Jazz live
Publié le 22 Août 2020

Le jazz et les alentours de Malguénac #2

Hier soir 21 août, début de soirée recueillie autour du duo Domancich-Goubert, hommage dansant à Joe Zawinul par Market Street et transes cosmiques avec le quartette de Guillaume Perret.

On connaît l’une et l’autre depuis longtemps. Simon Goubert, grandi dans les imaginaires du bop historique, du quartette de John Coltrane et de Magma, Sophia Domancich qui traversa parmi d’autres univers la galaxie de l’école dite de Canterburry, et on les a vu se hisser au fil des années aux rangs des très grands, qu’ils occupent individuellement mais aussi main dans la main avec ce duo. Au sortir du confinement, j’avais eu un petit entretien téléphonique avec eux qui ne trouva pas sa place dans le sommaire surabondant de notre numéro de l’été. Ils m’y avaient confié quelques aperçus de leur vie commune pendant comme hors confinement. Retenons en ces bribes : « On s’écoute, mais on travaille séparément, sauf avant concert, histoire de se reconnecter. Au dernier moment, on pioche dans un répertoire assez vaste pour assurer plusieurs concerts… des compositions de l’un ou l’autre et un ou deux standards, qui viendront comme ça sans plan préétabli. C’est souvent Sophia qui mène à partir du piano, mais dans un dialogue permanent. Tout dépend du piano, de la salle, du public. »

À Malguénac, ils sont servis… Du point de vue de l’accueil, de la disponibilité des équipes en coulisse comme sur le plateau, de la salle, du public, ils s’en doutent. Ils connaissent Malguénac et comme tous les musiciens qui s’y sont produits, c’est une fête pour eux d’y revenir. Du point de vue du piano, comme Leonardo Montana la veille, Sophia est enchantée par le Steinway et son accordeur venus de Cahors. Et ça s’entend dès les premières notes de son introduction solo… quelque chose d’inouï entre le Liszt des dernières années et les solos de Paul Bley, d’où émergera le pudique et bouleversant Django que John Lewis écrivit après la mort du grand guitariste. Les balais commencent à frotter doucement les peaux, à faire frissonner les cymbales, que, les grattant du bout de sa baguette – dont il me rappelle sans s’en douter le joli nom d’olive –, il fait chanter de quelques notes. Le dialogue s’installe, entre le piano et les mélodies rythmiques et timbrales que lève la batterie sur laquelle se mêlent des intentions de compositeur et un puissant savoir swinguer. « C’est le son qui compte avant tout, c’est avec ça que je fais de la musique. » confiera Sophia à l’issue du concert. Passeront cependant parmi ces couleurs sonores des compositions, comme le vent s’invite dans des ramures d’un arbre, architectures qui ne sont pas sans me rappeler les compositions de Martial Solal et ses “Sans Tambour ni trompette”, selon des phrases moins “athlétiques” mais pas moins savantes et excitantes… et des improvisations qui sont chez Sophia comme chez son partenaire des intentions qui tournent à l’œuvre. La salle, quasi pleine, est séduite par ces couleurs et ces élans, ce bonheur de jouer, cette gaîté de l’intention et de la surprise, cette connivence pleine d’humour et de tendre ironie, cette émotion cash et sans kitsch.

J’avoue qu’après “ça”, j’aurai du mal à me replacer dans ce que sera la suite de la soirée. Je croise Ronan Prodhomme, l’âme du festival, toujours discret à l’abri de son comité artistique et son armada de bénévoles. Cette diversité, ce mélange des genres et des publics lui font traverser ces intenses journées dans un permanent ravissement et fait de son festival un véritable terrain-machine à découvertes. On passera ainsi des puissantes délicatesses du duo Domancich-Goubert, aux reprises sur le mode d’une sorte de rock-fantaisie par le groupe local Initials Bouvier Bernois qui, jouant sous chapiteau pendant les changements de plateaux, égaie les abords de la salle de concert, la buvette et les différents stands de restauration. Sur la scène principale, on entendra encore l’hommage à Joe Zawinul du sextette nantais Market Street qui explore les veines les plus africaines du claviériste et compositeur autrichien, misant plus sur la qualité des grooves et sur la bonne humeur que sur l’improvisation soliste (mais on sait comme chez Zawinul ces deux activités tramaient son travail de compositeur et de chef d’orchestre), avec néanmoins un guitariste remarquable pour ses solos doublés à la voix, Bruno Dagaga.

Mais le clou de la soirée – à minuit passé –, c’est le quartette de Guillaume Perret (Yessai Karapetian aux claviers, Benoît Lugué à la basse électrique, Martin Wangermée à la batterie) qui mettra le public en transe. Une humeur différente et un incident domestique me fera quitter les lieux assez rapidement, le plus discrètement possible quoique démasqué aux abords de Melrand par un chevreuil masqué dont le regard, dans un  geste barrière narquois, m’a flashé en reflétant mes phares au passage de ma Twingo.

Ce soir, 22 août, après une traditionnelle journée vide-grenier, final festif comme chaque année, plus “musiques actuelles” pour reprendre une appellation contrôlée assez discutable, mais sur un terrain dont Malguénac sait faire tomber les barrières et déjouer les archétypes. Reprenons quelques étiquettes pratiques apposées sur le programme : Noceurs (chanson, rock, spoken word, j’y reconnaîs deux acteurs de la scène bretonne transversale le claviériste Jeff Alluin et le poly-instrumentiste Antonin Volson ce soir à la batterie), N3rdistan du chanteur franco-marocain Walid Benselim (rap, rock, tip hop, poésie, avec kora, flûte peul, machines et tout le tremblement), Gosseyn (post-rock sous influence… on pourrait préciser “balkanique” avec Joachim Mouflin qui passe de la guitare électrique au bouzouki…  tiens revoici Jeff Alluin auprès de deux personnages connus de la scène bretonne “jazz mais pas que” : le clarinettiste Étienne Cabaret et le batteur Nicolas Pointard), Welcome X (du chanteur Sam Kün, des guitaristes Thomas Cœuriot et Joseph Champagnon, du bassiste Philippe Bussonnet et du batteur Julien Charlet… et revoilà une nouvelle de ces veines externes du Magma qui affleure constamment sur la faille sismique de Malguénac). Franck Bergerot