Jazz live
Publié le 28 Juil 2015

50e Jazzaldia San Sebastian (II): Benny et Melody from Philadelphie

 

Un simple effet de mode ? Un truc tendance version spectacle soft plus que hard ? Une nouvelle manie artistique du live ? Voilà que l’on demande au public de devenir désormais partie prenante du concert. De chanter carrément, mots, phrases, onomatopées: qu’importe le contenant vive le résultat. Le doigt du musicien devient signe imperator déclanchant. Le micro du chanteur bascule vers l’audience. Ladies and gentlemen : «Il faut par-ti-ci-per!» Au Pays Basque, terre génitrice de voix, ça fonctionne forcément…A Vitoria sur Spain ou un écho d’Aranjuez Chick Corea, mutin, jouait les chefs de choeur. A San Sebastian successivement un Earth Wind and Fire en démarque, Jamie Cullum, Melody Gardot diva annoncée n’y auront pas résisté. C’est gratuit, ça marche, c’est good !

Benny Golson (ts), Joan Monne (p), Ignasi González (b), Jo Krause (dm)

Andrzej Olejniczak (ts), Iñaki Salvdor (p), Maciej Fortuna (tp), Gonzalo Tejada (b), Borja Barrueta (dm)

The New Standard Trio: Jamie Shaft (p, org), Steve Swallow (elb), Bobby Previte (dm)

The Bad Plus: Ray Anderson (b), Ethan Iverson (p), Dave King (dm) + Joshua Redman (ts)

Melody Gardot

50 e Festival de Jazz, San Sebastian/Donostia, Euskadi, Espagne, 22-25 juin

 

Benny Golson, 86 ans, bon pied bon oeil aime faire la conversation. Sur les planches chic de l’auditorium du Kursaal, face à 1500 spectateurs venus pour lui exclusivement -question annexe: quel autre festival peut se targuer de rassembler une telle audience en hommage à un musicien comme lui ?- il alterne de long speechs explicatifs de tous les standards qu’il a composés « Killer Joe, Whipser Not, Blues March, I remenber Clifford et leur histoire propre. Ainsi entrelardés de phrases justificatives, les thèmes de jazz que chacun, aficionado à cette musique ou pas, a un jour entendu sonnent presque comme à leur naissance. Le ténor du musicien de Philadelphie délivre encore un beau son bien rond, modelé avec à propos, élégant. Dommage que la rythmique soit un peu vide, convenue et l’ordre des  soli trop répétitif, systématique. Le lendemain il reçoit un Award, prix du festival Jazzaldia San Sebastian 2015, des mains du nouveau maire de la cité basque Eneko Goia. D’un air de père tranquille, non sans humour il se plait à convoquer ses souvenirs d’une voix douce. Autant d’occasions de conter les circonstances qui l’on fait côtoyer ses collègues musiciens. Ceux de Philadelphie, sa ville pour commencer: John Coltrane (avec lequel il travaillait son ténor dans la cave de ses parents), Clifford Brown, Philly Joe Jones, Red Garland, Percy Heath, Red Rodney…plus ceux dont il aura croisé le chemin Miles Davis, Max Roach, Art Blakey (qu’il aurait forcé à reprendre un roulement de marche militaire sur sa caisse claire pour mettre au point l’iconique Blues March) etc.  Au bout des ses récits façon Oncle Paul, on se dit qu’il a tracé mine de rien une sorte de Hall of Fame des musiciens de jazz de la fin du XXe siècle. Lui n’a qu’un problème matériel pour le contrarier « Comment vais je faire pour ramener mon trophée chez moi ? je n’ai pris qu’une petite valise cabine pour trois jours au Pays Basque ! »

Au début de son ère, voici un demi siècle, le festival de San Sebastian se voulait honorer le jazz, musique alors mise en sourdine en pleine période franquiste. Un jazz d’ailleurs plutôt traditionnel voire mainstream et d’essence purement américaine. Hasard ou nécessité, pour clore le festival, dans la lignée de Benny Golson sans doute, le jazz dans la programmation reprend une sorte de  leadership. Ainsi en va-t-il de la dite Jam Session organisée pour fêter les vingt cinq années d’existence de la revue madrilène Cuadernos de Jazz: deux heures de concert non stop dans le cadre du magnifique théâtre Victor Eugenia rénové auront permis d’entendre à nouveau des chorus signés des saxophonistes Azar Lawrence et Charles Mc Pherson. Iñaki Salvador, pianiste basque de la cité a invité lui pour l’occasion deux musiciens polonais dans la perspective de San Sebastian, ville capitale européenne de la culture 2016 « J’espère que l’on pourra présenter ce travail l’an prochain Wroclaw, autre ville européenne de la Culture » Des compositions équilibrées, élaborées en fonction des  possibilités du quintet, des thèmes souvent ouverts sur des effets d’unisson cuivres-piano, deux solistes expressifs ( le polonais vivant à Bilbao Andrzej Olejniczak au sax et son compatriote Maciej Fortuna à la trompette): le travail orchestral porte plus ou moins de relief en fonction des thèmes abordés (Espatadanza, musique à danser sur  rythme impair issue du patrimoine basque ou Branka 2 inspiré par la cuisine du pays) La tonalité reste très colmarienne surtout lorsque le sax soprano (Olejniczak) se trouve mis sur les rails.

Le CD paru cette année sur le label Nonesuch le laissait entendre. La scène le confirme. Le saxophone de Joshua Redman introduit de la rondeur, met du groove, bref instile un courant de chaleur continue dans l’architecture un tantinet froide, très cubique en tous cas de la musique habituelle de Bad Plus. Les séquences en tension, les cuts d’aiguës, les moments de souffle légèrement saturés du saxophone transpercent les lignes croisées, les décalages savamment disposés en chicane du trio new-yorkais. Dans ce jazz d’arithmétique, de métriques complexes échafaudées le ténor situe les formules à la bonne place (The Mending) Et dégage des espaces ouverts (As this moment slips away) Au total l’écoute attentive de ce 3+1 ainsi transporté du disque à la scène laisse transparaître une certaine complémentarité qu’on n’était pas obligé d’imaginer eu égard à la personnalité des musiciens. Résultat pratique: un bonus en terme d’intensité musicale.

Il n’en va pas forcément pareil pour Steve Swallow. Présent au titre de membre du New Standard Trio il égrène sur une des basses qu’il aime à imaginer et faire construire (électrique mais dessinée avec une caisse type guitare jazz Gibson) ses notes toujours choisies avec soin. Fort d’un son chaud qui recèle toujours une petite part de mystère il continue de construire, désormais chaussé de grosses lunettes calés sur de très épais sourcils, des lignes de basses douces quasi parfaites dans leurs dessins. Sauf que dans le trio, cette fois la surprise, le plaisir ne se trouvent pas au rendez vous. Les accents de Bobby Previte n’en peuvent mais. Le piano, l’orgue, le B3 Hammond encore moins. Le discours général, l’improvisation même résonnent de trop de conventionnel. D’un déjà entendu. Il manque à cette exposition musicale un effet de souffle, d’inspiration. 

La 50e édition du Jazzaldia Donostia San Sebastian devait se terminer en son sanctuaire de la Plaza de la Trinidad, au coeur battant de la vieille ville. La despedida donc -comme l’on dit ici d’un adieu, d’une conclusion  évènementielle artistique, d’une carrière aussi d’un acteur, d’un chanteur, d’un sportif ou d’un torero- revenait à Melody Gardot « La diva de la chanson soul » annonce ainsi la présentatrice de la soirée histoire de faire monter la sauce à dix petits mètres à peine de la rue aux mille tapas. Diva ? Elle se présente ainsi, longue silhouette noire, montée sur talon aiguille, Ray Bans pour cacher ses pupilles. La voix, une fois dévoilée, sombre elle aussi, sensuelle, souvent en léger retrait mais rarement forcée, pose les couleurs qu’il faut dans un paysage musical plutôt teinté d’électricités. Le fond est  en permanence soul cool, n’étaient quelques lignes de basse lâchées en décharge d’éclairs pour zébrer la nuit. Une tendance tout de même à surcharger la grosse caisse. Sinon on baigne dans une pop soul sophistiquée (moins de cordes génératrices de surlignages acidulés que dans l’album Currency of Man/Emarcy) mais directe question effet transmis. Elle change de guitare à tout coup comme autant d’ornements de soirée sans conséquence majeure question sonorité. Elle passe vite sur le piano droit. Elle explicite ses chansons d’un air détaché mais d’un débit trop rapide pour être comprise. Elle s’assoit sur le bord de la scène pour chanter en duo avec son saxophoniste. Elle s’interroge à propos d’une pluie toujours menaçante dans le ciel tourmenté du Guipuzcoa. Elle en vient à une trame musicale plus black, blues (Preacher Man) puis soul funk (She don’t know). Le public basque en retour lui fait comprendre qu’en cette  matière (nature) elle a vu juste. Il apprécie et lui indique que sa voix alors sonne vrai.

Dans le même temps, à presque minuit sonné au clocher des deux cathédrales qui aux extrémités d’une même rue interminable se font face, Benny Golson dans son hôtel dort du sommeil du juste…récompensé la veille pour l’ensemble de son oeuvre jazzistique avant que de repartir pour New York. Sans doute ne sait-il pas alors que pour dire adios au 50e festival de Jazz de San Sebastian, Miguel Martin le boss et son équipe ont fait appel à une voix de sa ville, Philadelphie, prénommée judicieusement Mélodie

 

Robert Latxague

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Un simple effet de mode ? Un truc tendance version spectacle soft plus que hard ? Une nouvelle manie artistique du live ? Voilà que l’on demande au public de devenir désormais partie prenante du concert. De chanter carrément, mots, phrases, onomatopées: qu’importe le contenant vive le résultat. Le doigt du musicien devient signe imperator déclanchant. Le micro du chanteur bascule vers l’audience. Ladies and gentlemen : «Il faut par-ti-ci-per!» Au Pays Basque, terre génitrice de voix, ça fonctionne forcément…A Vitoria sur Spain ou un écho d’Aranjuez Chick Corea, mutin, jouait les chefs de choeur. A San Sebastian successivement un Earth Wind and Fire en démarque, Jamie Cullum, Melody Gardot diva annoncée n’y auront pas résisté. C’est gratuit, ça marche, c’est good !

Benny Golson (ts), Joan Monne (p), Ignasi González (b), Jo Krause (dm)

Andrzej Olejniczak (ts), Iñaki Salvdor (p), Maciej Fortuna (tp), Gonzalo Tejada (b), Borja Barrueta (dm)

The New Standard Trio: Jamie Shaft (p, org), Steve Swallow (elb), Bobby Previte (dm)

The Bad Plus: Ray Anderson (b), Ethan Iverson (p), Dave King (dm) + Joshua Redman (ts)

Melody Gardot

50 e Festival de Jazz, San Sebastian/Donostia, Euskadi, Espagne, 22-25 juin

 

Benny Golson, 86 ans, bon pied bon oeil aime faire la conversation. Sur les planches chic de l’auditorium du Kursaal, face à 1500 spectateurs venus pour lui exclusivement -question annexe: quel autre festival peut se targuer de rassembler une telle audience en hommage à un musicien comme lui ?- il alterne de long speechs explicatifs de tous les standards qu’il a composés « Killer Joe, Whipser Not, Blues March, I remenber Clifford et leur histoire propre. Ainsi entrelardés de phrases justificatives, les thèmes de jazz que chacun, aficionado à cette musique ou pas, a un jour entendu sonnent presque comme à leur naissance. Le ténor du musicien de Philadelphie délivre encore un beau son bien rond, modelé avec à propos, élégant. Dommage que la rythmique soit un peu vide, convenue et l’ordre des  soli trop répétitif, systématique. Le lendemain il reçoit un Award, prix du festival Jazzaldia San Sebastian 2015, des mains du nouveau maire de la cité basque Eneko Goia. D’un air de père tranquille, non sans humour il se plait à convoquer ses souvenirs d’une voix douce. Autant d’occasions de conter les circonstances qui l’on fait côtoyer ses collègues musiciens. Ceux de Philadelphie, sa ville pour commencer: John Coltrane (avec lequel il travaillait son ténor dans la cave de ses parents), Clifford Brown, Philly Joe Jones, Red Garland, Percy Heath, Red Rodney…plus ceux dont il aura croisé le chemin Miles Davis, Max Roach, Art Blakey (qu’il aurait forcé à reprendre un roulement de marche militaire sur sa caisse claire pour mettre au point l’iconique Blues March) etc.  Au bout des ses récits façon Oncle Paul, on se dit qu’il a tracé mine de rien une sorte de Hall of Fame des musiciens de jazz de la fin du XXe siècle. Lui n’a qu’un problème matériel pour le contrarier « Comment vais je faire pour ramener mon trophée chez moi ? je n’ai pris qu’une petite valise cabine pour trois jours au Pays Basque ! »

Au début de son ère, voici un demi siècle, le festival de San Sebastian se voulait honorer le jazz, musique alors mise en sourdine en pleine période franquiste. Un jazz d’ailleurs plutôt traditionnel voire mainstream et d’essence purement américaine. Hasard ou nécessité, pour clore le festival, dans la lignée de Benny Golson sans doute, le jazz dans la programmation reprend une sorte de  leadership. Ainsi en va-t-il de la dite Jam Session organisée pour fêter les vingt cinq années d’existence de la revue madrilène Cuadernos de Jazz: deux heures de concert non stop dans le cadre du magnifique théâtre Victor Eugenia rénové auront permis d’entendre à nouveau des chorus signés des saxophonistes Azar Lawrence et Charles Mc Pherson. Iñaki Salvador, pianiste basque de la cité a invité lui pour l’occasion deux musiciens polonais dans la perspective de San Sebastian, ville capitale européenne de la culture 2016 « J’espère que l’on pourra présenter ce travail l’an prochain Wroclaw, autre ville européenne de la Culture » Des compositions équilibrées, élaborées en fonction des  possibilités du quintet, des thèmes souvent ouverts sur des effets d’unisson cuivres-piano, deux solistes expressifs ( le polonais vivant à Bilbao Andrzej Olejniczak au sax et son compatriote Maciej Fortuna à la trompette): le travail orchestral porte plus ou moins de relief en fonction des thèmes abordés (Espatadanza, musique à danser sur  rythme impair issue du patrimoine basque ou Branka 2 inspiré par la cuisine du pays) La tonalité reste très colmarienne surtout lorsque le sax soprano (Olejniczak) se trouve mis sur les rails.

Le CD paru cette année sur le label Nonesuch le laissait entendre. La scène le confirme. Le saxophone de Joshua Redman introduit de la rondeur, met du groove, bref instile un courant de chaleur continue dans l’architecture un tantinet froide, très cubique en tous cas de la musique habituelle de Bad Plus. Les séquences en tension, les cuts d’aiguës, les moments de souffle légèrement saturés du saxophone transpercent les lignes croisées, les décalages savamment disposés en chicane du trio new-yorkais. Dans ce jazz d’arithmétique, de métriques complexes échafaudées le ténor situe les formules à la bonne place (The Mending) Et dégage des espaces ouverts (As this moment slips away) Au total l’écoute attentive de ce 3+1 ainsi transporté du disque à la scène laisse transparaître une certaine complémentarité qu’on n’était pas obligé d’imaginer eu égard à la personnalité des musiciens. Résultat pratique: un bonus en terme d’intensité musicale.

Il n’en va pas forcément pareil pour Steve Swallow. Présent au titre de membre du New Standard Trio il égrène sur une des basses qu’il aime à imaginer et faire construire (électrique mais dessinée avec une caisse type guitare jazz Gibson) ses notes toujours choisies avec soin. Fort d’un son chaud qui recèle toujours une petite part de mystère il continue de construire, désormais chaussé de grosses lunettes calés sur de très épais sourcils, des lignes de basses douces quasi parfaites dans leurs dessins. Sauf que dans le trio, cette fois la surprise, le plaisir ne se trouvent pas au rendez vous. Les accents de Bobby Previte n’en peuvent mais. Le piano, l’orgue, le B3 Hammond encore moins. Le discours général, l’improvisation même résonnent de trop de conventionnel. D’un déjà entendu. Il manque à cette exposition musicale un effet de souffle, d’inspiration. 

La 50e édition du Jazzaldia Donostia San Sebastian devait se terminer en son sanctuaire de la Plaza de la Trinidad, au coeur battant de la vieille ville. La despedida donc -comme l’on dit ici d’un adieu, d’une conclusion  évènementielle artistique, d’une carrière aussi d’un acteur, d’un chanteur, d’un sportif ou d’un torero- revenait à Melody Gardot « La diva de la chanson soul » annonce ainsi la présentatrice de la soirée histoire de faire monter la sauce à dix petits mètres à peine de la rue aux mille tapas. Diva ? Elle se présente ainsi, longue silhouette noire, montée sur talon aiguille, Ray Bans pour cacher ses pupilles. La voix, une fois dévoilée, sombre elle aussi, sensuelle, souvent en léger retrait mais rarement forcée, pose les couleurs qu’il faut dans un paysage musical plutôt teinté d’électricités. Le fond est  en permanence soul cool, n’étaient quelques lignes de basse lâchées en décharge d’éclairs pour zébrer la nuit. Une tendance tout de même à surcharger la grosse caisse. Sinon on baigne dans une pop soul sophistiquée (moins de cordes génératrices de surlignages acidulés que dans l’album Currency of Man/Emarcy) mais directe question effet transmis. Elle change de guitare à tout coup comme autant d’ornements de soirée sans conséquence majeure question sonorité. Elle passe vite sur le piano droit. Elle explicite ses chansons d’un air détaché mais d’un débit trop rapide pour être comprise. Elle s’assoit sur le bord de la scène pour chanter en duo avec son saxophoniste. Elle s’interroge à propos d’une pluie toujours menaçante dans le ciel tourmenté du Guipuzcoa. Elle en vient à une trame musicale plus black, blues (Preacher Man) puis soul funk (She don’t know). Le public basque en retour lui fait comprendre qu’en cette  matière (nature) elle a vu juste. Il apprécie et lui indique que sa voix alors sonne vrai.

Dans le même temps, à presque minuit sonné au clocher des deux cathédrales qui aux extrémités d’une même rue interminable se font face, Benny Golson dans son hôtel dort du sommeil du juste…récompensé la veille pour l’ensemble de son oeuvre jazzistique avant que de repartir pour New York. Sans doute ne sait-il pas alors que pour dire adios au 50e festival de Jazz de San Sebastian, Miguel Martin le boss et son équipe ont fait appel à une voix de sa ville, Philadelphie, prénommée judicieusement Mélodie

 

Robert Latxague

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Un simple effet de mode ? Un truc tendance version spectacle soft plus que hard ? Une nouvelle manie artistique du live ? Voilà que l’on demande au public de devenir désormais partie prenante du concert. De chanter carrément, mots, phrases, onomatopées: qu’importe le contenant vive le résultat. Le doigt du musicien devient signe imperator déclanchant. Le micro du chanteur bascule vers l’audience. Ladies and gentlemen : «Il faut par-ti-ci-per!» Au Pays Basque, terre génitrice de voix, ça fonctionne forcément…A Vitoria sur Spain ou un écho d’Aranjuez Chick Corea, mutin, jouait les chefs de choeur. A San Sebastian successivement un Earth Wind and Fire en démarque, Jamie Cullum, Melody Gardot diva annoncée n’y auront pas résisté. C’est gratuit, ça marche, c’est good !

Benny Golson (ts), Joan Monne (p), Ignasi González (b), Jo Krause (dm)

Andrzej Olejniczak (ts), Iñaki Salvdor (p), Maciej Fortuna (tp), Gonzalo Tejada (b), Borja Barrueta (dm)

The New Standard Trio: Jamie Shaft (p, org), Steve Swallow (elb), Bobby Previte (dm)

The Bad Plus: Ray Anderson (b), Ethan Iverson (p), Dave King (dm) + Joshua Redman (ts)

Melody Gardot

50 e Festival de Jazz, San Sebastian/Donostia, Euskadi, Espagne, 22-25 juin

 

Benny Golson, 86 ans, bon pied bon oeil aime faire la conversation. Sur les planches chic de l’auditorium du Kursaal, face à 1500 spectateurs venus pour lui exclusivement -question annexe: quel autre festival peut se targuer de rassembler une telle audience en hommage à un musicien comme lui ?- il alterne de long speechs explicatifs de tous les standards qu’il a composés « Killer Joe, Whipser Not, Blues March, I remenber Clifford et leur histoire propre. Ainsi entrelardés de phrases justificatives, les thèmes de jazz que chacun, aficionado à cette musique ou pas, a un jour entendu sonnent presque comme à leur naissance. Le ténor du musicien de Philadelphie délivre encore un beau son bien rond, modelé avec à propos, élégant. Dommage que la rythmique soit un peu vide, convenue et l’ordre des  soli trop répétitif, systématique. Le lendemain il reçoit un Award, prix du festival Jazzaldia San Sebastian 2015, des mains du nouveau maire de la cité basque Eneko Goia. D’un air de père tranquille, non sans humour il se plait à convoquer ses souvenirs d’une voix douce. Autant d’occasions de conter les circonstances qui l’on fait côtoyer ses collègues musiciens. Ceux de Philadelphie, sa ville pour commencer: John Coltrane (avec lequel il travaillait son ténor dans la cave de ses parents), Clifford Brown, Philly Joe Jones, Red Garland, Percy Heath, Red Rodney…plus ceux dont il aura croisé le chemin Miles Davis, Max Roach, Art Blakey (qu’il aurait forcé à reprendre un roulement de marche militaire sur sa caisse claire pour mettre au point l’iconique Blues March) etc.  Au bout des ses récits façon Oncle Paul, on se dit qu’il a tracé mine de rien une sorte de Hall of Fame des musiciens de jazz de la fin du XXe siècle. Lui n’a qu’un problème matériel pour le contrarier « Comment vais je faire pour ramener mon trophée chez moi ? je n’ai pris qu’une petite valise cabine pour trois jours au Pays Basque ! »

Au début de son ère, voici un demi siècle, le festival de San Sebastian se voulait honorer le jazz, musique alors mise en sourdine en pleine période franquiste. Un jazz d’ailleurs plutôt traditionnel voire mainstream et d’essence purement américaine. Hasard ou nécessité, pour clore le festival, dans la lignée de Benny Golson sans doute, le jazz dans la programmation reprend une sorte de  leadership. Ainsi en va-t-il de la dite Jam Session organisée pour fêter les vingt cinq années d’existence de la revue madrilène Cuadernos de Jazz: deux heures de concert non stop dans le cadre du magnifique théâtre Victor Eugenia rénové auront permis d’entendre à nouveau des chorus signés des saxophonistes Azar Lawrence et Charles Mc Pherson. Iñaki Salvador, pianiste basque de la cité a invité lui pour l’occasion deux musiciens polonais dans la perspective de San Sebastian, ville capitale européenne de la culture 2016 « J’espère que l’on pourra présenter ce travail l’an prochain Wroclaw, autre ville européenne de la Culture » Des compositions équilibrées, élaborées en fonction des  possibilités du quintet, des thèmes souvent ouverts sur des effets d’unisson cuivres-piano, deux solistes expressifs ( le polonais vivant à Bilbao Andrzej Olejniczak au sax et son compatriote Maciej Fortuna à la trompette): le travail orchestral porte plus ou moins de relief en fonction des thèmes abordés (Espatadanza, musique à danser sur  rythme impair issue du patrimoine basque ou Branka 2 inspiré par la cuisine du pays) La tonalité reste très colmarienne surtout lorsque le sax soprano (Olejniczak) se trouve mis sur les rails.

Le CD paru cette année sur le label Nonesuch le laissait entendre. La scène le confirme. Le saxophone de Joshua Redman introduit de la rondeur, met du groove, bref instile un courant de chaleur continue dans l’architecture un tantinet froide, très cubique en tous cas de la musique habituelle de Bad Plus. Les séquences en tension, les cuts d’aiguës, les moments de souffle légèrement saturés du saxophone transpercent les lignes croisées, les décalages savamment disposés en chicane du trio new-yorkais. Dans ce jazz d’arithmétique, de métriques complexes échafaudées le ténor situe les formules à la bonne place (The Mending) Et dégage des espaces ouverts (As this moment slips away) Au total l’écoute attentive de ce 3+1 ainsi transporté du disque à la scène laisse transparaître une certaine complémentarité qu’on n’était pas obligé d’imaginer eu égard à la personnalité des musiciens. Résultat pratique: un bonus en terme d’intensité musicale.

Il n’en va pas forcément pareil pour Steve Swallow. Présent au titre de membre du New Standard Trio il égrène sur une des basses qu’il aime à imaginer et faire construire (électrique mais dessinée avec une caisse type guitare jazz Gibson) ses notes toujours choisies avec soin. Fort d’un son chaud qui recèle toujours une petite part de mystère il continue de construire, désormais chaussé de grosses lunettes calés sur de très épais sourcils, des lignes de basses douces quasi parfaites dans leurs dessins. Sauf que dans le trio, cette fois la surprise, le plaisir ne se trouvent pas au rendez vous. Les accents de Bobby Previte n’en peuvent mais. Le piano, l’orgue, le B3 Hammond encore moins. Le discours général, l’improvisation même résonnent de trop de conventionnel. D’un déjà entendu. Il manque à cette exposition musicale un effet de souffle, d’inspiration. 

La 50e édition du Jazzaldia Donostia San Sebastian devait se terminer en son sanctuaire de la Plaza de la Trinidad, au coeur battant de la vieille ville. La despedida donc -comme l’on dit ici d’un adieu, d’une conclusion  évènementielle artistique, d’une carrière aussi d’un acteur, d’un chanteur, d’un sportif ou d’un torero- revenait à Melody Gardot « La diva de la chanson soul » annonce ainsi la présentatrice de la soirée histoire de faire monter la sauce à dix petits mètres à peine de la rue aux mille tapas. Diva ? Elle se présente ainsi, longue silhouette noire, montée sur talon aiguille, Ray Bans pour cacher ses pupilles. La voix, une fois dévoilée, sombre elle aussi, sensuelle, souvent en léger retrait mais rarement forcée, pose les couleurs qu’il faut dans un paysage musical plutôt teinté d’électricités. Le fond est  en permanence soul cool, n’étaient quelques lignes de basse lâchées en décharge d’éclairs pour zébrer la nuit. Une tendance tout de même à surcharger la grosse caisse. Sinon on baigne dans une pop soul sophistiquée (moins de cordes génératrices de surlignages acidulés que dans l’album Currency of Man/Emarcy) mais directe question effet transmis. Elle change de guitare à tout coup comme autant d’ornements de soirée sans conséquence majeure question sonorité. Elle passe vite sur le piano droit. Elle explicite ses chansons d’un air détaché mais d’un débit trop rapide pour être comprise. Elle s’assoit sur le bord de la scène pour chanter en duo avec son saxophoniste. Elle s’interroge à propos d’une pluie toujours menaçante dans le ciel tourmenté du Guipuzcoa. Elle en vient à une trame musicale plus black, blues (Preacher Man) puis soul funk (She don’t know). Le public basque en retour lui fait comprendre qu’en cette  matière (nature) elle a vu juste. Il apprécie et lui indique que sa voix alors sonne vrai.

Dans le même temps, à presque minuit sonné au clocher des deux cathédrales qui aux extrémités d’une même rue interminable se font face, Benny Golson dans son hôtel dort du sommeil du juste…récompensé la veille pour l’ensemble de son oeuvre jazzistique avant que de repartir pour New York. Sans doute ne sait-il pas alors que pour dire adios au 50e festival de Jazz de San Sebastian, Miguel Martin le boss et son équipe ont fait appel à une voix de sa ville, Philadelphie, prénommée judicieusement Mélodie

 

Robert Latxague

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Un simple effet de mode ? Un truc tendance version spectacle soft plus que hard ? Une nouvelle manie artistique du live ? Voilà que l’on demande au public de devenir désormais partie prenante du concert. De chanter carrément, mots, phrases, onomatopées: qu’importe le contenant vive le résultat. Le doigt du musicien devient signe imperator déclanchant. Le micro du chanteur bascule vers l’audience. Ladies and gentlemen : «Il faut par-ti-ci-per!» Au Pays Basque, terre génitrice de voix, ça fonctionne forcément…A Vitoria sur Spain ou un écho d’Aranjuez Chick Corea, mutin, jouait les chefs de choeur. A San Sebastian successivement un Earth Wind and Fire en démarque, Jamie Cullum, Melody Gardot diva annoncée n’y auront pas résisté. C’est gratuit, ça marche, c’est good !

Benny Golson (ts), Joan Monne (p), Ignasi González (b), Jo Krause (dm)

Andrzej Olejniczak (ts), Iñaki Salvdor (p), Maciej Fortuna (tp), Gonzalo Tejada (b), Borja Barrueta (dm)

The New Standard Trio: Jamie Shaft (p, org), Steve Swallow (elb), Bobby Previte (dm)

The Bad Plus: Ray Anderson (b), Ethan Iverson (p), Dave King (dm) + Joshua Redman (ts)

Melody Gardot

50 e Festival de Jazz, San Sebastian/Donostia, Euskadi, Espagne, 22-25 juin

 

Benny Golson, 86 ans, bon pied bon oeil aime faire la conversation. Sur les planches chic de l’auditorium du Kursaal, face à 1500 spectateurs venus pour lui exclusivement -question annexe: quel autre festival peut se targuer de rassembler une telle audience en hommage à un musicien comme lui ?- il alterne de long speechs explicatifs de tous les standards qu’il a composés « Killer Joe, Whipser Not, Blues March, I remenber Clifford et leur histoire propre. Ainsi entrelardés de phrases justificatives, les thèmes de jazz que chacun, aficionado à cette musique ou pas, a un jour entendu sonnent presque comme à leur naissance. Le ténor du musicien de Philadelphie délivre encore un beau son bien rond, modelé avec à propos, élégant. Dommage que la rythmique soit un peu vide, convenue et l’ordre des  soli trop répétitif, systématique. Le lendemain il reçoit un Award, prix du festival Jazzaldia San Sebastian 2015, des mains du nouveau maire de la cité basque Eneko Goia. D’un air de père tranquille, non sans humour il se plait à convoquer ses souvenirs d’une voix douce. Autant d’occasions de conter les circonstances qui l’on fait côtoyer ses collègues musiciens. Ceux de Philadelphie, sa ville pour commencer: John Coltrane (avec lequel il travaillait son ténor dans la cave de ses parents), Clifford Brown, Philly Joe Jones, Red Garland, Percy Heath, Red Rodney…plus ceux dont il aura croisé le chemin Miles Davis, Max Roach, Art Blakey (qu’il aurait forcé à reprendre un roulement de marche militaire sur sa caisse claire pour mettre au point l’iconique Blues March) etc.  Au bout des ses récits façon Oncle Paul, on se dit qu’il a tracé mine de rien une sorte de Hall of Fame des musiciens de jazz de la fin du XXe siècle. Lui n’a qu’un problème matériel pour le contrarier « Comment vais je faire pour ramener mon trophée chez moi ? je n’ai pris qu’une petite valise cabine pour trois jours au Pays Basque ! »

Au début de son ère, voici un demi siècle, le festival de San Sebastian se voulait honorer le jazz, musique alors mise en sourdine en pleine période franquiste. Un jazz d’ailleurs plutôt traditionnel voire mainstream et d’essence purement américaine. Hasard ou nécessité, pour clore le festival, dans la lignée de Benny Golson sans doute, le jazz dans la programmation reprend une sorte de  leadership. Ainsi en va-t-il de la dite Jam Session organisée pour fêter les vingt cinq années d’existence de la revue madrilène Cuadernos de Jazz: deux heures de concert non stop dans le cadre du magnifique théâtre Victor Eugenia rénové auront permis d’entendre à nouveau des chorus signés des saxophonistes Azar Lawrence et Charles Mc Pherson. Iñaki Salvador, pianiste basque de la cité a invité lui pour l’occasion deux musiciens polonais dans la perspective de San Sebastian, ville capitale européenne de la culture 2016 « J’espère que l’on pourra présenter ce travail l’an prochain Wroclaw, autre ville européenne de la Culture » Des compositions équilibrées, élaborées en fonction des  possibilités du quintet, des thèmes souvent ouverts sur des effets d’unisson cuivres-piano, deux solistes expressifs ( le polonais vivant à Bilbao Andrzej Olejniczak au sax et son compatriote Maciej Fortuna à la trompette): le travail orchestral porte plus ou moins de relief en fonction des thèmes abordés (Espatadanza, musique à danser sur  rythme impair issue du patrimoine basque ou Branka 2 inspiré par la cuisine du pays) La tonalité reste très colmarienne surtout lorsque le sax soprano (Olejniczak) se trouve mis sur les rails.

Le CD paru cette année sur le label Nonesuch le laissait entendre. La scène le confirme. Le saxophone de Joshua Redman introduit de la rondeur, met du groove, bref instile un courant de chaleur continue dans l’architecture un tantinet froide, très cubique en tous cas de la musique habituelle de Bad Plus. Les séquences en tension, les cuts d’aiguës, les moments de souffle légèrement saturés du saxophone transpercent les lignes croisées, les décalages savamment disposés en chicane du trio new-yorkais. Dans ce jazz d’arithmétique, de métriques complexes échafaudées le ténor situe les formules à la bonne place (The Mending) Et dégage des espaces ouverts (As this moment slips away) Au total l’écoute attentive de ce 3+1 ainsi transporté du disque à la scène laisse transparaître une certaine complémentarité qu’on n’était pas obligé d’imaginer eu égard à la personnalité des musiciens. Résultat pratique: un bonus en terme d’intensité musicale.

Il n’en va pas forcément pareil pour Steve Swallow. Présent au titre de membre du New Standard Trio il égrène sur une des basses qu’il aime à imaginer et faire construire (électrique mais dessinée avec une caisse type guitare jazz Gibson) ses notes toujours choisies avec soin. Fort d’un son chaud qui recèle toujours une petite part de mystère il continue de construire, désormais chaussé de grosses lunettes calés sur de très épais sourcils, des lignes de basses douces quasi parfaites dans leurs dessins. Sauf que dans le trio, cette fois la surprise, le plaisir ne se trouvent pas au rendez vous. Les accents de Bobby Previte n’en peuvent mais. Le piano, l’orgue, le B3 Hammond encore moins. Le discours général, l’improvisation même résonnent de trop de conventionnel. D’un déjà entendu. Il manque à cette exposition musicale un effet de souffle, d’inspiration. 

La 50e édition du Jazzaldia Donostia San Sebastian devait se terminer en son sanctuaire de la Plaza de la Trinidad, au coeur battant de la vieille ville. La despedida donc -comme l’on dit ici d’un adieu, d’une conclusion  évènementielle artistique, d’une carrière aussi d’un acteur, d’un chanteur, d’un sportif ou d’un torero- revenait à Melody Gardot « La diva de la chanson soul » annonce ainsi la présentatrice de la soirée histoire de faire monter la sauce à dix petits mètres à peine de la rue aux mille tapas. Diva ? Elle se présente ainsi, longue silhouette noire, montée sur talon aiguille, Ray Bans pour cacher ses pupilles. La voix, une fois dévoilée, sombre elle aussi, sensuelle, souvent en léger retrait mais rarement forcée, pose les couleurs qu’il faut dans un paysage musical plutôt teinté d’électricités. Le fond est  en permanence soul cool, n’étaient quelques lignes de basse lâchées en décharge d’éclairs pour zébrer la nuit. Une tendance tout de même à surcharger la grosse caisse. Sinon on baigne dans une pop soul sophistiquée (moins de cordes génératrices de surlignages acidulés que dans l’album Currency of Man/Emarcy) mais directe question effet transmis. Elle change de guitare à tout coup comme autant d’ornements de soirée sans conséquence majeure question sonorité. Elle passe vite sur le piano droit. Elle explicite ses chansons d’un air détaché mais d’un débit trop rapide pour être comprise. Elle s’assoit sur le bord de la scène pour chanter en duo avec son saxophoniste. Elle s’interroge à propos d’une pluie toujours menaçante dans le ciel tourmenté du Guipuzcoa. Elle en vient à une trame musicale plus black, blues (Preacher Man) puis soul funk (She don’t know). Le public basque en retour lui fait comprendre qu’en cette  matière (nature) elle a vu juste. Il apprécie et lui indique que sa voix alors sonne vrai.

Dans le même temps, à presque minuit sonné au clocher des deux cathédrales qui aux extrémités d’une même rue interminable se font face, Benny Golson dans son hôtel dort du sommeil du juste…récompensé la veille pour l’ensemble de son oeuvre jazzistique avant que de repartir pour New York. Sans doute ne sait-il pas alors que pour dire adios au 50e festival de Jazz de San Sebastian, Miguel Martin le boss et son équipe ont fait appel à une voix de sa ville, Philadelphie, prénommée judicieusement Mélodie

 

Robert Latxague