Jazz live
Publié le 30 Jan 2023

St Pée sur Nivelle: Alfio, Célia & le triangle isocèle

Dans un spectacle musical il peut y avoir des petits moments rigolos, démarrés sur de l’inattendu Des histoires sans parole faites de petits gestes singuliers façon doigt pointé vers le haut par exemple pour demander plus de volume dans les retours de scène. Ça commence du côté du pianiste à l’adresse du sonoriasateur placé dans les gradins au beau milieu du public. Ça se poursuit toujours dans un mot entre l’index et le pouce de la chanteuse. Une bonne partie du public ne pige rien à l’affaire; les premiers rangs interprètent ou non. La brève chanson de geste demeure dans l’entre soi des gens de scène.

Il fait froid dans cette nuit sans étoile au Pays Basque. La salle s’est emplie in fine, dissoute ainsi la crainte initiale des organisateurs pour ce premier concert de jazz au village « labourdin » niché entre croupes de montagne et océan voisin d’écumes de jour.

Alfio Origlio( p), Célia Kameni (voc), Rémi Vignolo (b), Zaza Desiderio (dm)

Espace Larreko, St Pée sur Nivelle (64310)

Alfio Origlio

Pas de chaleur excessive pour autant sur le chemin d’une entame cool, plutôt le beau son d’un trio articulé en bon équilibre triangulé isocèle. Du travail bien fait -n’en déplaise au titre premier « Wrong again »- afin que le decrescendo des traits de voix se retrouve teinté d’une netteté absolue, instillée à capella même, hors champ du micro pour conclure cette introduction.
Le piano, dans une formule trio jazz, se place en position centrale. Pour cette version du « Norvegian Wood » de Lennon-Mc Cartney, sur tout le clavier le chorus s’appuie sur des passages d’accords en mode de relance. Piano présent encore bien sur, lorsque retentit « Caravan » cadre mélodique pour une voix jetée en rondeurs, en arabesques. On décrypte aisément le soutien inspiré de la basse. Rémy Vignolo soigne sur son instrument le son, les phrases, les phases d’intensité produite. En complicité évidente Zaza Désiderio pour illustrer Duke sans doute se fait un jeu, un plaisir d’enjamber les contre temps histoire de mieux sacraliser les temps forts.
Il y a les standards de toujours donc. Il en existe également de plus récents. En devenir en quelque sorte. « No love dying » signé Gregory Porter fait partie de cette seconde catégorie « Cette belle chanson je l’ai entendue chanter par son auteur dans le Théâtre Antique à l’occasion de Jazz à Vienne » explique, séduite, Célia Kameni. La séduction se traduit transposée directe dans le ton de voix adopté. Offerte ainsi très nature au public. Alfio Origlio, attentif, à l’écoute y ajoute des contrechants mesurés, donnant un relief supplémentaire à une mélodie apte à s’incruster au plus profond des neurones.
Une voix, des mots, une mélodie : ces trois ingrédients versés dans une potion magique gardent souvent leur mystère propre. Question de proportion, d’intention, de moment propice ou choisi.

Célia Kameni


« Le blues indolent » dans lequel Jeanne Moreau vantait « les jeux de l’amour et du hasard » reste dans les mémoires pour l’harmonie de ses couleurs diaphanes. Rapporté au trio le titre revient en douceur au long d’une introduction délicate au piano, placée là pour embaumer la douceur d’une voix mise du bout des lèvres. Maitrise de l’intensité, du crescendo pour passer sans encombre du calme plat au mezzo forte: Célia Kameni, on l’imagine bien en profiter pour rendre visite aux ombre projetées d’Abbey Lincoln ou d’Aretha Franklin. Indolent ou impertinent, le blues ne se trouve pas forcément là où on l’y attendrait.

Inattendu, tiens justement. Retrouver dans le trio plus la voix les couleurs du fauvisme, l’explosivité, les arcs électriques propres à l’expression de la guitare de Jimy Hendrix lorsque, dans son « Purple Haze » en particulier, il affirme vouloir donner des baisers au ciel – «  …Kiss the Sky » Et pourtant, question de vénération ou de déclaration de flamme pour son art brut, les voicings de piano plaqués en un kaléidoscope bluesy, venus en complément des plans complices d’interactions rythmiques rutilantes piano/basse/:batterie ( en solo tonitruant cette dernière au final) « ça le fait plutôt bien »

Rémy Vignolo

On pourrait ainsi prolonger encore les échos du concert vécu dans une salle confort, peuplée il faut le dire comme en beaucoup d’autres lieux de concert jazz aujourd’hui, de nombre de crinières blanches. En guise de dessert on gardera comme souvenir privilégié le moment d’un « Afro Blue » en univers total percussion comme l’aimait son auteur, Mongo Santamaria. Objet sculpté issu d’un travail d’orfèvre de la part de Zaza Desiderio tout juste de retour d’une tournée de trois semaines au Brésil, son pays natal. Roulements en rubans de couleurs vives, polyrythmie brillante, mouvements de danse et autres carnaval de tambours …Ceci explique cela ?

Zaza Desiderio

Robert Latxague