Jazz live
Publié le 23 Fév 2013

Pierre Durand à l'Improviste: Around Nola n°4

Hier 22 février, Pierre Durand présentait le quatrième volet de sa résidence “Around Nola” sur la Péniche l’Improviste où il invitait le contrebassiste Patrick Laroche et le saxophoniste alto Esteban Pinto Gondim. Début de concert en solo dans le bayou louisianais puis remontée vers le Nord est ses standards.

 

Public clairsemée mais de qualité, plus quelques jeunes Japonaises égarées, venues dîner et dont on avait dressé le couvert dans la salle de concert, faute de place sur le pont envahi par les dîneurs. Elles s’échapperont à l’entracte, remplacées par de jeunes Japonais, masculins ceux-là, attirés par le son viril de la guitare, probablement du même groupe mais où la séparation des sexes serait encore la règle. Pierre Durand commence seul par quelques nouvelles improvisations sur le programme de son disque “Nola Improvisations”. Sommes-nous à quai sur le Mississippi ou sur le Gange ? Les bourdons, le caractère modal et le slide nous fait hésiter sur la localisation de notre péniche. D’autres drones, d’autres sonorités longues qui évoquent un ensemble de clarinettes plus que des sonorités de cordes pincées, mais la rythmicité du blues revient et quelque citation de John Scofield annonce que l’on glisse vers l’hommage qu’aime rendre Pierre Durand à son “maître” sur un ensemble de riffs qu’il superpose par la magie de sa pédale delay.

Puis il parle au public, évoque son expérience néo-orléanaise, lorsqu’il partit là-bas seul, sans préjugé, pour découvrir une Nouvelle-Orléans qui n’était pas tout à fait celles des guides touristiques. Il s’étonne même d’y avoir découvert un free néo-orléanais et s’embarque dans des paysages guitaristiques plus abstraits avant d’inviter ses hôtes du soir : le contrebassiste Patrick Laroche. Programme de standards nous a-t-il annoncé, non sans nous avoir prévenu que les rapports du jazz sont ainsi fait que ça peut vite déraper. Et de fait, il ne commence pas par un standard, mais par un hommage à Lennie Tristano et à ses disciples. Dissimulait-il quelque démarquage caché ? Ça tombe assez bien avec Esteban Pinto Gondim que l’on pourrait situer sans trop de risque dans un double héritage konitzien-colemanien (tendance ornettienne). Il a de l’un et de l’autre ce dédain des clichés et du déroulement mélodique note à note, chaque note étant appelée par celle qui précède et appelant celle qui suit. Une éthique de l’improvisation.

 

Le standard suivant n’en est toujours pas un mais, nous dit Pierre Durand, derrière l’ironie et la satire Frank Zappa, il faut savoir entendre une qualité mélodique qui n’a rien à envier aux compositeurs de standards, ce qu’il prouve à travers un arrangement de Twenty Small Cigars qu’il fait pivoter sur son socle pour nous le faire voir sous un angle nouveau, une démarche conforme à son auteur qui aimait remettre constamment à l’ouvrage ses anciennes partitions. Suivront une version lente, au tempo flottante de Very Early nous rappelant à l’élément liquide qui nous entoure. Ce que nous rappelle encore Au bord, une reprise instrumentale de la pièce chorale que Pierre Durand fit chanter à la Nouvelle-Orléans pour son disque “Nola” à John Boutté (oui, le chanteur du “Piety Street” de John Scofield), Nicholas Payton (oui, le trompettiste) et Cornell Williams (oui, le bassiste de Tremé). Tout cela est habité par la contrebasse de Patrick Laroche dont le rebond des grands écarts évoqueraient Red Mitchell et les visées mélodiques renverraient à Steve Swallow. Un tremolo free fortissimo, un frissonnant decrescendo et nous voilà embarqué dans un fiévreux Boogie Stop Shuffle de Charles Mingus dont les parties orchestrales sont malicieusement redistribuées pour ce trio, puis un exercice de dérapage contrôlée traverse un standard, un vrai enfin, dont je cherche vainement à retrouver le titre… à force de n’écouter que des compositions originales, « on perd ses classiques. » Est-ce grave docteur ?


Je me laisse bercer par cette motricité mélodique en contrepoint à trois voix qui à plusieurs reprises au cours de ce concert nous a renvoyé à l’école tristanienne et, fasciné par la ligne de flottaison au ras des hublots qui scintille en direction du Parc de la Villette, je me demande s’il est encore temps d’attraper le passage de mon dernier RER en gare d’Opéra. Mais la berge semble s’éloigner et le visage de Pierre Durand grimace en reflet dans les hublots qui s’enfoncent sous les flots, à moins que ce ne soient nos Japonais revenus nous offrir quelques échantillons du kabuki ou une bande de poissons-chats farceurs. Car nous referons surface au milieu du bayou et accosterons le long d’un immeuble qui s’avèrera être le mien.

 

Réveillé ce matin par la démangeaison causée par les piqûres de maringouin, je retrouve sur mon bureau mon carnet de rendez-vous où j’ai noté les prochaines dates de Pierre Durand sur la péniche l’Improviste : le 22 mars avec son “Roots Quartet” (Hugues Mayot, Guido Zorn, Joe Quitzke) et le 26 avril avec le même quartette, dans un programme “70 ans de cinéma américain”, la péniche ayant cette fois descendu le Bassin de la Vilette jusqu’à hauteur du cinéma MK2 dans le cadre d’une grande opération parisienne autour du jazz dont nous vous toucherons quelques mots dans notre numéro d’avril. Pour l’heure, c’est le numéro de mars qui arrivera lundi 25 chez nos abonnés avec Youn Sun Nah en couverture et la suite de la grande interview de Henri Texier, à cinq jours de son concert à Châtelet (avec John Scofield en invité !).

 

Franck Bergerot

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Hier 22 février, Pierre Durand présentait le quatrième volet de sa résidence “Around Nola” sur la Péniche l’Improviste où il invitait le contrebassiste Patrick Laroche et le saxophoniste alto Esteban Pinto Gondim. Début de concert en solo dans le bayou louisianais puis remontée vers le Nord est ses standards.

 

Public clairsemée mais de qualité, plus quelques jeunes Japonaises égarées, venues dîner et dont on avait dressé le couvert dans la salle de concert, faute de place sur le pont envahi par les dîneurs. Elles s’échapperont à l’entracte, remplacées par de jeunes Japonais, masculins ceux-là, attirés par le son viril de la guitare, probablement du même groupe mais où la séparation des sexes serait encore la règle. Pierre Durand commence seul par quelques nouvelles improvisations sur le programme de son disque “Nola Improvisations”. Sommes-nous à quai sur le Mississippi ou sur le Gange ? Les bourdons, le caractère modal et le slide nous fait hésiter sur la localisation de notre péniche. D’autres drones, d’autres sonorités longues qui évoquent un ensemble de clarinettes plus que des sonorités de cordes pincées, mais la rythmicité du blues revient et quelque citation de John Scofield annonce que l’on glisse vers l’hommage qu’aime rendre Pierre Durand à son “maître” sur un ensemble de riffs qu’il superpose par la magie de sa pédale delay.

Puis il parle au public, évoque son expérience néo-orléanaise, lorsqu’il partit là-bas seul, sans préjugé, pour découvrir une Nouvelle-Orléans qui n’était pas tout à fait celles des guides touristiques. Il s’étonne même d’y avoir découvert un free néo-orléanais et s’embarque dans des paysages guitaristiques plus abstraits avant d’inviter ses hôtes du soir : le contrebassiste Patrick Laroche. Programme de standards nous a-t-il annoncé, non sans nous avoir prévenu que les rapports du jazz sont ainsi fait que ça peut vite déraper. Et de fait, il ne commence pas par un standard, mais par un hommage à Lennie Tristano et à ses disciples. Dissimulait-il quelque démarquage caché ? Ça tombe assez bien avec Esteban Pinto Gondim que l’on pourrait situer sans trop de risque dans un double héritage konitzien-colemanien (tendance ornettienne). Il a de l’un et de l’autre ce dédain des clichés et du déroulement mélodique note à note, chaque note étant appelée par celle qui précède et appelant celle qui suit. Une éthique de l’improvisation.

 

Le standard suivant n’en est toujours pas un mais, nous dit Pierre Durand, derrière l’ironie et la satire Frank Zappa, il faut savoir entendre une qualité mélodique qui n’a rien à envier aux compositeurs de standards, ce qu’il prouve à travers un arrangement de Twenty Small Cigars qu’il fait pivoter sur son socle pour nous le faire voir sous un angle nouveau, une démarche conforme à son auteur qui aimait remettre constamment à l’ouvrage ses anciennes partitions. Suivront une version lente, au tempo flottante de Very Early nous rappelant à l’élément liquide qui nous entoure. Ce que nous rappelle encore Au bord, une reprise instrumentale de la pièce chorale que Pierre Durand fit chanter à la Nouvelle-Orléans pour son disque “Nola” à John Boutté (oui, le chanteur du “Piety Street” de John Scofield), Nicholas Payton (oui, le trompettiste) et Cornell Williams (oui, le bassiste de Tremé). Tout cela est habité par la contrebasse de Patrick Laroche dont le rebond des grands écarts évoqueraient Red Mitchell et les visées mélodiques renverraient à Steve Swallow. Un tremolo free fortissimo, un frissonnant decrescendo et nous voilà embarqué dans un fiévreux Boogie Stop Shuffle de Charles Mingus dont les parties orchestrales sont malicieusement redistribuées pour ce trio, puis un exercice de dérapage contrôlée traverse un standard, un vrai enfin, dont je cherche vainement à retrouver le titre… à force de n’écouter que des compositions originales, « on perd ses classiques. » Est-ce grave docteur ?


Je me laisse bercer par cette motricité mélodique en contrepoint à trois voix qui à plusieurs reprises au cours de ce concert nous a renvoyé à l’école tristanienne et, fasciné par la ligne de flottaison au ras des hublots qui scintille en direction du Parc de la Villette, je me demande s’il est encore temps d’attraper le passage de mon dernier RER en gare d’Opéra. Mais la berge semble s’éloigner et le visage de Pierre Durand grimace en reflet dans les hublots qui s’enfoncent sous les flots, à moins que ce ne soient nos Japonais revenus nous offrir quelques échantillons du kabuki ou une bande de poissons-chats farceurs. Car nous referons surface au milieu du bayou et accosterons le long d’un immeuble qui s’avèrera être le mien.

 

Réveillé ce matin par la démangeaison causée par les piqûres de maringouin, je retrouve sur mon bureau mon carnet de rendez-vous où j’ai noté les prochaines dates de Pierre Durand sur la péniche l’Improviste : le 22 mars avec son “Roots Quartet” (Hugues Mayot, Guido Zorn, Joe Quitzke) et le 26 avril avec le même quartette, dans un programme “70 ans de cinéma américain”, la péniche ayant cette fois descendu le Bassin de la Vilette jusqu’à hauteur du cinéma MK2 dans le cadre d’une grande opération parisienne autour du jazz dont nous vous toucherons quelques mots dans notre numéro d’avril. Pour l’heure, c’est le numéro de mars qui arrivera lundi 25 chez nos abonnés avec Youn Sun Nah en couverture et la suite de la grande interview de Henri Texier, à cinq jours de son concert à Châtelet (avec John Scofield en invité !).

 

Franck Bergerot

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Hier 22 février, Pierre Durand présentait le quatrième volet de sa résidence “Around Nola” sur la Péniche l’Improviste où il invitait le contrebassiste Patrick Laroche et le saxophoniste alto Esteban Pinto Gondim. Début de concert en solo dans le bayou louisianais puis remontée vers le Nord est ses standards.

 

Public clairsemée mais de qualité, plus quelques jeunes Japonaises égarées, venues dîner et dont on avait dressé le couvert dans la salle de concert, faute de place sur le pont envahi par les dîneurs. Elles s’échapperont à l’entracte, remplacées par de jeunes Japonais, masculins ceux-là, attirés par le son viril de la guitare, probablement du même groupe mais où la séparation des sexes serait encore la règle. Pierre Durand commence seul par quelques nouvelles improvisations sur le programme de son disque “Nola Improvisations”. Sommes-nous à quai sur le Mississippi ou sur le Gange ? Les bourdons, le caractère modal et le slide nous fait hésiter sur la localisation de notre péniche. D’autres drones, d’autres sonorités longues qui évoquent un ensemble de clarinettes plus que des sonorités de cordes pincées, mais la rythmicité du blues revient et quelque citation de John Scofield annonce que l’on glisse vers l’hommage qu’aime rendre Pierre Durand à son “maître” sur un ensemble de riffs qu’il superpose par la magie de sa pédale delay.

Puis il parle au public, évoque son expérience néo-orléanaise, lorsqu’il partit là-bas seul, sans préjugé, pour découvrir une Nouvelle-Orléans qui n’était pas tout à fait celles des guides touristiques. Il s’étonne même d’y avoir découvert un free néo-orléanais et s’embarque dans des paysages guitaristiques plus abstraits avant d’inviter ses hôtes du soir : le contrebassiste Patrick Laroche. Programme de standards nous a-t-il annoncé, non sans nous avoir prévenu que les rapports du jazz sont ainsi fait que ça peut vite déraper. Et de fait, il ne commence pas par un standard, mais par un hommage à Lennie Tristano et à ses disciples. Dissimulait-il quelque démarquage caché ? Ça tombe assez bien avec Esteban Pinto Gondim que l’on pourrait situer sans trop de risque dans un double héritage konitzien-colemanien (tendance ornettienne). Il a de l’un et de l’autre ce dédain des clichés et du déroulement mélodique note à note, chaque note étant appelée par celle qui précède et appelant celle qui suit. Une éthique de l’improvisation.

 

Le standard suivant n’en est toujours pas un mais, nous dit Pierre Durand, derrière l’ironie et la satire Frank Zappa, il faut savoir entendre une qualité mélodique qui n’a rien à envier aux compositeurs de standards, ce qu’il prouve à travers un arrangement de Twenty Small Cigars qu’il fait pivoter sur son socle pour nous le faire voir sous un angle nouveau, une démarche conforme à son auteur qui aimait remettre constamment à l’ouvrage ses anciennes partitions. Suivront une version lente, au tempo flottante de Very Early nous rappelant à l’élément liquide qui nous entoure. Ce que nous rappelle encore Au bord, une reprise instrumentale de la pièce chorale que Pierre Durand fit chanter à la Nouvelle-Orléans pour son disque “Nola” à John Boutté (oui, le chanteur du “Piety Street” de John Scofield), Nicholas Payton (oui, le trompettiste) et Cornell Williams (oui, le bassiste de Tremé). Tout cela est habité par la contrebasse de Patrick Laroche dont le rebond des grands écarts évoqueraient Red Mitchell et les visées mélodiques renverraient à Steve Swallow. Un tremolo free fortissimo, un frissonnant decrescendo et nous voilà embarqué dans un fiévreux Boogie Stop Shuffle de Charles Mingus dont les parties orchestrales sont malicieusement redistribuées pour ce trio, puis un exercice de dérapage contrôlée traverse un standard, un vrai enfin, dont je cherche vainement à retrouver le titre… à force de n’écouter que des compositions originales, « on perd ses classiques. » Est-ce grave docteur ?


Je me laisse bercer par cette motricité mélodique en contrepoint à trois voix qui à plusieurs reprises au cours de ce concert nous a renvoyé à l’école tristanienne et, fasciné par la ligne de flottaison au ras des hublots qui scintille en direction du Parc de la Villette, je me demande s’il est encore temps d’attraper le passage de mon dernier RER en gare d’Opéra. Mais la berge semble s’éloigner et le visage de Pierre Durand grimace en reflet dans les hublots qui s’enfoncent sous les flots, à moins que ce ne soient nos Japonais revenus nous offrir quelques échantillons du kabuki ou une bande de poissons-chats farceurs. Car nous referons surface au milieu du bayou et accosterons le long d’un immeuble qui s’avèrera être le mien.

 

Réveillé ce matin par la démangeaison causée par les piqûres de maringouin, je retrouve sur mon bureau mon carnet de rendez-vous où j’ai noté les prochaines dates de Pierre Durand sur la péniche l’Improviste : le 22 mars avec son “Roots Quartet” (Hugues Mayot, Guido Zorn, Joe Quitzke) et le 26 avril avec le même quartette, dans un programme “70 ans de cinéma américain”, la péniche ayant cette fois descendu le Bassin de la Vilette jusqu’à hauteur du cinéma MK2 dans le cadre d’une grande opération parisienne autour du jazz dont nous vous toucherons quelques mots dans notre numéro d’avril. Pour l’heure, c’est le numéro de mars qui arrivera lundi 25 chez nos abonnés avec Youn Sun Nah en couverture et la suite de la grande interview de Henri Texier, à cinq jours de son concert à Châtelet (avec John Scofield en invité !).

 

Franck Bergerot

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Hier 22 février, Pierre Durand présentait le quatrième volet de sa résidence “Around Nola” sur la Péniche l’Improviste où il invitait le contrebassiste Patrick Laroche et le saxophoniste alto Esteban Pinto Gondim. Début de concert en solo dans le bayou louisianais puis remontée vers le Nord est ses standards.

 

Public clairsemée mais de qualité, plus quelques jeunes Japonaises égarées, venues dîner et dont on avait dressé le couvert dans la salle de concert, faute de place sur le pont envahi par les dîneurs. Elles s’échapperont à l’entracte, remplacées par de jeunes Japonais, masculins ceux-là, attirés par le son viril de la guitare, probablement du même groupe mais où la séparation des sexes serait encore la règle. Pierre Durand commence seul par quelques nouvelles improvisations sur le programme de son disque “Nola Improvisations”. Sommes-nous à quai sur le Mississippi ou sur le Gange ? Les bourdons, le caractère modal et le slide nous fait hésiter sur la localisation de notre péniche. D’autres drones, d’autres sonorités longues qui évoquent un ensemble de clarinettes plus que des sonorités de cordes pincées, mais la rythmicité du blues revient et quelque citation de John Scofield annonce que l’on glisse vers l’hommage qu’aime rendre Pierre Durand à son “maître” sur un ensemble de riffs qu’il superpose par la magie de sa pédale delay.

Puis il parle au public, évoque son expérience néo-orléanaise, lorsqu’il partit là-bas seul, sans préjugé, pour découvrir une Nouvelle-Orléans qui n’était pas tout à fait celles des guides touristiques. Il s’étonne même d’y avoir découvert un free néo-orléanais et s’embarque dans des paysages guitaristiques plus abstraits avant d’inviter ses hôtes du soir : le contrebassiste Patrick Laroche. Programme de standards nous a-t-il annoncé, non sans nous avoir prévenu que les rapports du jazz sont ainsi fait que ça peut vite déraper. Et de fait, il ne commence pas par un standard, mais par un hommage à Lennie Tristano et à ses disciples. Dissimulait-il quelque démarquage caché ? Ça tombe assez bien avec Esteban Pinto Gondim que l’on pourrait situer sans trop de risque dans un double héritage konitzien-colemanien (tendance ornettienne). Il a de l’un et de l’autre ce dédain des clichés et du déroulement mélodique note à note, chaque note étant appelée par celle qui précède et appelant celle qui suit. Une éthique de l’improvisation.

 

Le standard suivant n’en est toujours pas un mais, nous dit Pierre Durand, derrière l’ironie et la satire Frank Zappa, il faut savoir entendre une qualité mélodique qui n’a rien à envier aux compositeurs de standards, ce qu’il prouve à travers un arrangement de Twenty Small Cigars qu’il fait pivoter sur son socle pour nous le faire voir sous un angle nouveau, une démarche conforme à son auteur qui aimait remettre constamment à l’ouvrage ses anciennes partitions. Suivront une version lente, au tempo flottante de Very Early nous rappelant à l’élément liquide qui nous entoure. Ce que nous rappelle encore Au bord, une reprise instrumentale de la pièce chorale que Pierre Durand fit chanter à la Nouvelle-Orléans pour son disque “Nola” à John Boutté (oui, le chanteur du “Piety Street” de John Scofield), Nicholas Payton (oui, le trompettiste) et Cornell Williams (oui, le bassiste de Tremé). Tout cela est habité par la contrebasse de Patrick Laroche dont le rebond des grands écarts évoqueraient Red Mitchell et les visées mélodiques renverraient à Steve Swallow. Un tremolo free fortissimo, un frissonnant decrescendo et nous voilà embarqué dans un fiévreux Boogie Stop Shuffle de Charles Mingus dont les parties orchestrales sont malicieusement redistribuées pour ce trio, puis un exercice de dérapage contrôlée traverse un standard, un vrai enfin, dont je cherche vainement à retrouver le titre… à force de n’écouter que des compositions originales, « on perd ses classiques. » Est-ce grave docteur ?


Je me laisse bercer par cette motricité mélodique en contrepoint à trois voix qui à plusieurs reprises au cours de ce concert nous a renvoyé à l’école tristanienne et, fasciné par la ligne de flottaison au ras des hublots qui scintille en direction du Parc de la Villette, je me demande s’il est encore temps d’attraper le passage de mon dernier RER en gare d’Opéra. Mais la berge semble s’éloigner et le visage de Pierre Durand grimace en reflet dans les hublots qui s’enfoncent sous les flots, à moins que ce ne soient nos Japonais revenus nous offrir quelques échantillons du kabuki ou une bande de poissons-chats farceurs. Car nous referons surface au milieu du bayou et accosterons le long d’un immeuble qui s’avèrera être le mien.

 

Réveillé ce matin par la démangeaison causée par les piqûres de maringouin, je retrouve sur mon bureau mon carnet de rendez-vous où j’ai noté les prochaines dates de Pierre Durand sur la péniche l’Improviste : le 22 mars avec son “Roots Quartet” (Hugues Mayot, Guido Zorn, Joe Quitzke) et le 26 avril avec le même quartette, dans un programme “70 ans de cinéma américain”, la péniche ayant cette fois descendu le Bassin de la Vilette jusqu’à hauteur du cinéma MK2 dans le cadre d’une grande opération parisienne autour du jazz dont nous vous toucherons quelques mots dans notre numéro d’avril. Pour l’heure, c’est le numéro de mars qui arrivera lundi 25 chez nos abonnés avec Youn Sun Nah en couverture et la suite de la grande interview de Henri Texier, à cinq jours de son concert à Châtelet (avec John Scofield en invité !).

 

Franck Bergerot