Jazz live
Publié le 3 Avr 2022

Jazz sur le Vif : LEÏLA OLIVESI, LAURENT de WILDE, et les défaillances du RER….

C’est rituel, et il faut pourtant y revenir avant de parler du concert : depuis deux ans, le chroniqueur peine à rentrer dans sa Banlieue-Est via le RER pour lequel il détient cependant un abonnement en bonne et due forme, acquitté chaque mois rubis sur l’ongle. C’est que très très souvent il y a des travaux en soirée, en semaine, qui l’empêchent de regagner ses pénates selon le mode prévu. Et souvent le chroniqueur renonce au second set dans les clubs parisiens, ou alors subit un retour problématique via un métro en bout de ligne, puis un bus hypothétique. Voir de récentes chroniques qui narrent ces désagréments, ici, iciencore ici, et  ! La nouveauté du jour c’est que, désormais, ce genre de désagrément intervient aussi durant les week-ends, qui étaient auparavant épargnés ; ce qui conduira le chroniqueur à manquer ce soir-là les trois derniers titres du programme. Pardon pour ce couplet revendicatif, mais il devient difficile pour le banlieusard qui a fait le choix des transports en commun d’assister en soirée à un concert intra muros, même le week-end….

(le nonet de Leïla Olivesi pendant la balance)

LEÏLA OLIVESI Nonet

Leïla Olivesi (piano, composition, direction), Adrien Sanchez (saxophone ténor), Baptiste Herbin, (saxophone alto, flûte), Jean-Charles Richard (saxophones baryton & soprano), Quentin Ghomari (trompette & bugle), Fidel Fourneyron (trombone), Manu Codjia (guitare), Yoni Zelnilk (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie)

Paris, Maison de la Radio (et de la Musique), studio 104, 2 avril 2022, 19h30

La musicienne présente un programme où se mêlent des extrait de son disque enregistré en 2019 («Suite Andamane», Attention Fragile / l’autre distribution) et de nouvelle compositions qui devraient être prochainement enregistrées. Le concert commence avec la Suite Andamane, évocation d’une mer qui se situe entre le Golfe du Bengale et celui de Thaïlande, aux portes de la Birmanie. Les différents mouvements disent à la fois la pluralité d’inspiration et le souci constant de la forme, avec une belle qualité d’écriture et d’orchestration. La mélancolie n’est pas absente de certains passages, et pendant un instant l’auditeur nostalgique retrouve les émotions suscitées naguère par le très beau Sing Me Softly of the Blues, de Carla Bley. Puis c’est un nouveau thème, en hommage à Mary Lou Williams, pianiste qui fut sans doute la première compositrice-arrangeuse importante de cette musique, du middle jazz jusqu’à son duo avec Cecil Taylor en passant par une sérieuse contribution à l’ère du be-bop. Puis c’est un hommage à l’Ami Claude Carrière, avec qui Leïla Olivesi a beaucoup écouté, et analysé, Ellington. Avec Claude d’ailleurs elle avait fait un certain nombre de conférences dans la cadre de la Maison du Duke et, pour y avoir parfois assisté, je peux témoigner de la pertinence de son approche. Dans cette composition dédiée à l’Ami Carrière on entend évidemment des références au Duke, versant mélancolique, avec aussi une coda qui rappelle furtivement le premier Ellington, celui de Black and Tan Fantasy. Mais plane aussi l’ombre de Billy Strayhorn, par la couleur harmonique, et une très brève citation de Take the ‘A’ Train : indicatif du Duke certes, mais surtout une composition de son Alter Ego. Il faut dire que Leïla Olivesi est une admiratrice de Strayhorn…. Puis ce sera le dernier titre, qui commence par l’extrait d’un poème de Lucie Taïeb lu par la pianiste sur un solo de contrebasse ; là encore la finesse de l’écriture et de l’orchestration confirme la grande qualité de cette musicienne. Et au fil du concert, tous les solistes furent de haut vol. Le public ne s’y trompa guère, qui rappela chaleureusement toute l’équipe, laquelle revint saluer sous les vivats. Mais l’entracte s’imposait, pour le changement de plateau et la suite du concert. Beau moment de musique, assurément.

Le concert du nonet de Leïla Martial sera diffusé sur France Musique le samedi 16 avril à 18h dans l’émission Jazz Club

LAURENT de WILDE ‘Classic Trio’

Laurent de Wilde (piano), Jérôme Regard (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie)

Paris, Maison de la Radio (et de la Musique), studio 104, 2 avril 2022, 21h

Avec ce ‘Classic Trio’, Laurent de Wilde parcourt les territoires de ses influences et de ses passions, mais aussi des moments de son parcours personnel. Cela commence par une sorte de blues, segmenté et scénarisé, un peu à la manière d’Ahmad Jamal. Puis c’est une escapade vers Monk et sa composition Thelonious, agrémentée de quelques incises : pas de pyrotechnie pianistique, mais une foule de dialogues croisés, avec la batterie, la basse, avec les deux réunies. Et une prépondérance du groove, de l’énergie, avec aussi ce goût du saut dans l’inconnu. Puis le pianiste évoque son deuxième disque (le premier en trio), enregistré aux USA en 1989 avec Jack DeJohnette et Ira Coleman, et nous immerge dans la musique de cette rencontre mémorable. Puis il fait un bond dans le temps, vers un disque de 2006, et un thème intitulé Move On : cela commence comme un choral, avant de monter en effervescence, puis de revenir au calme ; succession de contrastes, avec une fausse fin explosive, puis une coda apaisée. Intense, vraiment. Puis c’est un thème que Laurent de Wilde a enregistré avec Ray Lema, Liane et Bagnan : un autre monde encore, plein de détours. C’est à la fin de ce morceau que le chroniqueur doit filer ‘à l’Anglaise’ : il est passé 22h, et le dernier RER ‘E’ quittera Haussmann-Saint-Lazare dans une cinquantaine de minutes. Et il faut gagner à pied la station Ranelagh, attendre un métro (ils se font plus rares à cette heure là), arpenter les couloirs de la ligne 9 jusqu’au terminal de la ligne ‘E’, pour enfin s’asseoir dans la train salvateur…. Des ami.e.s demeurés dans le studio 104 m’apprendront quelques heures plus tard que j’ai manqué le dernier titre du programme, et deux rappels. Frustration coutumière chez le chroniqueur poursuivi par les suppressions de RER vers sa banlieue. J’espère que Laurent de Wilde ne m’en voudra pas d’avoir faussé prématurément compagnie à ce beau trio.

Xavier Prévost

(le trio de Laurent de Wilde pendant la balance