation. Un esprit à mi-chemin entre cirque et surréalisme domina leur prestation, concert loufoque entre Satie et Juliette, entre Boris Vian et Iva Bittova. Le pianiste Marek Kastelnik, très drôle dans ses présentations, dédia par exemple le concert à Eva Joly qui, il y a 12 ans de cela, avait proposé de supprimer le défilé militaire du 14 juillet. Pour sa part, Charlène Moura, malicieuse saxophoniste et prompte au théâtre musical, réalisa d’amusants solos de triangle ou de gargarismes à côté de ses improvisations de saxophone. Elle réussit même à faire imiter par le public des oiseaux de toutes sortes. Sympathique.

 

Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, samedi 16 juillet 2022, 21h00, chapiteau

Liquid Trio

Albert Cirera (as), Agustí Fernandez (p), Ramon Pratz (dr)

Pour la troisième et dernière fois avant le concert de 21h, Anne Montaron anima à 19h une table ronde retransmise en direct sur Fréquence Luz sur le sujet de l’égalité femmes/hommes dans le milieu de la musique improvisée et du jazz. Parmi les invités, Iva Bittova s’exprima la première pour expliquer que depuis son enfance elle reste portée sur les choses qui lui paraissent essentielles, comme la nature par exemple, et qu’elle ne s’est jamais vraiment posée la question en termes de « féminin ». Pour elle, précisa-t-elle encore, la musique représente une pratique artistique qui consiste à nourrir le meilleur de l’être humain, voire à bonifier. Un peu plus tard dans les échanges, Agustí Fernandez exprima l’évolution palpable de la situation en Catalogne : alors qu’il y a une vingtaine d’année, les garçons étaient majoritaires dans le conservatoire où il enseignait, depuis peu les femmes sont plus nombreuses. Il expliqua également que s’il met des femmes en avant sur son label, c’est moins en raison du genre de l’artiste que du fait qu’il les trouve intéressantes musicalement, faisant passer le son avant tout le reste. Après plusieurs prises de paroles, Julie Ladérach, rappelant que son parcours d’apprenti-violoncelliste fut jalonné de femmes, il faut constater que la parité reste encore loin d’être atteinte, et si la direction est claire, le chemin à parcourir reste long.

Installé sous le chapiteau pour écouter le Liquid Trio à 21h, le public vécut alors le troisième grand moment du festival, au plan purement musical s’entend. À la différence de nombre de groupes d’improvisation, le Liquid Trio possède la faculté extraordinaire à faire constamment évoluer la musique, ce grâce à une variété de jeux des plus fournies, sous-tendue par une palette techno-expressive très large de chacun des musiciens et d’une capacité non moins importante à non seulement écouter et interagir avec les autres mais de surcroît à appréhender la forme générale, en une focale bien plus large que celle qui consiste à sauter d’instant en instant. De ce fait, par l’amplitude même des moments différents engendrés, il serait laborieux de tenter de décrire l’heure et demie de musique enfantée par le Liquid Trio. On peut en revanche souligner que les choix toujours judicieux effectués par les musiciens, qui permirent d’ouvrir l’horizon au lieu de l’endiguer, eurent pour résultat de produire une longue improvisation libre non pas ritualisante mais tout au contraire dramatique, autrement dit créatrice de formes de tension appelant résolutions, tout en inventant dans l’instant sa propre grammaire. À Jazz à Luz, il ne faut jamais se faire une idée du cru de l’année avant la dernière journée !

 

Luz-Saint-Sauveur (65), Jazz à Luz, dimanche 17 juillet 2022, 00h00, Chapiteau

Ausgang

Casey (vx), Manu Lechat (électronique), Yann Négrit (elg), Sonny Troupé (dr), Raaf Letellier (lumière), JB Moreira (son)

À Jazz à Luz, on aime le mélange des genres, y compris musicaux. Après une formidable performance d’improvisation libre/free jazz, les spectateurs qui avaient fait l’acquisition d’un forfait pour la soirée – la majorité – purent assister, avec un peu de retard suite à des problèmes d’acheminement, au concert de la rappeuse Casey. De ce fait, certains d’entre eux eurent peut-être la révélation de la pratique improvisée et d’autres, comme moi, celle de Casey, entre rap et hard rock. Soutenue par d’excellents musiciens, en particulier le batteur Sonny Troupé, elle lança ses morceaux de bravoure avec une énergie tout à fait sensationnelle. M’étant protégé les tympans – c’était très fort, mais l’esthétique même de cette musique réclame cette puissance –, je ne parvins pas à comprendre toutes les paroles, aspect pourtant fondamental de la performance. Je n’en saisis pas moins la démarche politique de revendication, de dénonciation de certaines élites, parfois sous forme d’histoire telle celle où le personnage énonçant les propos se révéla métaphoriquement être un mort-vivant. Je compris alors que, comme avec le jazz, cette musique s’écoute d’abord live – ce que je faisais, je crois bien, pour la première fois, grâce à Jazz à Luz – et s’apprend par le biais d’un média (l’enregistrement).

Le concert parut trop court à l’ensemble des présents, signe d’une programmation plus que satisfaisante.

 Ludovic Florin