Jazz live
Publié le 7 Juin 2019

Joies et Solitudes de Yonathan Avishai au Sunside

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Yonathan Avishai vient de faire paraître un remarquable disque chez ECM, Joys and Solitudes, qui marque une significative évolution dans son jeu.

 

Yonathan Avishai (piano), Yoni Zelnik (basse), Donald Kontomanou (batterie), le Sunside, 23 mai 2019

J’ai entendu pour la première fois Yonathan Avishai à l’occasion du projet boulimique du saxophoniste Christophe Panzani, qui dans son disque Les âmes perdues avait dévoré sept pianistes différents. Yonathan Avishai était l’un d’eux. J’avais été frappé par son style percussif, sa grande sobriété, sa manière d’interdire à ses doigts de voltiger juste pour le plaisir, et en même temps par l’effet de ce laconisme: un  swing irrésistible.  Je pensais beaucoup à John Lewis tout en décelant dans son jeu des influences plus contemporaines. En tous cas sa singularité était évidente. Par la suite, ses disques sous son nom (comme The Parade, en 2016, avec Yoni Zelnik et Donald Kontomanou déjà mais aussi César Poirier et Inor Sotolongo ) avaient montré que Yonathan Avishai avait beaucoup à dire aussi comme compositeur et arrangeur.
En le retrouvant en trio ce soir là au Sunside, ce sont d’ailleurs ses qualités d’arrangeur qui retiennent d’abord mon attention, et notamment sa manière de mettre en avant son contrebassiste Yoni Zelnik,  que je n’ai jamais senti aussi libre. Yonathan Avishai fait plus que de lui accorder de la place, il prépare ses interventions (ou ses surgissement, car la manière d’arranger de Yonathan Avishai s’apparente parfois à une mise en scène de théâtre), il l’accompagne, bref l’utilise comme un chanteur.

 

Et Yoni Zelnik s’engouffre avec gourmandise sur ce tapis rouge qui est glissé sous ses pas,  et nous donne en quelques moments brefs et étincelants tout le lyrisme dont il est capable.
Au bout de quelques morceaux, il me semble remarquer un changement dans le jeu de Yonathan Avishai. C’est comme s’il avait décidé d’ouvrir en grand toutes les fenêtres de sa maison. Je ne sens plus cette retenue qui m’avait frappé lorsque je l’avais entendu pour la première fois.

 

Au contraire certains passages, notamment des ostinato, sont marqués par une exubérance volubile, une joie de jouer que je ne lui connaissais pas, et qui est contagieuse. Donald Kontomanou l’accompagne avec finesse. On sent qu’il a tissé une grande complicité avec un pianiste au style aussi percussif. Tous deux ont une manière délicate de désarticuler les standards tout en les faisant swinguer (par exemple le merveilleux Come rain or come shine au premier set).

 

En dehors de ces standards, le répertoire est constitué de compositions de Yonathan Avishai, dont certaines merveilleuses, comme Lya, de la joie pure, une explosion d’exubérance et de vitalité, ou encore Things fall apart, qui est comme une aventure intérieure aux mille rebondissements.
A la pause, j’échange quelques mots avec Yonathan Avishai, je lui dis mon étonnement devant ce changement dans son jeu: « Oui…Oui…je sais…plusieurs personnes m’ont fait remarquer cela récemment… ». Pudique, il n’en dit pas plus (mais le titre de son album, Joys and Solitude révèle sans doute l’essentiel)  Yonathan Avishai a donc élargi sa palette de pianiste, en y intégrant  la joie et l’exubérance sans perdre sa profondeur. Il semble à présent en mesure d’exprimer tout le spectre des émotions humaines, ce qui laisse présager beaucoup de belle musique à venir.

 

Texte: JF Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët (autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com ou en se rendant au Sunset-Sunside, où une exposition présente les musiciens dessinés par AC Alvoët depuis cinq ans dans ce lieu-même.