Jazz live
Publié le 2 Déc 2015

Alexandre Perrot, une musique qui creuse l'espace

 

 

Le concert n’a lieu ni dans un club, ni dans un bar ou un café, mais dans l’appartement privé du clarinettiste Corentin Giniaux et de sa compagne. 20-25 personnes assises sur des coussins ont écouté la musique avec une attention sans faille.   

Le premier morceau est introduit par  une sorte de chaos sonore savamment élaboré par Ariel Teissier. Peu à peu, émerge de ce tohu-bohu une architecture subtile. Le contrebassiste Alexandre Perrot propose alors des couleurs, des ambiances, des figures. La pulsation est suggérée en pointillé. Puis Julien Soro et Quentin Ghomari entrent à leur tour. On comprend très vite que ces quatre musiciens partagent une même volonté de faire respirer la musique. Ils en explorent la dimension spatiale. Ils semblent mus par l’idée de découvrir ce qu’il reste de la maison si l’on enlève un mur porteur ou quelques poutrelles de charpente. Il y a donc une dimension de recherche dans cette musique, mais elle n’est pas coupée de sa dimension organique. Le premier chorus de Julien Soro le démontre comme une évidence. Il met en jeu son coeur, ses tripes, toute sa viande. Son propos impressionne par son intensité mais aussi par sa manière de malaxer la temporalité. On a l’impression parfois que le temps s’étire, et que Soro joue au ralenti. Mais  il réussit à créer  cette impression sans rien perdre de sa puissance. Sur mon carnet je note  « orchidée saoule » pour rendre compte tant bien que mal de cette sensation d’alanguissement. Pendant que Julien Soro joue à l’orchidée saoûle le trompettiste Quentin Ghomari s’exprime de manière plus parcimonieuse à la trompette , mais toujours avec finesse et intelligence. Pour l’essentiel on sent dans son jeu l’influence d’Ambrose Akinmusire. Il utilise toute la tessiture de la trompette avec une grande homogénéité du son du grave aux  aigus. Il fait une belle utilisation également des effets de demi-piston, comme des sortes de miaulements très expressifs. Quelque chose dans son jeu me rappelle la démarche du saxophoniste Mark Turner, avec cette manière d’ouvrir l’espace à coups d’arpèges  hypnotiques. Ghomari et Soro, notamment dans l’exposé des thèmes, se retrouvent parfois pour des unissons savamment baveux, comme des peintres virtuoses qui prendraient plaisir à dessiner avec un bout de charbon. Avec ce groupe, c’est l’expression qui compte, pas la perfection glacée.

Le reste des morceaux joués ce soir-là vient confirmer cette impression première. Certaines compositions ont une tonalité plus abstraite, plus exploratoire, (comme dans  « 13 » composition d’Alexandre Perrot, où Ariel Teissier étirent l’espace au maximum, par un jeu tout en nuances, en pointillés, en suggestion. A l’inverse la composition de Quentin Ghomari « 160 Bpm » (discrète allusion à une naissance future)  va chercher du côté d’Ornette Coleman pour l’acidité et de Roland Kirk pour l’énergie vitale.

Le groupe ne joue que quatre ou cinq morceaux pour que l’hôte de cette soirée, le clarinettiste Corentin Giniaux ne se fasse pas lyncher par ses voisins. Une bouteille de champagne est ouverte pour fêter la naissance de ce groupe, et l’achat de la nouvelle contrebasse d’Alexandre Perrot. Je bavarde avec lui quelques instants. Il m’explique que ce nouvel instrument l’oblige à redéfinir toute son esthétique en matière de projection du son. Je lui demande ce qu’il cherche à obtenir. Un gros son? « Non…ce qui m’intérèsse c’est  plutôt la profondeur du son, sa plénitude…C’est aussi un travail sur le placement. Avec PJ5 mon groupe électrique, le placement est totalement différent ». Il évoque ses différents modèles : « Il y a bien sûr Larry Grenadier, où tu as un impact à chaque note. ça fait un peu « ta-ta-ta-ta ». L’autre école, c’est celle de Charlie Haden. il y a une profondeur du son, une force mélodique et même spirituelle dans tout ce qu’il joue… ». Il ne le dit pas mais on le sent  attiré par cette force spirituelle. Son autre préoccupation est la recherche d’espace, comme on a pu l’entendre dans la musique jouée ce soir. Parmi ses inspirations, il cite le trio du guitariste Jakob Bro avec Thomas Morgan à la contrebasse. Julien Soro est à côté de nous. Il a écouté la dernière partie de la conversation. Après avoir taquiné Alexandre Perrot (le qualifiant de  « James Dean de la contrebasse ») il va dans le sens de son contrebassiste: « Aujourd’hui, c’est de la rythmique que vient la révolution en jazz. Nous, les sax, on est toujours là pour venir chanter  notre petite chanson, mais il faut reconnaître qu’on ne fait que suivre le mouvement… ». Pour lui, il y a les contrebassistes qui « ouvrent l’espace » et les autres: « Quand je joue avec un contrebassiste, je sais dès les dix premières minutes si je vais pouvoir m’évader ou non. Alexandre fait partie des contrebassistes qui ouvrent l’espace… ». Il irradie  la joie de jouer (« En ce moment je joue dans pas mal de groupes électriques, cela me faisait plaisir de revenir à l’accoustique »).  On est très curieux de voir comment évoluera cette musique généreuse, qui assume fièrement ses prises de risque, ses paradoxes  et même son côté « attention peinture fraîche »: Bref, son émouvante humanité.  

Texte JF Mondot

Dessins AC Alvoët

site avec de nombreux autres dessins et peintures www.annie-claire.com/

 

 

 

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Vendredi soir était journée d’inauguration pour le contrebassiste Alexandre Perrot. Il présentait un nouveau quartet et de nouvelles compositions. Ce groupe de jeunes musiciens a délivré une musique très ouverte  avec une implication et un engagement total. Un des concerts les plus enthousiasmants que l’on ait vus récemment.

Alexandre Perrot (contrebasse), Ariel Teissier (batterie ), Julien Soro (sax alto), Quentin Ghomari (trompette), Vendredi 27 novembre