Jazz live
Publié le 13 Oct 2021

Nicolas Ziliotto remporte le Tremplin JazzContreBand

C’est à la tête d’un brillant trio doublé d’un trio à cordes que le pianiste et compositeur haut-savoyard, étudiant de l’Hemu (haute école de musique) de Lausanne, a remporté le Tremplin JazzContreBand. Mention spéciale à la chanteuse Sylvie Klijn.

Le Tremplin JazzContreBand 2021 s’est déroulé ce dimanche 10 octobre à la Maison des Arts et de la Culture de Plan-les-Ouates (commune du Canton de Genève) devant un jury dirigé par le guitariste Sylvain Luc et la batteuse Béatrice Graf, et composé de Fabrice Gottraux (Tribune de Genève), Franck Bergerot (Jazz Magazine) ainsi que quatre membres de JazzContreBand : Stefano Saccon (ETM, Genève), Vanessa Horowitz (Jazz sur la plage, Hermance), Alain Morhange (Les Carrés, Annecy) et Gabriel Decoppet (Chorus, Genève).

Quatre groupes au programme : Vagalumes de la chanteuse néerlandaise étudiante à l’Hemu  Sylvie Klijn accompagnée de Paul Alberto Gonzales Ostos (guitare cordes nylon) et Samuel Boutros (percussions) ; Juwa imaginé par Paul Antonioli (guitare électrique), avec d’autres étudiants en rock et jazz de l’École normale de musique de Villeurbanne, soit  Charlotte Gagnor (chant, claviers), Lucas Benedetti (basse électrique) et Benoît Durbet (batterie) ; le trio fribourgeois Mullener – Hernandez – Giovanoli, soit Emilio Giovanoli (contrebasse), Daniel Hernandez (piano) et Lucien Mullener (batterie), étudiants des Hemu de Lausanne, Berne et Bâle ; le Nicolas Ziliotto Trio & String Quartet avec Cyril Billot (contrebasse), Axel Lussiez (batterie) plus Nina Fuchs (violon), Thomas Levier (violon alto), Anna Borkenhagen (violoncelle).

Autrement dit, une chanteuse sur laquelle nous reviendrons plus bas ; un jeune groupe plus rock que jazz, et donc quelque peu hors concours (quoique Juwa puisse se revendiquer d’avoir été sélectionné “groupe émergent” par Jazz(s)ra, plateforme des acteurs du jazz en Rhône-Alpes) ; deux trios se disputant les mêmes plates-bandes tant par la nature que par la qualité de la musique. Si le trio de Nicolas Ziliotto l’a emporté (en dépit du handicap d’un quatuor réduit par défection de l’un de ses membres et une réécriture à la hâte), la clarté et la précision de jeu de son leader l’ont emporté sur une écriture et un jouage d’une belle ambition pour le trio Mullener – Hernandez- Giovanoli qui ont cependant semblé au jury encore un peu confus, le batteur Lucien Muellener, notamment, recueillant autant d’éloges sur la musicalité de sa technique que de réserves sur l’impression de jouer un peu à l’écart du tandem piano-contrebasse.

Quant à la chanteuse Sylvie Klijn, elle nous a séduit en échappant aux clichés de la chanteuse jazzy, par une un mélange de sensibilité littéraire et musical, ses compositions entre fado et samba empruntant aux textes Fernando Pesoa et Florbela Espanca, ses interprétations comme ses improvisations relevant d’une authentique musicalité. Autant de qualités qui nous semblèrent mériter d’être encouragées par des confrontations avec des personnalités la dépassant et l’invitant à sortir des cadres, là où ses deux musiciens, qu’elle dirige et entraine avec souplesse et  charisme, jouait comme sur une partition écrite. Un jugement qui méritait d’être nuancé en apprenant, lors d’une rencontre avec le jury à l’issue de la proclamation des prix, que le trio faisait quasiment là ses premiers pas.

De gauche à droite et de haut en bas:  Sylvie Klijn & le trio Vagamules; Juwa; Mullener – Hernandez – Giovanoli Trio ; Nicolas Ziliotto Trio + Cordes. © Anaholia.

Ces entrevues entre chacune des formations candidates et leur jury constituèrent un important moment, que je ne me souviens pas avoir vécu de manière aussi formelle et constructive en quarante ans de collaboration à différents concours (principalement La Défense et Avignon). Une initiative suggérée d’une façon aussi spontanée que simultanée par les deux présidents (Béatrice Graff et Sylvain Luc) et par Stefano Saccon, saxophoniste, directeur de l’ETM, école de musiques actuelles de Genève, et animateur de fait de ce jury ; initiative rendue possible par la limitation à quatre du nombre de candidats, suite au désistement d’un cinquième candidat.

Il est intéressant d’observer la réception des candidats à pareil entretien, vécue parfois comme un confrontation susceptible de braquer le perdant. Où l’on peut s’interroger sur la juste frontière à partir de laquelle l’ego d’un musicien est indispensable à l’épanouissement de sa personnalité et le développement de sa carrière, ou constituer un handicap, une incapacité à se remettre en cause par simple aveuglement. Frontière passionnante à considérer, pour peu que les membres du jury soient capables d’un minimum d’empathie pour l’artiste remis en cause.

Confrontation où le musicien a aussi beau jeu de jouer la réplique. C’est ce qui se produisit lorsque le jury voulut interroger les candidats sur leurs musiciens de “référence”, en leur en supposant certains, et se vit rappeler que leurs références n’étaient pas forcément les nôtres. Sujet qui aurait mérité d’être creusé.

L’accueil fait par Nicolas Ziliotto et ses compagnons aux réserves qui leur furent adressées par le jury, témoignent-elles de ce déficit d’ego qui pourrait être nuisible au développement d’un artiste ou d’une bénéfique lucidité. On les vit plutôt opiner et rebondir sur les reproches qui étaient faites au manque d’ambition de l’écriture des cordes, comme artificiellement plaquées sur le trio piano-basse-batterie, d’où résultait paradoxalement une surcharge qu’accentuait une décomposition systématique du temps par la batterie, en dépit d’une inventive distribution des timbres percussifs. Autant de problèmes dont ils semblaient conscients et pour lesquels ils semblaient déjà prêts à se remettre à l’ouvrage. On notera enfin que Nicolas Ziliotto avait été la veille honoré d’un prix spécial au Concours international de piano jazz du Chorus, le club de Lausanne, remporté par Noé Huchard (voir par ailleurs dans ces pages). Franck Bergerot / photos © Anatholie

Un autre sujet, récurent lors de ces tremplins organisés souvent dans des lieux n’ayant pas le jazz pour spécialité : la sonorisation. Les vocations dans ce domaine émergent majoritairement du public des musiques dites actuelles, aujourd’hui dominante et qu’on qualifie parfois aussi de musiques amplifiées. Où l’on a affaire à des sonorisateurs qui sont générelement déroutés face à un trio acoustique, habitués qu’ils sont de multiplier les micros autour de la batterie pour bidouiller à leur guise le “son du batteur”, à booster la contrebasse systématiquement, à jouer l’escalade des décibels sans tenir compte ni du lieu ni des oreilles des auditeurs, accoutumés qu’ils sont à sonoriser pour des publics déjà partiellement sourds, ce qu’ils sont souvent déjà eux-mêmes de longue date. Un tremplin, avec ses constants changements de plateau et d’univers sonores constitue probablement un pari difficile pour un sonorisateurs. Et ce sont en priorité les lauréats qui souffrent de ces difficultés lorsqu’elles sont mal comprises. Franck Bergerot