Jazz live
Publié le 18 Nov 2018

Gaël Horellou et Dave Holland sur le vif

Dans leur objectif de concision les titres sont trompeurs. Hier, au Studio 105, Gaël Horelou c’était un quartette “featuring Ari Hoenig”, et Dave Hollland, c’était Aziza, all stars associant le contrebassiste à Chris Potter, Lionel Loueke et Eric Harland.

Un beau public, les seuls sièges laissés vacants, dans un Studio 104 qui avait fait le plein au guichet, étant probablement imputables aux blocages des gilets jaunes. Gaël Horellou, 43 ans, on l’a connu farouche et fougueux en 1994 au sein du Collectif Mu, puis, multipliant les collaborations entre bop et électro en franc-tireur hyperactif à l’écart des grands réseaux, jusque dans les bars les plus improbables. Il paraît avec l’élégante désinvolture que l’on a connu autrefois aux plus grands jazzmen lorsqu’ils descendaient les marches de ce même studio ouvert en 1963. À vrai dire, il a quelques raisons d’être à l’aise. Voilà des années qu’il collabore dans des contextes variés avec ses comparses du jour : Etienne Deconfin (piano), Viktor Nyberg (contrebasse) et Ari Hoenig (batterie) qui n’est pas ici une simple “guest star”. Bien plus, le quartette aborde la Maison de la Radio à l’issue d’une tournée de 11 concerts débutée le 1er novembre au Duc des Lombards et qui se prolongera le 20 novembre à l’IFMP de Salon-de-Provence. Autant dire que, avec eux, où qu’il se trouve, il est chez lui.

Et la complicité acquise s’entend immédiatement sur ce répertoire qui est moins complexe en soi que dans son aménagement, aménagement qui semble autant relever d’habitudes prises spontanément sur la route que d’arrangements écrits ou oraux ardument répétés. L’entente entre Deconfin et Hoenig est particulièrement impressionnante, typique de la façon dont les ahurissantes décompositions rythmiques du batteur, charpentées par une contrebasse tout à la fois enracinée et aérienne, peuvent alimenter et renouveler le discours soliste en l’affranchissant de l’automaticité du phrasé en croches. Coltranien, un peu “like Sonny”, avec du Jackie McLean et même une touche du jeune Jan Garbarek dans le timbre, Gaël Horellou anime le tout avec une ferveur, un lyrisme et un sens du découpage qui rendent totalement admissible un vocabulaire prévisible et parfois même redondant, parce que ça chante et ça groove tout le temps.

Aussi, est-ce devant un public déjà ravi et chauffé à blanc, qu’Arnaud Merlin, le maître d’œuvre de la très pertinente programmation mensuelle de Jazz sur le Vif au 104 (détails ci-dessous) annonce Aziza, rappelant que le nom du quartette est le titre d’une composition de Lionel Loueke. Il ne manque pas non plus d’évoquer également l’émotion conçue par Dave Holland en se retrouvant pour la balance au pied des bas reliefs de Louis Leygue conservé lors du réaménagement du Studio 104. C’est là que, le février 1971, le contrebassiste se produisit au sein du quartette “Circle” d’Anthony Braxton, avec Chick Corea et Barry Altschull, concert dont l’enregistrement lui valut de faire son entrée au catalogue ECM où l’on trouve la quasi totalité de sa discographie en leader.

Et voici donc Aziza : Chris Potter (saxes soprano et ténor), Lionel Loueke (guitare, voix), Dave Holland (contrebasse) et Eric Harland (batterie). Cocottes funky de guitare passées à la moulinette d’une sorte de ring modulator commandé du pied ; entrée de la contrebasse plus funky qu’Holland ne l’a jamais été du temps où il jouait chez Miles Davis (septembre 1968-été 1970) ; drumming aussi insaisissable qu’irrésistible, irrésistible par son ancrage, mais insaisissable par l’invisibilité de l’ancre et de sa ligne de mouillage sur lequel la batterie tangue librement comme à la dérive ; touches de saxophone qui finiront par esquisser une thématique vagabonde qui a gagné en mystère depuis le disque, comme de coutume enregistré trop tôt en 2015… Si, en première partie, l’on avait une interaction de groupe bandée comme un arc, c’est ici une décontraction totale qui s’impose, avec la fantastique autonomie de chacun des quatre musiciens dans une écoute pourtant maximale qui fait la motricité – le groove – de l’ensemble jusque dans les moments moins funky, comme un assemblage de pignons ayant des logiques de rotation indépendantes. Avec pour corollaire, un plaisir extrême et manifeste d’être ensemble, Chris Potter ayant de par son instrument un rôle de soliste plus affiché que les autres, instrumentiste toujours époustouflant, généreux, son enthousiasmante faconde n’étant pas exempte de moments de bavardage.

On pense au Weather Report des premiers temps dont Wayne Shorter avait déclaré à la presse du temps de la création du groupe : « C’est un peu comme un système solaire : il y a des mouvements de sens différents, mais ils forment un ensemble qui, à son tour, évolue dans d’autres directions par rapport aux autres systèmes, aux galaxies. Nous avons un sentiment de joie et d’indépendance, quand nous approchons de cette existence. C’est une somme de désirs communs, le désir de vivre plus ou moins comme des gitans, de n’être liés à rien sinon à la terre et à l’univers. » Les thèmes eux-mêmes évoquent parfois les compositions iconoclastes et à tiroirs de Joe Zawinul, et les pédales de Loueke ses claviers.

Soudain, le tempo se dissout, les percussions ne sont plus que bruissements et stridulations de sous-bois, la voix de Loueke laisse deviner quelques bribes mélodiques d’une langue inconnue s’échappant d’une case où l’on bercerait un enfant, ses claquements simultanés de langue faisant entendre le crépitement d’un feu de camp et des craquements végétaux sous le pas d’animaux rôdeurs, tandis que sa guitare et les boucles qu’il contrôle de la pointe du pied évoquent rondes enfantines et rituels chamaniques. Et lorsque les lumières se rallument, on est presque étonné de se retrouver au 104. On y reviendra sans faute le 22 décembre pour entendre le quartette d’André Ceccarelli (Stéphane Belmondo, Sylvain Luc, Thomas Bramerie) et, comme toujours à Jazz sur le vif, une première partie qui permettra au public parisien de découvrir le trio du pianiste Amaury Faye, lauréat du tremplin Jazz à Vienne en 2016. • Franck Bergerot

À suivre :

Le 19 janvier : Bwa (Ralph Lavital, Laurent Coq, Swaéli Mbappe, Laurent-Emmanuel Tilo Bertholo) et Bobo Stenson Trio (Anders Jormin, John Fält).

Le 2 février : Stéphane Kerecki “French Touch” (Julien Lourau, Jozef Dumoulin, Fabrice Moreau) et Kurt Rosenwinkel invité du Riccardo Del Fra Quintet (Tomasz Dabrowski, Jan Prax, Carl-Henri Morisset, Nicolas Fox).

Le 24 février : la musique de Nino Rota sous la direction de Daniel Yvinec.

Le 9 mars : Fred Hersch solo, Mark Turner Quartet (Jason Palmer, Joe Martin, Jonathan Pinson).

Le 20 avril : Roberto Negro solo, Louis Sclavis Quartet (Benjamin Moussay, Sarah Murcia, Christophe Lavergne).

Le 18 mai : Orbit Trio (Stéphan Oliva, Sébastien Boisseau, Tom Rainey), Paolo Fresu Quartet (Bebo Ferra / Paolino Dalla Porta, Stefano Bagnoli).

Le 15 juin Aloïs Benoît et pAn-G (Gabriel Levasseur, Jean Dousteyssier, Rémi Fox, Thomas Letellier, Thibault Florent, Romain Lay, Yannick Lestra, Alexandre Perrot, Ariel Tessier), Moutin Factory Quintet (Christophe Monniot, Manu Codjia, Paul Lay, François Moutin, Louis Moutin).

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