Jazz live
Publié le 23 Fév 2020

JAZZ sur le VIF : JOHN SURMAN String Project / JÉRÔME SABBAGH-GREG TUOHEY Group

Soirée intense pour Jazz sur le Vif, avec en ouverture le passage en France du saxophoniste, devenu new-yorkais, Jérôme Sabbagh, associé au guitariste néo-zélandais Greg Tuohey ; puis le très attendu String Project du saxophoniste John Surman

JÉRÔME SABBAGH & GREG TUOHEY GROUP

Jérôme Sabbagh (saxophone ténor), Greg Tuohey (guitare), Joe Martin (contrebasse), Kush Abadey (batterie)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 22 février 20120, 20h30

(Jérôme Sabbagh-Greg Tuohey : écoute en cabine après la balance)

Le saxophoniste et le guitariste, qui sont en connivence amicale depuis plus de 25 ans (leur séjour d’étudiants au Berklee College de Boston), se sont retrouvés pour ce quartette. Au programme de ce concert, des thèmes tirés de leur disque «No Filter» (Sunnyside Records) publié en 2018, et d’autres, dont des titres inédits. Le premier thème, Vicious, vif et segmenté, fait entendre une ligne de basse qui allie contrebasse et corde grave de la guitare dans une pulsation qui suggère la basse électrique. On aborde le concert en pleine énergie. Puis c’est une nouvelle composition qui nous parle de Brésil autant que de Caraïbe, mais en tissant les nuances que recèlent ces musiques. Vient une ballade aux harmonies sinueuses dont la mélancolie, la singularité mélodique, comme les phrases du guitariste et du saxophoniste, me rappellent le climat de certaines musiques jouées conjointement par Paul Motian, Joe Lovano et Bill Frisell : phantasme d’auditeur ? Peut-être…. J’assume ! Puis sur un tempo medium-fast c’est un thème cursif, comme un standard qui vogue vers son but pour entrer dans nos mémoires avant de se dissoudre dans une coda mystérieuse. On revient ensuite à une composition du guitariste : c’est vif comme un calypso, et Greg Tuohey part un solo vers des sonorités de guitare-synthé, comme il l’avait fait en début de concert. Cette palette éclatée contraste avec la constance dans une sonorité plus purement acoustique de Jérôme Sabbagh ; et c’est une marque indiscutable de l’identité de ce groupe. Joe Martin, compagnon de route du saxophoniste depuis des années, est d’une pertinence folle dans un soutien très créatif, et dans ses échappées en soliste. Quant au batteur Kush Abadey, même pas trentenaire, il a déjà croisé le fer avec Wallace Roney, Ravi Coltrane, Chris Potter et quelques autres du même tonneau, et la richesse de son jeu, perceptible au fil du concert, se met plus encore en évidence lors du rappel, dans un solo infiniment nuancé soutenu par un riff en boucle du sax, de la guitare et de la basse : beau groupe, belle musique !

Au terme d’une tournée européenne (Italie, Suisse, Espagne….) le quartette jouera au JAM de Marseille les 23 & 24 février, et à Paris, La GARE, les 28 & 29 février

SURMAN STRING PROJECT

John Surman (saxopones baryton & soprano), Chris Laurence (contrebasse)

Trans4mation String Quartet : Rita Manning & Patrick Kierman (violons), Bill Hawkes (alto), Nick Cooper (violoncelle)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 22 février 20120, 21h45

Une occasion rare que cette rencontre avec le projet à cordes de John Surman. Paris en avait eu un bel aperçu en octobre 2016 lors d’un concert au Châtelet, après que la saxophoniste avait remporté en 2015 le Prix du musicien européen de l’Académie du Jazz. C’est une déjà longue histoire, inaugurée en 1999 chez ECM avec le disque «Coruscating», et poursuivie en 2006 sous le même label avec «The Space In Between». Le concert de la Maison de la Radio mêlait des traces de ces deux premiers disques avec de nouvelles compositions.

Comme le contrebassiste Chris Laurence, compagnon de route de Surman depuis des décennies, les membres du quatuor sont issus pour la plupart de l’Academy St Martin in the Fields. Leur expérience de cet ailleurs musical est ici au service d’un projet très singulier, et totalement abouti, qui mêle l’écriture (brillant travail de Surman sur les cordes) et l’improvisation.

Au début du concert le quatuor entre par un chemin harmonique qui résonne des mélancolies de la musique anglaise du dix-septième siècle autant que des frissons post-romantiques. Sur cette voie royale le saxophone soprano prend un envol modal, avant que la contrebasse ne s’évade, rejointe ensuite par la violoniste pour un duo ; puis tous ensemble, autour du baryton, mêlent écriture et improvisation. Vient alors une composition inspirée au saxophoniste par un retour joyeux après une soirée au pub : c’est comme si quelques compositeurs pour quatuor de l’orée du vingtième siècle avaient croisé sur leur route une contrebasse de jazz et un sax baryton : c’est ludique, fusionnel et sensuel, on sent que le mélange n’est pas contraint.

Retour au soprano pour un thème inspiré par une tournée en Turquie : on est dans les inflexions micro-tonales de la musique ottomane, inflexions vites rejointes par le souvenir de Debussy. Sur ce le soprano s’évade en improvisation d’Orient : même si l’expression est un peu galvaudée je la risque et l’assume : c’est assez magique….

Sur une impro très libre du baryton et de la basse le quatuor fait une entrée avec des rebonds rythmiques que Bartók n’aurait pas désavoués ; cela conduit tout droit à un jazz cursif, sur des harmonies tendues portées par une walking bass très vibrante.

Voici maintenant une musique qui paraît avoir été rêvée pour un film noir. Sur une ligne portée par la contrebasse je crois entendre surgir du saxophone une citation de la Habanera de Carmen (comme le faisaient Parker et Gillespie sur Hot House). Mais je n’exclus pas avoir été victime d’une hallucination d’amateur névrosé…. Vient alors Stone Flower, hommage à Harry Carney qui figurait déjà sur le disque enregistré en 2006 : on y voit un hommage à Elllington autant qu’à son légendaire sax baryton, mais j’y entends surtout le souvenir de Billy Strayhorn.

Puis on change encore de registre : ça commence comme une partita pour alto et violoncelle, rejointe par les violons ; puis avec la basse et le baryton cela tourne au tango : surprenant et jouissif ! Après une impro bondissante de la basse qui me fait penser à Scarbo autant qu’à L’Apprenti sorcier ce seront, pour conclure, deux nouvelles pièces enchaînées, où les cordes croisent des effluves de blues. Très bel accueil d’un public dont l’écoute fut d’une belle intensité. Rappelé, John Surman laissa ses partenaires s’asseoir sur les marches du plateau et, après avoir invité l’assistance à tenir une note en bourdon, il a improvisé pour nous une sorte de gigue assez britannique, ponctuée quand il le fallait des claquements de mains de l’assistance : très joyeux final pour le très beau moment de musique à nous offert par Surman et sa bande, et une vraie réussite dans cet exercice difficile qu’est la conjugaison du jazz avec un ensemble de cordes.

Xavier Prévost